3/6 – Effets indésirables : 9 complications liées aux antiarythmiques

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3/6 – Effets indésirables : 9 complications liées aux antiarythmiques

Publié le 4 novembre 2024
Par Maïtena Teknetzian
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Éruption, photosensibilité, saignements gingivaux ou encore troubles de la vision… Focus sur 9 situations particulières pour rester vigilant face à des effets indésirables hétérogènes.

Cas 1 : Une éruption suspecte

Alexis G., 32 ans, souhaite montrer à la pharmacienne des lésions cutanées desquamantes au niveau des jambes, apparues depuis quelques semaines. Alors qu’elle le conduit dans la cabine d’orthopédie afin qu’il se déshabille à l’abri des regards, la professionnelle de santé se remémore que ce patient est traité pour une maladie de Bouveret (trouble du rythme cardiaque résultant de la présence d’un faisceau conducteur supplémentaire entre l’oreillette et le ventricule) par aténolol 100 mg.

ANALYSE DU CAS

Le patient présente sur ses genoux des plaques rouges bien délimitées, qui s’étendent partiellement le long des jambes. Certaines sont recouvertes d’épaisses squames blanchâtres, évoquant à la pharmacienne du psoriasis.

Or, certains médicaments peuvent induire ou exacerber un psoriasis. C’est le cas des ß-bloquants, qui sont à même de provoquer – rarement – des troubles cutanés tels que des éruptions psoriasiformes, sans caractère de gravité. L’utilisation de l’aténolol chez les patients atteints de psoriasis fait d’ailleurs l’objet d’une mise en garde dans le résumé des caractéristiques du produit.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne incite M. G. à signaler ses lésions aux jambes au cardiologue en vue d’une réévaluation du traitement. Dans un contexte de maladie de Bouveret, la survenue d’éruptions cutanées liées au ß-bloquant amène en effet son remplacement par un inhibiteur calcique bradycardisant (diltiazem ou vérapamil). En attendant, la professionnelle de santé insiste sur la nécessité de continuer le traitement et de ne surtout pas l’interrompre de lui-même.

A RETENIR : les ß-bloquants peuvent induire des éruptions psoriasiformes ou aggraver un psoriasis. Leur utilisation chez un patient déjà atteint de psoriasis doit être discutée.

Cas 2 : Attention au soleil !

Meriem V., une Marseillaise de 70 ans, est traitée par métoprolol depuis quelques mois en raison d’une fibrillation auriculaire. Après la survenue d’épisodes d’hypotension, le cardiologue a décidé de remplacer le ß-bloquant par de l’amiodarone (200 mg par jour). Mme V. fait part de son inquiétude au pharmacien : elle a lu sur des forums de discussion que ce médicament ne faisait pas bon ménage avec le soleil…

ANALYSE DU CAS

L’amiodarone diminue le seuil de sensibilité aux ultraviolets et peut entraîner une réaction disproportionnée de la peau exposée au soleil. Survenant généralement après quelques mois de traitement, la photosensibilisation concerne 25 à 75 % des patients traités au long cours et nécessite des mesures de prévention adaptées : ne pas s’exposer aux ultraviolets (y compris artificiels) mais rechercher l’ombre au maximum, porter des vêtements couvrants, un chapeau à large bord, des lunettes de soleil et utiliser une crème solaire très haute protection.

Par ailleurs, un traitement de longue durée par amiodarone peut aussi être responsable d’une hyperpigmentation caractéristique bleu liliacé ou gris ardoise. Concernant 9 % des patients, elle est liée à l’accumulation d’amiodarone et de ses métabolites au niveau des lysosomes dans les cellules de Langerhans de l’épiderme. La rémission complète peut prendre plusieurs années après l’arrêt du traitement, et dans certains cas, la pigmentation reste permanente. Cette hyperpigmentation siège principalement sur des zones exposées au soleil, notamment le visage. Elle peut être prévenue par les mêmes conseils que la photosensibilisation.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien explique à Mme V. l’importance de prendre ce nouveau traitement, qui ne provoque pas d’hypotension. Il lui prodigue les conseils pour se protéger du soleil et recommande un produit solaire de protection élevée (SPF 50) à appliquer sur le visage en cas d’ensoleillement, peu importe la saison. Il la rassure quant au risque d’hyperpigmentation qui concerne davantage les peaux très claires, ce qui n’est pas le cas de Mme V., et les fortes doses d’amiodarone.

À RETENIR : l’amiodarone peut, au long cours, être responsable de photosensibilisation et d’hyperpigmentation bleue ou grisâtre de la peau. S’assurer, lors des délivrances, que le patient a bien compris l’importance d’une protection solaire.

Cas 3 : Brosse à dents et dentifrice

Tanguy B., 67 ans, se plaint de saignements gingivaux. Il souhaite une brosse à dents très souple et un dentifrice pour les gencives irritées. Ces mots retiennent l’attention de la pharmacienne, qui connaît bien le traitement de M. B. comprenant du ramipril, de l’atorvastatine, du clopidogrel et du diltiazem.

ANALYSE DU CAS

Le traitement de M. B. comporte un hypocholestérolémiant (l’atorvastatine), un inhibiteur de l’enzyme de conversion (le ramipril), un antiagrégant plaquettaire (le clopidogrel) et un antagoniste calcique bradycardisant (le diltiazem). Deux de ces médicaments pourraient être à l’origine de ses gingivorragies : le clopidogrel, de par son action inhibitrice sur l’hémostase primaire, mais aussi le diltiazem. Comme d’autres inhibiteurs calciques, à l’instar du vérapamil – également bradycardisant –, mais aussi de certaines dihydropyridines (amlodipine, nifédipine, lercanidipine, etc.) qui sont dépourvues de propriétés antiarythmiques, le diltiazem peut induire une hypertrophie gingivale. Cette hyperplasie s’accompagne parfois de complications tels qu’une gingivite et des saignements, rendant la mastication douloureuse. Cet effet indésirable ne semble pas dose-dépendant et régresse à l’arrêt du traitement. Il requiert une bonne hygiène bucco-dentaire.

ATTITUDE À ADOPTER

M. B. ne se plaint pas d’autres saignements tels que des épistaxis ou des hémorragies digestives qui pourraient être imputés à l’effet antiagrégant du clopidogrel. Il reconnaît être gêné à la mastication depuis quelques jours. Sa prochaine consultation chez le cardiologue n’étant que dans deux mois, la pharmacienne lui recommande de prendre contact avec le spécialiste afin de solliciter son avis et de réévaluer le traitement. Elle conseille en attendant un bain de bouche, en plus d’une brosse à dents très souple et d’un dentifrice adapté.

À RETENIR : à l’instar de certaines dihydropyridines, les antagonistes calciques bradycardisants (vérapamil et diltiazem) peuvent provoquer une hyperplasie gingivale et des gingivopathies, réversibles à l’arrêt du traitement.

Cas 4 : « Je n’arrive plus à tricoter »

Un traitement par acétate de flécaïnide (100 mg par jour) a été instauré il y a quelques mois à Sylvie K., 71 ans. Venant renouveler son ordonnance, Mme K. rapporte à la pharmacienne être gênée par des troubles visuels : « Je vois souvent flou et, parfois, j’ai même l’impression de voir double. C’est très dérangeant, je n’arrive plus à compter mes mailles quand je tricote ! ».

ANALYSE DU CAS

Concernant plus de 1 patient sur 10, les troubles visuels sont des effets indésirables très fréquemment rapportés sous flécaïnide. Ils peuvent se manifester par une vision trouble et une diplopie. Beaucoup plus rarement, le flécaïnide est responsable de dépôts cornéens.

Ces effets indésirables justifient la présence d’un pictogramme alertant sur le risque lors de la conduite automobile de niveau 1 (voiture noire dans un triangle à fond jaune) sur le conditionnement extérieur. Le plus souvent, ils impliquent l’arrêt du traitement et le remplacement du flécaïnide par un autre antiarythmique.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne interroge la patiente pour savoir si elle prend d’autres médicaments, notamment en automédication, qui pourraient être responsables des troubles visuels décrits. Par exemple, des médicaments aux propriétés anticholinergiques potentiellement à l’origine de troubles de l’accommodation (tels que les antihistaminiques à visée antiallergique, antirhume, antiémétique ou sédative). Mme K. dit ne prendre que le traitement prescrit par son cardiologue, de la vitamine D prescrite par son généraliste et, occasionnellement, du paracétamol et du lactulose.

Compte tenu de l’âge de la patiente, une pathologie ophtalmique ne doit par ailleurs pas être exclue.

La pharmacienne préconise à Mme K. de faire part de ses troubles visuels au cardiologue, qui évaluera la conduite à tenir vis-à-vis du traitement en cours ou préconisera une consultation ophtalmique. Elle lui déconseille formellement de conduire tant que les troubles visuels perdurent.

À RETENIR : le flécaïnide peut être très fréquemment responsable de troubles visuels qui justifient son remplacement par un autre antiarythmique.

Cas 5 : Pierre a mal à la tête

Directeur d’une grande entreprise dans le secteur textile, Pierre S., 61 ans, est très actif et souvent soumis au stress. Il est traité depuis 2 mois par vérapamil (120 mg 2 fois par jour) pour une tachycardie supraventriculaire. Aujourd’hui, il vient acheter un antalgique car il souffre de céphalées, inhabituelles chez lui, qu’il impute à un surmenage professionnel. D’ailleurs, ses associés lui ont fait remarquer qu’il a le visage très rouge.

ANALYSE DU CAS

Le vérapamil est un antagoniste calcique. Il bloque l’entrée de calcium d’une part au niveau des cellules cardiaques, ce qui explique son effet bradycardisant et son usage en tant qu’antiarythmique, et d’autre part au niveau vasculaire. Il entraîne ainsi une relaxation des fibres musculaires lisses et un effet vasodilatateur artériel, permettant d’abaisser la résistance et la pression artérielles, ainsi que la postcharge cardiaque.

Cet effet vasodilatateur peut être à l’origine de céphalées et de flushs faciaux, qui font partie des effets indésirables les plus fréquemment rapportés sous vérapamil. Ils apparaissent généralement en début de traitement et s’atténuent lors de sa poursuite. Comme avec les dihydropyridines (antagonistes calciques non bradycardisants, donc non utilisés comme antiarythmiques), des œdèmes périphériques sont fréquemment à même de s’observer.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne rassure M. S. en lui expliquant que ses céphalées sont certainement liées à son traitement et qu’elles devraient s’améliorer d’ici quelques jours. Elle propose la prise de paracétamol mais déconseille l’ibuprofène, susceptible de décompenser une cardiopathie sous-jacente. Si les céphalées ne cédaient pas ou si des œdèmes des membres inférieurs apparaissaient, il faudrait les signaler au médecin.

À RETENIR : du fait de leurs propriétés vasodilatatrices, les inhibiteurs calciques peuvent fréquemment être responsables de bouffées vasomotrices et de céphalées en début de traitement. Le paracétamol est indiqué pour leur prise en charge.

Cas 6 : Cauchemardesque !

La maladie de Basedow a été diagnostiquée, il y a 2 mois, chez Marie T., 36 ans. L’endocrinologue a mis en place un traitement par antithyroïdien de synthèse (carbimazole) et propranolol 40 mg (2 comprimés par jour) afin de corriger la tachyarythmie associée à l’hyperthyroïdie. Aujourd’hui, Mme T. rapporte à la pharmacienne qu’elle dort très mal et qu’elle est fréquemment réveillée en sursaut par d’horribles cauchemars.

ANALYSE DU CAS

Si l’hyperthyroïdie s’accompagne de troubles du sommeil, ces derniers devraient désormais être améliorés par le carbimazole instauré depuis 2 mois. Il convient donc de rechercher une autre étiologie aux insomnies de Mme T., notamment une potentielle explication iatrogène.

En effet, le propranolol est un ß-bloquant très liposoluble dont le volume de distribution, estimé à 300 litres, témoigne de sa très bonne capacité à diffuser dans l’organisme, à franchir la barrière hématoencéphalique et à gagner le cerveau. Selon le résumé des caractéristiques du produit, des insomnies et des cauchemars sont ainsi fréquemment décrits, et concernent 1 à 10 patients sur 100.

ATTITUDE À ADOPTER

En discutant avec Mme T., la pharmacienne apprend qu’elle va prochainement faire une prise de sang en vue d’un bilan thyroïdien. Elle lui suggère d’évoquer ses cauchemars avec l’endocrinologue quand elle lui transmettra ses résultats d’analyse.

Quelques jours plus tard, la patiente passe à la pharmacie donner de ses nouvelles. Satisfait de ses résultats biologiques, l’endocrinologue pense que les signes cliniques d’hyperthyroïdie devraient s’améliorer sous peu et a réduit la posologie du propranolol à 1 seul comprimé par jour, à prendre préférentiellement le matin pour limiter les cauchemars.

À RETENIR : les ß-bloquants liposolubles, comme le propranolol, peuvent induire des cauchemars et des insomnies.

Cas 7 : Confession intime

Mathieu O., la cinquantaine, est traité depuis 2 ans pour une hypertension artérielle et une dyslipidémie par losartan et pravastatine. Des palpitations ressenties par le patient ont conduit le cardiologue à remplacer dernièrement le losartan par du nadolol (80 mg par jour). Aujourd’hui, l’air visiblement déprimé, M. O. demande à s’entretenir avec son pharmacien à l’abri de toute oreille indiscrète. Embarrassé, il finit par se plaindre d’une grande fatigue et de troubles érectiles.

ANALYSE DU CAS

L’hypertension artérielle et la dyslipidémie de M. O. sont des facteurs de risque de dysfonction érectile. Toutefois, leur bonne prise en charge par des moyens pharmacologiques associés à des conseils d’hygiène de vie auxquels se contraint M. O., permet une amélioration de la fonction sexuelle. En outre, les troubles de M. O. sont apparus peu après qu’il a commencé son nouveau traitement par nadolol. Il convient donc de se demander si ce dernier peut en être à l’origine. En effet, les ß-bloquants sont, d’une part, fréquemment responsables d’asthénie, notamment en début de traitement, et, d’autre part, vasoconstricteurs, en particulier les molécules non cardiosélectives comme le nadolol. Ils peuvent de ce fait provoquer un refroidissement des extrémités, voire un syndrome de Raynaud et une impuissance chez les hommes, laquelle représente l’un des effets indésirables les plus fréquemment rapportés dans la monographie du nadolol.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien encourage M. O. à signaler son problème au cardiologue en vue de réévaluer le traitement par nadolol. Ce dernier pourra être éventuellement remplacé par un ß-bloquant cardiosélectif ou le nebivolol, un ß-bloquant qui, en stimulant la transformation de la L-arginine en monoxyde d’azote, présente des propriétés vasodilatatrices et favorise l’afflux sanguin (voir page 12), ou encore un inhibiteur calcique bradycardisant. En attendant l’avis médical, le pharmacien insiste sur l’importance de respecter son traitement. Pour répondre à la demande du patient, il lui propose d’essayer le gel Eroxon, qui stimule la circulation sanguine au niveau du pénis et qui est disponible sans ordonnance.

A RETENIR : en raison de leurs propriétés vasoconstrictrices, les ß-bloquants non cardiosélectifs, en particulier, peuvent provoquer une impuissance.

Cas 8 : « Je me sens barbouillé »

Francis U. a récemment commencé un traitement par propafénone. Après une première semaine à la dose quotidienne de 300 mg, M. U. prend depuis quelques jours le double, soit un comprimé matin et soir, et il ne se sent pas bien : « Je suis barbouillé avec des haut-le-cœur et un mauvais goût dans la bouche. J’ai l’impression que le médicament que m’a prescrit le cardiologue ne me réussit pas du tout. ».

ANALYSE DU CAS

La propafénone peut fréquemment induire des troubles digestifs. Concernant entre 1 patient sur 100 et 1 patient sur 10, ces troubles peuvent le plus souvent se manifester par des douleurs abdominales, des nausées et des vomissements, des troubles du transit, une sécheresse buccale, mais aussi par des flatulences et une diminution de l’appétit.

Ces effets indésirables sont généralement marqués en début de traitement mais s’améliorent à la poursuite de celui-ci.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien insiste sur la nécessité de ne surtout pas interrompre le traitement sans en parler au médecin. Il rassure le patient en lui expliquant que les troubles digestifs sont habituellement transitoires. Il vérifie que M. U. respecte bien les modalités de prise de la propafénone : les comprimés pelliculés sont à avaler de préférence après un repas sans les croquer ou les sucer en raison du goût amer de la molécule.

Si les troubles persistaient ou s’aggravaient avec l’apparition de vomissements ou une répercussion sur les apports alimentaires, il faudrait consulter le cardiologue. Le pharmacien met également en garde sur les éventuels dangers liés à une automédication antiémétique avec des produits dont le patient pourrait disposer dans son armoire à pharmacie, en particulier avec la dompéridone qui est proarythmique.

À RETENIR : la propafénone peut fréquemment induire des troubles digestifs en début de traitement. Généralement transitoires, ils ne doivent pas être soulagés par de la dompéridone, proarythmique.

Cas 9 : Une hypothyroïdie persistante

Édith I., 76 ans, est suivie par un cardiologue pour une fibrillation auriculaire et une insuffisance cardiaque. Elle est traitée depuis près de 1 an par de la spironolactone 25 mg (1 comprimé le matin), du bisoprolol 2,5 mg (2 comprimés par jour), de l’apixaban 2,5 mg (2 comprimés par jour) et de l’amiodarone (1 demi-comprimé à 200 mg le matin). Cet après-midi, visiblement inquiète, elle montre au pharmacien ses résultats d’analyse biologique qui révèlent une thyréostimuline (TSH) à 19,2 mUI/l (normale entre 0,35 et 4,3 mUI/l) et une thyroxine (T4) à 0,83 ng/dl (normale entre 0,92 et 1,68 ng/dl).

ANALYSE DU CAS

Le traitement de Mme I. comporte un diurétique antialdostérone, la spironolactone ; un ß-bloquant indiqué dans l’insuffisance cardiaque, le bisoprolol ; un anticoagulant oral direct, l’apixaban, visant à prévenir le risque thromboembolique lié à la fibrillation auriculaire, majoré chez les femmes, les patients âgés, et en cas d’insuffisance cardiaque associée ; et un antiarythmique de classe III, l’amiodarone, faisant partie des molécules recommandées en première intention dans la fibrillation auriculaire, notamment chez l’insuffisant cardiaque.

L’amiodarone, dont la structure chimique est proche de celles des hormones thyroïdiennes, est riche en iode (75 mg par comprimé de 200 mg). Elle est en outre très lipophile et a tendance à s’accumuler dans les organes gras comme la thyroïde dont elle peut altérer le bon fonctionnement.

Dans les premiers mois après son introduction, l’amiodarone entraîne une surcharge iodée à l’origine d’une diminution de la captation des ions iodures par la thyroïde : c’est l’effet Wolff-Chaikoff. Il se traduit par une diminution des taux d’hormones thyroïdiennes T3 et T4 (la thyroïde, qui capte moins d’iodure, synthétise moins d’hormones thyroïdiennes) et une augmentation modérée de la thyréostimuline (TSH inférieure à 10 mUI/l) du fait d’un rétrocontrôle positif sur l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien. Dans un second temps, la thyroïde s’adapte à la surcharge iodée et, après les 3 premiers mois de traitement, la TSH redevient normale : on parle d’échappement à l’effet de Wolff-Chaikoff. Les hypothyroïdies induites par l’amiodarone surviennent généralement dans les 10 premiers mois de traitement et concernent 4 à 22 % des patients, davantage les femmes et les personnes âgées. Elles s’expliquent par un non-échappement à l’effet Wolff-Chaikoff.

Ainsi, si dans les 3 premiers mois de traitement par amiodarone, une augmentation modérée de la TSH peut être considérée comme normale, il n’en est pas de même au-delà. Les résultats de Mme I., traitée par amiodarone depuis presque 1 an, ne doivent donc pas être banalisés.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien suspecte fortement un effet indésirable de l’amiodarone. Toutefois, une autre cause d’hypothyroïdie n’est pas à exclure. La pharmacienne enjoint donc Mme I. à communiquer au plus vite ses résultats d’analyse au cardiologue.

Quinze jours plus tard, Mme I. revient à l’officine. Elle explique au professionnel de santé que son cardiologue l’a adressée à un endocrinologue qui, après quelques examens complémentaires, a confirmé l’origine iatrogène de l’hypothyroïdie. En concertation avec le cardiologue, il a été décidé de maintenir l’amiodarone (particulièrement adaptée en cas d’insuffisance cardiaque) et d’instaurer un traitement par lévothyroxine.

À RETENIR : toute élévation de la TSH objectivée après 3 mois de traitement par amiodarone doit faire suspecter une hypothyroïdie iatrogène. Celle-ci ne nécessite généralement pas l’arrêt de l’amiodarone, mais une substitution par lévothyroxine.

Amiodarone et hyperthyroïdie

Si l’hypothyroïdie concerne davantage les femmes traitées par amiodarone, le sexe masculin est un facteur prédisposant à la survenue d’une hyperthyroïdie.

Celle-ci est le plus souvent brutale et d’intensité sévère, bien que les palpitations et la tachycardie soient souvent absentes du fait de l’effet bradycardisant de l’amiodarone. Un amaigrissement inexpliqué constitue un signe d’appel qui doit amener à doser la TSH dont l’effondrement signe l’hyperthyroïdie.

Elle peut se manifester jusqu’à plusieurs mois après l’arrêt de l’amiodarone en raison de sa longue demi-vie (20 à 100 jours selon les patients).

L’interruption de l’amiodarone, au moins temporaire, est le plus souvent impérative.

On distingue deux types d’hyperthyroïdie liée à l’amiodarone :

  • Le type 1, chez des patients avec une pathologie thyroïdienne sous-jacente révélée par le traitement antiarythmique s’explique par une augmentation de la synthèse d’hormones thyroïdiennes liée à la surcharge iodée ;
  • Le type 2, chez des patients dont la thyroïde est « saine », est dû à un effet cytotoxique de l’amiodarone provoquant une thyroïdite destructrice et un relargage massif d’hormones thyroïdiennes dans le sang.

Avec l’aimable relecture du Dr Christophe Berlemont, cardiologue à Chaville (Hauts-de-Seine), et le Dr Ghassan Moubarak, cardiologue et spécialiste en rythmologie à la clinique Ambroise-Paré – Hartmann à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).

Article issu du cahier Formation du n°3530, paru le 5 octobre 2024.