4/6 – Analyse d’ordonnance : contraception d’une adolescente épileptique

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4/6 – Analyse d’ordonnance : contraception d’une adolescente épileptique

Publié le 23 septembre 2024 | modifié le 25 novembre 2024
Par Delphine Guilloux
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Sibylle N., âgée de 15 ans, est suivie par un neurologue car elle souffre d’épilepsie myoclonique juvénile depuis ses 12 ans. L’introduction récente d’une contraception hormonale a déstabilisé sa maladie. Son traitement doit donc être modifié.

Cela faisait deux ans que la maladie de Sibylle était bien contrôlée grâce à une bithérapie constituée de lamotrigine (150 mg par jour) et de pérampanel (4 mg par jour) quand, il y a 2 mois, sa gynécologue lui a prescrit le contraceptif oral Leeloo. L’adolescente fait à nouveau des crises depuis quelques semaines. Ses parents ont donc pris précocement un rendez-vous avec son neurologue spécialiste. Accompagnée de sa maman, la jeune fille sort aujourd’hui de consultation.

Quel est le contexte de l’ordonnance ?

Que savez-vous de la patiente ?

Sibylle est une jeune fille bien connue de la pharmacie. Sa maladie a été diagnostiquée lorsqu’elle était en classe de sixième et ses débuts au collège ont été compliqués, tant psychologiquement que scolairement. Le traitement optimal a été difficile à trouver, différentes monothérapies s’étant avérées insuffisamment efficaces, mais elle est depuis 2 ans équilibrée avec 150 mg par jour de lamotrigine et 4 mg par jour de pérampanel. Elle a un petit ami depuis 1 an et a consulté dernièrement une gynécologue afin de pouvoir bénéficier d’une pilule contraceptive. Cela fait 2 mois qu’elle prend Leeloo (0,1 mg de lévonorgestrel et 0,02 mg d’éthinylestradiol). Elle a dernièrement refait 3 crises d’épilepsie, ce qui la rend très anxieuse, ainsi que ses parents, car tous gardent un très mauvais souvenir de celles qu’elle faisait auparavant. Avec sa mère, Sibylle est retournée voir son neurologue.

Que lui a dit le neurologue ?

Le neurologue a suspecté une explication iatrogène à ses crises. Il a alors rassuré l’adolescente et sa maman, en leur expliquant que sa maladie ne s’était pas à proprement parler aggravée, mais que très vraisemblablement sa pilule diminue l’efficacité de son traitement antiépileptique. En effet, les contraceptifs œstroprogestatifs peuvent augmenter le métabolisme hépatique de la lamotrigine, avec un risque de diminution de ses concentrations sanguines et de son efficacité. Le thésaurus des interactions médicamenteuses de l’Agence nationale de sécurité du médicament et de produits de santé (ANSM) classe l’interaction en précaution d’emploi et recommande une surveillance clinique ainsi qu’une adaptation de la posologie lors de la mise en route d’une contraception orale et après son arrêt. Face à la reprise des crises d’épilepsie, le neurologue décide donc d’ajuster le traitement de Sibylle, en passant de 150 à 200 mg par jour de lamotrigine.

La prescription est-elle cohérente ?

La lamotrigine est un antiépileptique qui bloque les canaux sodiques dépendants du voltage, ce qui inhibe la dépolarisation et la libération du glutamate (neuromédiateur excitateur).

Le pérampanel est un autre antiépileptique appartenant à la classe des antagonistes sélectifs et non compétitifs des récepteurs au glutamate de type α-amino-3-hydroxy-5-methyl-4-isoxazolepropionic acid (AMPA), localisés sur les neurones post-synaptiques.

Est-elle conforme à la stratégie thérapeutique de référence ?

Oui, les dernières recommandations de la Haute Autorité de santé (2020) préconisent de prescrire une bithérapie en cas d’échec du traitement par deux monothérapies successives.

Y a-t-il des contre-indications ?

Non, Sibylle ne présente aucune contre-indication. Les seules contre-indications à la lamotrigine et au pérampanel étant une hypersensibilité à la substance active ou à l’un des excipients.

Les posologies sont-elles cohérentes ?

Oui. Chez les adultes et les enfants à partir de 13 ans, la dose d’entretien de lamotrigine lorsqu’elle est associée à un autre antiépileptique non inducteur enzymatique puissant (comme c’est le cas du pérampanel) est de 100 à 200 mg par jour. Si l’association de pérampanel avec la lamotrigine ne nécessite pas d’adaptation de la posologie de cette dernière, une augmentation de la dose d’entretien de lamotrigine est en revanche rendue nécessaire par l’interaction avec le contraceptif œstroprogestatif. Il est alors possible d’aller jusqu’à doubler les posologies initiales de lamotrigine.

Quels conseils de prise donner ?

Sibylle connaît ce traitement puisque seule la posologie de la lamotrigine est modifiée. Ce changement de posologie est l’occasion de vérifier que les modalités de prise sont bien respectées et que les médicaments étaient bien tolérés, en dehors du problème récent lié à l’instauration d’une pilule contraceptive.

Efficacité du traitement. Sibylle pourra de nouveau vérifier l’efficacité du traitement par la disparition des crises d’épilepsie. Dans le cas contraire, elle devra consulter son neurologue pour adapter la posologie de la lamotrigine.

Recherche d’effets indésirables. À l’instauration de son traitement, Sibylle avait ressenti une certaine fatigue, des vertiges, une difficulté de concentration, et avait été incommodée par des troubles digestifs, mais elle se sent maintenant bien. Il faut toutefois l’informer que l’augmentation de la posologie de la lamotrigine peut de nouveau entraîner ces effets indésirables, qui devraient toutefois être transitoires. Le pharmacien rappelle à Sibylle et à sa maman le risque rare de réaction cutanée grave sous lamotrigine et pérampanel. La survenue de signes tels que fièvre, ganglions, décollement cutané, atteinte des muqueuses et/ou saignements nécessiterait une consultation en urgence. Il s’assure que Sibylle conserve bien sur elle la « carte patient », présente à l’intérieur de la boîte de lamotrigine, alertant sur les effets cutanés. Du fait d’un risque de photosensibilité avec cette molécule, il rappelle à Sibylle qu’elle doit particulièrement se protéger du soleil. Le pharmacien alerte également la maman de Sibylle sur le risque de trouble de l’humeur tout en la rassurant car ces effets ont principalement été observés à forte dose, de façon transitoire et d’intensité légère à modérée.

Blister sécurisé de Lamictal© GlaxoSmithKline – Blister sécurisé de Lamictal
Modalités de prise. Le pharmacien s’assure que Sibylle a compris les modalités de manipulation du nouveau blister de Lamictal, conçu pour protéger les enfants d’une ingestion accidentelle : il est nécessaire de séparer un comprimé en enlevant son alvéole, de décoller la pellicule extérieure en soulevant un coin indiqué par la flèche et de sortir le comprimé en poussant doucement le comprimé à travers la couche d’aluminium. Il rappelle à la jeune fille qu’il est préférable de prendre le pérampanel le soir pour limiter l’impact des vertiges et de la somnolence.

Qu’en pensez-vous ?

Quelques jours plus tard, Mme N. téléphone à la pharmacie le matin, dès son ouverture. Elle explique que sa fille a dormi chez une amie alors que ce n’était pas prévu, et vient de rentrer à la maison. Sibylle se demande si elle doit prendre le comprimé de pérampanel qu’elle n’a pas pu prendre la veille au soir. Que lui répondre ?

a) Sibylle doit prendre dès que possible le comprimé

b) Sibylle ne doit pas rattraper la prise omise

Réponse : Compte tenu de la longue demi-vie du pérampanel (105 heures), Sybille ne doit pas reprendre son comprimé de pérampanel. Elle prendra en revanche le comprimé de lamotrigine ce matin comme à l’accoutumée. Elle poursuivra la prise du pérampanel ce soir à l’heure habituelle. Il fallait donc choisir la seconde proposition.

En collaboration avec le Dr Norbert Khayat, épileptologue à l’hôpital Médipôle de Lyon (Rhône) et vice-président d’Épilepsie France

Article issu du cahier Formation du n°3511, paru le 26 avril 2024