5/6 – Interactions : antiarythmiques, des associations sous surveillance

© Getty Images - Heart health treatment

Les antiarythmiques Réservé aux abonnés

5/6 – Interactions : antiarythmiques, des associations sous surveillance

Publié le 4 novembre 2024
Par Maïtena Teknetzian
Mettre en favori
À travers 3 cas de comptoir, entraînez-vous à repérer les associations de médicaments qui doivent alerter avec les antiarythmiques.

Cas 1 : Des douleurs atroces

En villégiature dans un gîte rural, Stéphane R., 60 ans, a été réveillé par d’atroces douleurs au gros orteil gauche. Le médecin généraliste qu’il a consulté a diagnostiqué une crise de goutte et prescrit de la colchicine : 1 comprimé dès que possible, suivi de 1 demi-comprimé 1 heure après, puis 1 demi-comprimé matin et soir jusqu’à disparition des symptômes. Quand le pharmacien consulte le dossier pharmaceutique de ce patient qu’il ne connaît pas, il s’aperçoit qu’une autre officine lui délivre régulièrement du vérapamil 120 mg.

ANALYSE DU CAS

La colchicine est un médicament à marge thérapeutique étroite, substrat de la P-glycoprotéine (P-gp), protéine d’efflux empêchant la diffusion de certains médicaments au travers de la muqueuse digestive, et du cytochrome P450 3A4 (CYP 3A4). Sa biodisponibilité peut donc être augmentée par les inhibiteurs de la P-gp et/ou du CYP 3A4, exposant à un risque de surdosage potentiellement létal.

Or, le vérapamil est inhibiteur du CYP 3A4 et de la P-gp. Son association avec la colchicine est déconseillée du fait d’un risque d’augmentation des concentrations plasmatiques et des effets indésirables de cette dernière (troubles digestifs, hématologiques et neuromusculaires).

ATTITUDE À ADOPTER

M. R. n’a pas indiqué la prise de vérapamil au médecin consulté. Le pharmacien appelle le généraliste, qui décide de remplacer la colchicine par un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS). L’usage prolongé de ce dernier étant susceptible d’augmenter la pression artérielle et de décompenser une cardiopathie sous-jacente, le médecin insiste sur le fait que le traitement devra être arrêté dès que les symptômes s’améliorent. Son choix se porte sur le naproxène, qui semble mieux toléré que d’autres molécules sur le plan cardiovasculaire.

ATTENTION : Le vérapamil est inhibiteur de la P-gp et du CYP 3A4. Son association avec la colchicine est déconseillée, en raison d’un risque d’augmentation des concentrations plasmatiques et de surdosage en colchicine.

Cas 2 : M. P. est déprimé

Amir P., 58 ans, est traité depuis quelque temps par amiodarone (100 mg par jour) dans le cadre d’une insuffisance coronarienne compliquée de troubles du rythme cardiaque. Très inquiet par l’état de son cœur, il n’a plus du tout le moral et se replie sur lui-même. Sur l’insistance de son épouse, il a consulté son médecin généraliste, qui a instauré un traitement antidépresseur par citalopram (20 mg par jour). À la lecture de l’ordonnance, le pharmacien est dubitatif.

ANALYSE DU CAS

L’amiodarone diminue l’excitabilité et la fréquence cardiaques, réduisant ainsi les besoins en oxygène du cœur, tout en augmentant le débit coronarien (par effet sur la musculature lisse artérielle), ce qui permet son utilisation chez le patient coronarien. Antiarythmique de classe III, elle agit en bloquant les canaux potassiques, ce qui retarde la repolarisation et allonge donc l’intervalle QT à l’électrocardiogramme (ECG).

Un allongement excessif de l’intervalle QT est facteur de torsades de pointe. Associer de l’amiodarone à d’autres médicaments torsadogènes est donc contre-indiqué ou déconseillé selon les molécules. D’après le thésaurus des interactions médicamenteuses de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), à la suite d’un arbitrage européen, l’association de l’amiodarone avec du citalopram, susceptible d’allonger l’intervalle QT, est contre-indiquée.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien appelle le médecin pour remplacer le citalopram par un autre inhibiteur de recapture de la sérotonine (à l’exception de l’escitalopram, également concerné par cette contre-indication). Il enregistre son intervention dans l’outil de recueil en ligne des interventions pharmaceutiques Act-IP Officine, développé par la Société française de pharmacie clinique (SFPC).

ATTENTION : Les antiarythmiques de classe III, tels que l’amiodarone, sont susceptibles d’allonger l’intervalle QT à l’ECG : leur association avec d’autres torsadogènes est selon le cas contre-indiquée ou déconseillée.

Cas 3 : Une mauvaise idée

Roselyne D., 65 ans, est hypertendue depuis plusieurs années et traitée par indapamide et trandolapril. Un récent déséquilibre tensionnel ainsi qu’une légère tachycardie ont conduit son médecin à ajouter à ce traitement du vérapamil (120 mg par jour). Renouvelant aujourd’hui son ordonnance, Mme D. se plaint de constipation et demande à Dorian, l’étudiant en pharmacie, du Dulcolax. Lorsque Dorian fait contrôler sa dispensation, la pharmacienne désapprouve.

ANALYSE DU CAS

Le bisacodyl (Dulcolax) est un laxatif stimulant d’action rapide (délai d’action de 5 à 10 heures). Un usage prolongé peut toutefois conduire à des pertes hydroélectrolytiques et à une hypokaliémie, facteur de troubles du rythme cardiaque graves (comme les torsades de pointe). Ainsi, l’association de ce type de laxatif avec d’autres médicaments hypokaliémiants nécessite une surveillance renforcée de la kaliémie.

Or, Mme D. est traitée par de l’indapamide, diurétique thiazidique hypokaliémiant. Jusqu’à présent, sa kaliémie est bien équilibrée puisqu’elle bénéficie aussi d’un traitement par du trandolapril, un inhibiteur d’enzyme de conversion qui, en inhibant le système rénine-angiotensine-aldostérone, a un effet hyperkaliémiant.

Par ailleurs, Mme D. est désormais traitée par du vérapamil, antiarythmique de classe IV. Déprimant l’activité du nœud sinusal et la contractilité cardiaque, ce dernier est susceptible d’induire fréquemment une bradycardie, elle-même pouvant favoriser les torsades de pointe. Il est donc indispensable que sa kaliémie reste bien équilibrée.

ATTITUDE À ADOPTER

L’usage du laxatif stimulant n’est pas une bonne idée, même ponctuellement, chez cette patiente. La pharmacienne s’interroge en outre sur l’origine de la constipation de Mme D., qui pourrait également être due au vérapamil, des troubles gastro-intestinaux (notamment une constipation) étant fréquemment rencontrés avec cette molécule.

La pharmacienne suggère à Mme D. de signaler sa récente modification du transit au médecin et lui propose un laxatif osmotique ou de lest plutôt que le laxatif stimulant. Elle encourage parallèlement la patiente à renforcer ses apports hydriques et à enrichir son alimentation en fibres.

À RETENIR : l’association des laxatifs stimulants, susceptibles d’induire une hypokaliémie, avec des médicaments bradycardisants est à éviter, en raison d’un risque de torsades de pointe.

Torsades de pointe et médicaments

On appelle torsades de pointe un trouble particulier du rythme cardiaque, avec tachycardie ventriculaire, potentiellement létal. Le risque est plus élevé chez les femmes et les personnes âgées.

La survenue de torsades de pointe est favorisée par un intervalle QT long. L’allongement de l’intervalle QT peut être congénital ou acquis, secondaire à une bradycardie, à des troubles ioniques (hypokaliémie ou hypomagnésémie) ou d’origine iatrogène.

Les médicaments susceptibles d’allonger l’intervalle QT sont notamment des antiarythmiques de classe Ia (hydroquinidine, disopyramide) ou de classe III (amiodarone, dronédarone, sotalol), des antidépresseurs (amitriptyline, citalopram, escitalopram, etc.), des anti-infectieux (macrolides en particulier administrés par voie intraveineuse, lévofloxacine, moxifloxacine, chloroquine, hydroxychloroquine, méfloquine, pentamidine, antifongiques azolés), de nombreux neuroleptiques, les antihistaminiques H1 (tels que les phénothiazines), la dompéridone, la méthadone, certains inhibiteurs de tyrosine kinase, et les anticholinergiques urinaires (chlorure de trospium et toltérodine, notamment).

Certaines interactions médicamenteuses majorent aussi ce risque. L’association de deux médicaments allongeant l’intervalle QT est contre-indiquée ou déconseillée, selon les molécules. Il convient également d’éviter l’association de médicaments hypokaliémiants (diurétiques de l’anse et thiazidiques, corticoïdes, laxatifs stimulants, etc.) avec des médicaments bradycardisants (ß-bloquants, digoxine, ivabradine, vérapamil, diltiazem, anticholinestérasiques, fingolimod et ponésimod, etc.) ou aux médicaments qui allongent l’intervalle QT.

Avec l’aimable relecture du Dr Christophe Berlemont, cardiologue à Chaville (Hauts-de-Seine), et le Dr Ghassan Moubarak, cardiologue et spécialiste en rythmologie à la clinique Ambroise-Paré – Hartmann à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).

Article issu du cahier Formation du n°3530, paru le 5 octobre 2024.