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- 3/5 – Analyse d’ordonnance : adaptation du traitement d’une patiente atteinte de la maladie de Crohn
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3/5 – Analyse d’ordonnance : adaptation du traitement d’une patiente atteinte de la maladie de Crohn
Il y a 2 mois, Pauline C., 19 ans, a consulté un gastroentérologue pour des douleurs abdominales, une diarrhée et une altération de son état général qui perduraient depuis plusieurs semaines. Les examens biologiques et endoscopiques ont révélé une maladie de Crohn. La corticothérapie prescrite n’améliorant pas significativement les symptômes, le médecin a décidé d’entreprendre un traitement par immunosuppresseur et antifacteur de nécrose tumorale alpha (TNFα).
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Quel est le contexte de l’ordonnance ?
Que savez-vous de la patiente ?
Non fumeuse, Pauline C. se plaignait de fatigue chronique. Les examens réalisés ont révélé un syndrome inflammatoire (CRP et calprotectine fécale élevées), puis l’examen endoscopique a permis de diagnostiquer une maladie de Crohn. Depuis 1 mois sous corticothérapie et sans amélioration de ses symptômes, elle avait fait le point avec le gastroentérologue qui a alors évoqué une corticorésistance et a proposé de modifier le traitement.
Que lui a dit le médecin ?
Le médecin a expliqué qu’à l’inverse de la cortisone – dont les effets indésirables ne permettent pas un usage prolongé –, les nouveaux traitements prescrits seraient maintenus dans le temps pour éviter de nouvelles poussées. Pauline C. a réalisé ces derniers jours les examens requis avant l’instauration des thérapies envisagées, dont la recherche d’une tuberculose latente. Elle s’est rendue à la pharmacie pour une mise à jour des vaccinations recommandées sous immunosuppresseur et biothérapie : les vaccinations contre la grippe et le Covid-19 ont ainsi été réalisées et le rendezvous a été pris dans 15 jours pour celles contre le pneumocoque, le zona et l’hépatite B. Les vaccins vivants doivent être administrés avant l’introduction du traitement.
La prescription est-elle cohérente ?
Que comporte la prescription ?
La prednisone, un glucocorticoïde, exerce une action anti-inflammatoire puissante visant à une régression rapide des symptômes.
L’azathioprine, immunosuppresseur antimétabolite, inhibe la synthèse des bases puriques de l’ADN, limitant la multiplication des cellules immunitaires impliquées dans l’inflammation chronique intestinale.
L’adalimumab est un anticorps monoclonal ciblant le TNFα, cytokine clé de la cascade inflammatoire.
Est-elle recevable ?
Oui, depuis avril 2024, certaines biothérapies indiquées dans les maladies inflammatoires chroniques, dont les anti-TNFα, peuvent être instaurées par les spécialistes en ville.
Est-elle conforme à la stratégie thérapeutique ?
Oui, l’échec d’une corticothérapie justifie la mise en route d’un traitement immunosuppresseur et/ou d’un anti-TNFα, biothérapie de première intention. Leur association (ou « combothérapie ») vise à limiter le développement d’anticorps anti-TNFα et à augmenter l’efficacité du traitement. L’objectif est d’obtenir une rémission des symptômes et, à long terme, une cicatrisation de la muqueuse intestinale.
Les posologies sont-elles cohérentes ?
Oui. La corticothérapie doit être diminuée progressivement pour éviter, notamment, une insuffisance corticosurrénalienne. La posologie recommandée de l’azathioprine est de 1 à 3 mg/kg par jour sans dépasser 150 mg par jour, ce qui est conforme.
La posologie d’induction recommandée de l’adalimumab est de 80 mg à la semaine 0, suivie de 40 mg à la semaine 2. Néanmoins, lorsqu’une réponse rapide est nécessaire, le schéma 160 mg à S0 et 80 mg à S2 peut être proposé, conformément à ce qui a été prescrit à Pauline C. La posologie d’entretien habituelle est ensuite de 40 mg toutes les 2 semaines.
Y a-t-il des contre-indications ?
Non. Une infection évolutive sévère (tuberculose), qui contre-indiquerait l’anti-TNFα a été écartée. Les vaccinations recommandées aux personnes immunodéprimées sont en cours de mise à jour.
Le traitement nécessite-t-il une surveillance particulière ?
Sous azathioprine, une surveillance hématologique (avant l’introduction, puis hebdomadaire les 8 premières semaines) et hépatique (avant l’introduction, puis mensuelle au cours des 3 premiers mois et enfin tous les trimestres) est nécessaire. Il n’y a pas de consensus de surveillance biologique avec les anti-TNFα.
Qu’en pensez-vous ?
Trois mois plus tard, Pauline C. se présente avec une nouvelle ordonnance. Le traitement est efficace et le médecin remplaçant qu’elle vient de consulter a réalisé une prescription pour 6 mois d’azathioprine et d’Amgevita (adalimumab), expliquant à la patiente qu’il s’agissait d’un « médicament similaire ». Pauline C. préférerait quand même poursuivre son traitement avec Humira qu’elle connaît. Quelle est votre réaction ?
- Vous délivrez Humira.
- Vous commandez Amgevita car vous n’en avez pas en stock.
- Vous délivrez Hulio, un autre biosimilaire, car il vous en reste une boîte.
Réponse : Un médecin peut, en accord avec le patient, remplacer un médicament biologique par son biosimilaire (interchangeabilité). À ce jour, les anti-TNFα ne font pas partie des biosimilaires substituables par le pharmacien qui doit donc dispenser le médicament prescrit sur l’ordonnance. Il convient donc de commander et de délivrer Amgevita en fournissant des explications sur les biosimilaires et en rassurant sur l’équivalence thérapeutique. Le tampon d’alcool désinfectant n’est pas toujours présent dans les conditionnements de biosimilaire : proposer de l’alcool à 70 ° et des compresses. Il fallait choisir la deuxième proposition.
Quels conseils de prise donner ?
Utilisation
Anti-TNFα. Les administrations en sous-cutanée peuvent être réalisées par la patiente après apprentissage. La dose initiale de 160 mg requiert 2 injections de 80 mg sur 1 jour ou 1 injection de 80 mg par jour sur 2 jours consécutifs. Les injections sont réalisées en 2 sites distincts : cuisses ou abdomen (à 5 cm du nombril) en évitant les zones lésées. En pratique : désinfecter avec un tampon d’alcool. Réaliser un pli de la peau, positionner le stylo à 90° à sa surface. Presser le bouton déclencheur et maintenir le stylo contre la peau durant 10 à 15 secondes. Ne pas frotter la zone de l’injection.
Azathioprine. À prendre en 1 prise quotidienne avec ou sans aliments en respectant toujours le même mode d’administration. La prise doit être faite à distance des produits laitiers (1 heure avant ou 3 heures après leur consommation).
Quand commencer le traitement ?
Les deux traitements peuvent être commencés ce jour. Pour l’adalimumab, il est important de toujours l’administrer le même jour de la semaine. Suggérer l’utilisation d’un agenda électronique ou d’une application de rappel de prise.
Que faire en cas d’oubli ?
Réaliser l’injection d’adalimumab le plus vite possible, puis reprendre le calendrier habituel. S’il reste moins de 7 jours avant l’injection suivante, il est recommandé d’établir un nouveau calendrier en prévoyant la prochaine injection 2 semaines après. La dose d’azathioprine oubliée doit être prise dès que possible sans doubler la dose le même jour.
Comment juger de l’efficacité du traitement ?
Pauline C. devrait constater une amélioration des symptômes dans les semaines qui viennent. Si le traitement est efficace, les dosages de la CRP et de la calprotectine fécale dans 2 à 3 mois devraient confirmer la diminution de l’inflammation.
Quels sont les principaux effets indésirables ?
Les deux traitements augmentent le risque d’infections respiratoires et, moins fréquemment, d’autres infections (urinaires, dentaires, herpétiques, entre autres). Des infections systémiques plus sévères sont également possibles, d’autant plus avec l’azathioprine qui peut être responsable d’une hématotoxicité.
Avec l’anti-TNFα : les réactions locales sont généralement passagères, tout comme les céphalées ou les douleurs musculoarticulaires. Des éruptions cutanées de type eczéma, urticaire ou psoriasis sont possibles. Rarement, des troubles cardiaques sont rapportés (insuffisance cardiaque notamment).
Avec l’azathioprine : s’enquérir des contrôles hématologiques et hépatiques prévus. La survenue de réactions immunoallergiques d’intolérance (fièvre, arthralgies ou vertiges) ou d’une pancréatite aiguë est rare mais possible les premières semaines du traitement et impose son arrêt définitif.
Quels sont ceux gérables à l’officine ?
Sortir l’adalimumab du réfrigérateur 15 à 30 minutes avant son utilisation limite les douleurs à l’injection. Si besoin, l’application d’une poche de froid peut être conseillée. Céphalées ou douleurs seront soulagées par la prise de paracétamol.
Il convient de protéger la peau du soleil et de prévoir une surveillance gynécologique et dermatologique régulière afin de dépister un éventuel cancer de la peau ou du col utérin potentiellement favorisé par la combothérapie.
Quels signes nécessiteraient d’appeler le médecin ?
En cas de fièvre, de frissons ou de tout autre signe d’infection, il est impératif de contacter rapidement le médecin qui évaluera la nécessité d’interrompre les traitements. De même en cas de survenue d’éruptions cutanées, de douleurs articulaires persistantes ou de douleurs abdominales inhabituelles (suspicion de pancréatite aiguë).
Avis d’expert : Dr Romain Altwegg, hépato-gastroentérologue au centre hospitalier universitaire de Montpellier (hérault)
Quelle proportion de patients bénéficie d’un traitement par biothérapie ?
Beaucoup ! 70 à 80 % reçoivent une thérapie avancée (biothérapie ou anti-JAK) les 2 à 3 premières années suivant le diagnostic en raison d’une résistance à la corticothérapie, d’apparition de nouvelles poussées (corticodépendance) ou de formes sévères ou compliquées d’emblée. L’objectif est de traiter vite et fort pour « mettre la maladie au repos », éviter la survenue de fistules et de sténoses, et pouvoir, après quelques années, discuter d’un arrêt du traitement en maintenant cette rémission. Les thérapies avancées ont ainsi permis de réduire les interventions chirurgicales qui sont passées de 50 %, après 10 ans d’évolution de la maladie, à 30 % actuellement, ce qui reste malgré tout encore important.
Les échecs sous anti-TNFα sont-ils fréquents ?
Parmi les patients traités par anti-TNFα, 25 % environ sont en échec primaire après 2 à 3 mois et environ autant présentent un échappement thérapeutique dans les premières années. Ce qui justifie d’optimiser les doses du traitement, de changer d’anti-TNFα (switch) ou d’opter pour une autre thérapie avancée (swap). Cette dernière option est de toute façon nécessaire en cas d’intolérance à l’anti-TNFα, comme lors de la survenue d’un psoriasis paradoxal. Par ailleurs, une sclérose en plaques ou une insuffisance cardiaque de stade 3 ou 4 font exclure un anti-TNFα.
Quelle est la tolérance des autres biothérapies ?
Globalement, les biothérapies alternatives aux anti-TNFα sont toutes bien tolérées. Peu immunogènes, contrairement à l’adalimumab et surtout à l’infliximab, elles ne nécessitent pas d’ajouter un immunosuppresseur pour limiter l’apparition d’anticorps et maintenir leur efficacité qui augmente le risque infectieux. Dès qu’il sera mis à disposition, le risankizumab (Skyrizi 360 mg, à l’hôpital) sera intéressant compte tenu de sa bonne tolérance en dermatologie et de ses résultats d’efficacité. Et d’autres anti-IL-23 seront disponibles également prochainement comme le mirikizumab et le guselkumab. L’upadacitinib présente, lui, de bons résultats d’efficacité mais avec des précautions d’emploi qui limitent sa prescription.
Quand et comment arrêter les biothérapies ?
Les études sont peu nombreuses chez les patients atteints de maladie de Crohn mais il est possible de discuter un arrêt après plusieurs années en cas de maladie entièrement cicatrisée et, le cas échéant, de sevrage tabagique. Il faut alors surveiller l’absence de récidive, notamment grâce au dosage de la calprotectine fécale.
Avec l’aimable relecture du Dr Romain Altwegg, hépato-gastroentérologue au centre hospitalier universitaire de Montpellier (Hérault).
Article issu du cahier Formation du n°3545, paru le 18 janvier 2025.
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- 5/5 – Bibliographie : cahier Formation « La maladie de Crohn »
- L’essentiel à retenir sur la maladie de Crohn
- 4/5 – Conseils associés : soulager la maladie de Crohn et améliorer l’efficacité thérapeutique
- 2/5 – Thérapeutique : traiter la maladie de Crohn
- 1/5 – Pathologie : la maladie de Crohn en 5 questions
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