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4/7 – Profils particuliers : quand les antidépresseurs sont à utiliser avec prudence
Grossesse, allaitement, problèmes urinaires, polymédication… Ces situations spécifiques doivent faire l’objet d’une attention particulière si le patient est traité par antidépresseur.
Cas 1 : Un heureux projet
Lilou D., 36 ans, est traitée depuis 4 mois pour des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) par de la fluoxétine à la posologie de 20 mg 1 fois par jour. En voie de guérison, elle fait part à sa pharmacienne d’un heureux projet : « Je me sens beaucoup mieux. Mes TOC ont quasiment disparu. Du coup, avec mon compagnon, nous allons enfin pouvoir envisager d’avoir un bébé. En revanche, j’ai vu sur la boîte de fluoxétine un pictogramme alertant sur les dangers pendant la grossesse. Cela signifie-t-il qu’il vaut mieux que nous attendions la fin de mon traitement ? »
ANALYSE DU CAS
Depuis un décret publié au Journal officiel en 2017, un pictogramme spécifique doit être apposé sur le conditionnement extérieur des médicaments tératogènes ou fœtotoxiques. Cette information issue des données de la monographie a pour but de sensibiliser les femmes enceintes ou en âge de procréer sans contraception efficace, aux dangers potentiels de leur traitement sur l’embryon ou le fœtus.
Il existe deux types de pictogramme :
- un rond avec une silhouette de femme enceinte barrée à l’intérieur avec la mention « Interdit » pour signifier que le médicament ne doit pas être utilisé ;
- un triangle avec une silhouette de femme enceinte et la mention « Danger » indiquant que le médicament ne doit pas être utilisé sauf en l’absence d’alternative thérapeutique.
Ces mentions sont visibles sur 60 % des médicaments existants. Or, selon le Centre de référence sur les agents tératogènes (Crat), seule une quinzaine de substances actives sont réellement tératogènes et une quarantaine fœtotoxiques.
Les discordances observées entre les données de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et celles du Crat s’expliquent par le flou autour des critères d’attribution des pictogrammes, instaurant un principe de précaution par les laboratoires. Ainsi, selon le Crat, si un antidépresseur est absolument nécessaire pendant la grossesse, certains inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), dont la fluoxétine, sont utilisables quel que soit le terme.
En revanche, la monographie de la fluoxétine, dont le conditionnement comporte le pictogramme « Danger », recense, par rapport à la population générale, une augmentation du risque de malformations cardiovasculaires pendant le premier trimestre de la grossesse (2/100 contre 1/100), du risque d’hypertension pulmonaire persistante du nouveau-né (5 cas pour 1 000 grossesses contre 1 à 2 cas) et d’hémorragie du postpartum (moins de 2 fois supérieur).
Par ailleurs, dans la littérature scientifique, des troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), ainsi que du spectre de l’autisme ont été recensés chez des enfants soumis à une exposition prénatale aux ISRS. Néanmoins, à ce jour, le lien de causalité n’a pas été démontré. Le Crat cite également la duloxétine, la venlafaxine, l’amitriptyline, la clomipramine et la mirtazapine comme pouvant être utilisées au cours de la grossesse. L’ANSM a mis en place, en janvier 2023, un comité scientifique temporaire afin de réévaluer le dispositif concernant le pictogramme « Femmes enceintes ».
ATTITUDE À ADOPTER
La pharmacienne conseille à Lilou de parler de son projet de grossesse avec le psychiatre qui la suit, ainsi que de prévoir une consultation préconceptionnelle avec son gynécologue.
À RETENIR : Les données concernant l’utilisation de la fluoxétine pendant la grossesse sont divergentes. Il est préférable de requérir un avis spécialisé avant la conception.

Cas 2 : Des troubles urinaires
Stéphane G., 68 ans, est traité depuis 4 mois par du milnacipran dosé à 50 mg (1 gélule matin et soir au cours des repas). Il vient cet après-midi renouveler son traitement à la pharmacie. Il profite de l’occasion pour évoquer les problèmes urinaires qu’il rencontre et qui le gênent de plus en plus dans sa vie quotidienne. Le pharmacien s’interroge.
ANALYSE DU CAS
La continence urinaire est régulée par le système sympathique et parasympathique. Une stimulation sympathique relâche le détrusor (muscle de la vessie) et contracte le sphincter urétral lisse. Inversement, le système nerveux parasympathique joue un rôle dans la vidange de la vessie en la contractant et en relâchant le sphincter lisse.
Le milnacipran est un inhibiteur mixte de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA). Il augmente la transmission noradrénergique et présente de ce fait un effet anticholinergique indirect qui peut produire des effets indésirables urinaires. Une dysurie (difficultés mictionnelles) et une pollakiurie (envie fréquente d’uriner) sont fréquemment rapportées. Une incontinence ou une rétention urinaire sont plus rarement observées. Par ailleurs, le milnacipran peut également être à l’origine d’une coloration foncée des urines (chromaturie).
ATTITUDE À ADOPTER
Le pharmacien soupçonne le milnacipran d’être la cause des troubles urinaires de M. G. Du fait de l’âge du patient, il ne peut exclure un adénome de la prostate dont les conséquences urinaires pourraient être aggravées par le minalcipran. Il lui recommande de consulter sans tarder son médecin qui pourra décider d’examens complémentaires et/ou de modifier son traitement.
À RETENIR : Du fait de son activité noradrénergique, le milnacipran induit fréquemment des troubles urinaires (dysurie, pollakiurie). Il doit être utilisé avec prudence chez les patients avec une hypertrophie prostatique.
Cas 3 : « Mon père perd la tête ! »
Elina vient renouveler l’ordonnance de son père, Yves B., âgé de 78 ans. En plus de traitements au long cours constitués par l’association losartan/hydrochlorothiazide et de l’oméprazole, le médecin lui a ajouté depuis 4 mois de la sertraline, à la suite du décès de sa femme. Elina rapporte au pharmacien que l’état de son père l’inquiète. Souvent confus, il n’a pas reconnu son petit-fils lors du dernier repas dominical.
ANALYSE DU CAS
Une confusion soudaine chez une personne âgée doit faire suspecter une hyponatrémie (natrémie inférieure à 135 mmol/l), qui peut également se traduire par une somnolence, une faiblesse, des nausées et des vomissements, une hypotension artérielle et des troubles neurologiques.
De fait, M. B est traité par trois médicaments susceptibles d’abaisser la natrémie : le losartan (antagoniste des récepteurs à l’angiotensine II), l’hydrochlorothiazide (diurétique thiazidique) et l’oméprazole (inhibiteur de la pompe à protons, ou IPP). Par ailleurs, la sertraline (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, ou ISRS), ajoutée depuis 3 mois à ce traitement, est également susceptible d’induire une hyponatrémie. Cet effet indésirable s’observe surtout lors des traitements longs et chez les patients âgés. L’association de ces différents médicaments expose donc à un risque majoré d’hyponatrémie par addition d’effets indésirables de même nature.
ATTITUDE À ADOPTER
Le pharmacien suspecte une potentielle hyponatrémie. Il encourage une consultation médicale dans les plus brefs délais pour une évaluation clinique (état d’hydratation, tension artérielle, fréquence cardiaque, évaluation cognitive) et biologique (ionogramme et fonction rénale) du patient et une réévaluation de son traitement (dans le cas présent, la pertinence du maintien au long cours du traitement par IPP doit être en particulier discutée).
À RETENIR : En cas de traitement par ISRS, la survenue d’une confusion soudaine chez un patient âgé, a fortiori polymédicamenté, doit faire suspecter une hyponatrémie et mener à une consultation médicale en vue d’un contrôle de l’ionogramme sanguin.
Avec l’aimable relecture de Claire Pollet, pharmacienne praticienne hospitalière, établissement public de santé mentale (EPSM) Lille-Métropole (Nord) et des Flandres, Emmanuelle Queuille, pharmacienne praticienne hospitalière, centre hospitalier Charles-Perrens, Bordeaux (Gironde), et Laurence Schadler, pharmacienne praticienne hospitalière, centre hospitalier Esquirol, Caen (Calvados), toutes membres du réseau Psychiatrie Information Communication (PIC).
Article issu du cahier Formation du n°3507, paru le 30 mars 2024
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