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Le débat sur une rémunération marge/honoraires pour la dispensation a été relancé avec les propositions de Lucien Bennatan, président de PHR, et de Philippe Gaertner, président de la FSPF. Lucien Bennatan propose en effet une rémunération comprenant jusqu’à 90 % d’honoraires, et Philippe Gaertner une part d’honoraires de 25 % dans un premier temps. « Le Moniteur » a demandé à trois experts leur avis sur la question.

LE MONITEUR : Si une rémunération mixte marge/honoraires pour la dispensation était mise en place, dans quelles proportions pourrait-on avoir un impact positif sur l’économie des officines ?

FRANCIS MEGERLIN : Vu la situation et les perspectives du marché, par « impact positif » on ne peut selon moi entendre que premièrement diminuer l’exposition de l’officine au risque de baisse prévisible des prix des médicaments, et deuxièmement faciliter la production des services futurs grâce à un socle de revenu sécurisé pour tous. Pour un tel rôle d’amortisseur, les honoraires doivent prédominer dans le ratio. Encore faut-il que leur allocation soit appropriée et équitable, sur la base d’une enveloppe publique acceptée. Le choix belge du 80 % d’honoraires/20 % de marge est très heureux mais difficilement extrapolable en France, car les structures des marchés du médicament et de l’assurance y sont très différentes.

OLIVIER DELETOILLE : Un changement de rémunération passe préalablement par une étude chiffrée et fine de son impact, incluant une comparaison entre les marges actuelles et celles tirées d’extrapolations du nouveau système proposé, et par une analyse des disparités éventuelles entre officines.

Il ne faudra pas s’attendre à une amélioration des revenus à court terme, puisque cette modification se fera à « périmètre constant », sans surcoût pour l’Assurance-maladie.

JEAN-JACQUES ZAMBROWSKI : En se basant sur le prix moyen du médicament remboursable, aux alentours de 11 euros, nous pourrions avoir une part de rémunération comprenant 25 à 30 % d’honoraires de dispensation. Pour un médicament dont le PFHT est de 20 euros, nous avons aujourd’hui un forfait à la boîte de 0,53 euro et une marge commerciale de 26,1 %, soit 5,22 euros. La rémunération totale du pharmacien est donc de 5,75 euros. Le montant obtenu serait le même avec une marge commerciale réduite à 20 % – soit 4 euros – et un honoraire pharmaceutique de dispensation fixe, à 1,75 euro.

Quels critères devraient être pris en compte pour calculer le montant de la part « honoraires » ?

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FM : Cette question a fait l’objet de nombreux travaux préparatoires au titre de la réflexion ordinale, il y a quelques années, sur l’« opinion pharmaceutique » qu’il ne faut pas galvauder. Idéalement, un honoraire de base de validation pour tous pourrait, si le cas est complexe, être complété selon la nature et le niveau des données requises pour la décision du pharmacien, et selon l’apport de celle-ci. Mais il faudrait avant tout que les « bonnes pratiques » ou un référentiel clinique soient consacrés aux services de base et à leur paiement, sinon on parle dans le vide.

OD : Pour les prestataires de services, l’unité d’œuvre est l’heure. Il s’agirait ici de définir la durée moyenne des actes nécessitant l’intervention d’un pharmacien et/ou d’un préparateur supervisé pour certains actes subalternes. Une grille de rémunération pourrait être mise en place. Le but est de démontrer que la profession est source de création de valeur immatérielle et d’économie pour la collectivité afin de justifier plus facilement la rémunération.

JJZ : Nous pourrions avoir un acte pharmaceutique de dispensation. Il comprendrait la validation de l’ordonnance et la mise à jour du dossier pharmaceutique. Et pourquoi ne pas instaurer un forfait annuel pour le suivi des patients chroniques ? Dans tous les cas, il est important que le public sache que le pharmacien tire une partie de sa rémunération d’un acte intellectuel.

Faudrait-il rester sur un système de marge dégressive lissée (MDL) dans un système de rémunération mixte ?

FM : La MDL a eu son mérite, mais se contenter de relever ses tranches serait aujourd’hui rehausser la ligne Maginot. On peut éventuellement combiner une MDL résiduelle avec un honoraire, comme en Belgique, mais la seconde tranche de marge y est écrasée.

OD : La pharmacie est à la « croisée des chemins ». La rentabilité ira en s’amenuisant sur l’activité traditionnelle, tandis que les prestations « rémunérées » prendront le relais. Un système mixte s’impose, mais je n’ai pas d’idées préconçues sur la répartition. Tout est à faire, en s’inspirant de l’expérience d’autres pays, sachant qu’ils ont chacun leur spécificité.

JJZ : La MDL, adaptée il y a une quinzaine d’années, pénalise aujourd’hui fortement les officines. Si l’on reste sur l’exemple développé précédemment, dans le cas d’un médicament à 200 euros, la marge commerciale doit rester aux alentours de 20 %. Cela fait 40 euros, auxquels s’ajoute 1,75 euro d’honoraire. Soit 41,75 euros au total. Ce qui apparaît comme une rémunération convenable.

Dissocier une partie de la rémunération de la vente des médicaments, n’est-ce pas créer de nouvelles disparités entre les officines ?

FM : Dissocier la rémunération de la vente est intéressant, voire parfois nécessaire pour les actes et services de prévention, dépistage, éducation, suivi, adaptation, PDA, etc. Mais cela n’a rien à voir avec dissocier la rémunération du prix. En ce qui concerne la dispensation, cette dernière approche permet de sécuriser partiellement le revenu tout en évitant le risque apparu en Suisse, où certains pharmaciens se sont mis à « offrir » le service. Elle peut certes induire des disparités d’un type nouveau entre officines, mais je préfère les disparités face à l’horizon que face au tombeau.

OD : Non, je ne crois pas. A l’instar d’autres secteurs d’activité, la taille n’a jamais eu aucun rapport avec le niveau de compétence ou la qualité de service. En revanche, la vraie difficulté consistera, pour tous, à appréhender et traduire le « savoir-faire » de manière adaptée au terrain, aux besoins des patients. Les professionnels qui tireront leur épingle du jeu ne seront pas forcément les plus gros, mais les plus prompts et imaginatifs.

JJZ : Les disparités entre officines pourraient s’accentuer du fait de la nature des médicaments dispensés dans telle ou telle zone de chalandise. Certaines pharmacies dispensent des traitements lourds et chers, d’autres quasiment jamais. Il faudrait donc trouver des modalités d’ajustement, en tenant compte notamment du prix moyen des médicaments remboursables.

Comment faire évoluer un système mixte ?

FM : Quand un système est mixte, il est possible de faire évoluer ses composantes de façon différenciée, et ainsi d’ajuster les équilibres en souplesse. La marge étant liée au prix du médicament, les curseurs en sont les taux et tranches d’une éventuelle MDL. L’honoraire relève quant à lui d’une logique conventionnelle, mais pas nécessairement : ainsi en Belgique, on a lié l’évolution de l’honoraire de base à l’indice des prix à la consommation. En toute hypothèse, un tel système de rémunération restructuré n’est qu’un point d’appui vers l’ère des services pharmaceutiques innovants.

OD : Il appartiendra à la profession et à la tutelle de définir plus précisément l’échelle de valeur des différents actes (temps consacré, technicité, moyens matériels mis en œuvre…) et les modalités de révision des honoraires, en collaboration avec les payeurs. Le but étant de faire évoluer les honoraires au regard de l’évolution des prix des médicaments et en fonction de celle des besoins de la population.

JJZ : Le ministre de la Santé veut que la rémunération à l’honoraire sur la dispensation du médicament et la rétribution de nouveaux services proposés de manière facultative en officine soient complémentaires. L’honoraire pourrait évoluer en tenant compte des économies réalisées par l’Assurance-maladie, notamment grâce à ces nouveaux services. Sa part pourrait varier selon le prix moyen du médicament remboursable ou l’évolution de la grille des salaires.

FRANCIS MEGERLIN est maître de conférences en droit et économie de la santé à l’université Paris-Descartes et membre du comité de pilotage de la réforme du système de rémunération en Belgique

JEAN-JACQUES ZAMBROWSKI est économiste de la santé, enseignant en droit et économie de la santé à l’université Paris-Descartes

OLIVIER DELÉTOILLE est expert-comptable, cabinet ArythmA