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Prévention des troubles intestinaux : quelle place pour les probiotiques ?

Publié le 4 novembre 2023
Par Violaine Badie
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Prises de médicaments, transit perturbé… A quel moment une cure de probiotiques s’avère-t-elle intéressante, voire nécessaire ? Quels conseils hygiénodiététiques donner pour accompagner leur recommandation ?

 

Depuis quelques années, tous les regards sont rivés sur lui. Notre microbiote intestinal joue un rôle central dans l’évolution de notre état de santé. Nombreux sont les facteurs susceptibles de l’agresser, engendrant déséquilibres et symptômes variés. Destinés à le soutenir, les compléments alimentaires à base de probiotiques se multiplient. S’ils ne peuvent constituer une solution miracle à eux seuls, leur intérêt se justifie dans certains cas, notamment lors de suspicion de dysbiose.

 

Bien évidemment, aucun symptôme ne peut être interprété individuellement. Cependant, quand toute autre cause éventuelle a été écartée, certains troubles persistants peuvent signifier que le microbiote intestinal souffre. Daniel Sincholle, docteur en pharmacie et pharmacologue, auteur de Super microbiote chez Thierry Souccar Editions (2023), liste les principaux signes à connaître : des troubles digestifs chroniques (diarrhées, constipation, ballonnements ou même reflux gastroœsophagien), une anxiété récurrente, une prise de poids non justifiée (sans excès calorique, avec une alimentation équilibrée et une bonne activité physique), une tendance à tomber souvent malade, notamment en période hivernale où sévissent nombre de virus, des éruptions cutanées fréquentes (de type eczéma, urticaire, psoriasis, etc.).

 

« Plus que la modification de la composition même du microbiote, c’est la qualité de son interaction avec l’hôte qui importe », développe Joël Doré, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et chercheur au sein des unités Micalis et MetaGenoPolis. « Un déséquilibre du microbiote intestinal entretient une inflammation de bas grade, avec notamment une augmentation de la perméabilité intestinale. Dans un environnement défavorable aux bactéries bénéfiques, ce système peut donc s’autoentretenir. »

Amis et ennemis du microbiote

 

« Le facteur qui modifie le plus notre microbiote intestinal est bien évidemment notre alimentation, explique Daniel Sincholle. Il faut prendre soin de consommer suffisamment de prébiotiques, les nutriments dont se nourrissent les bactéries favorables à une bonne santé, à travers les fibres alimentaires contenues dans les légumes. » Parmi les autres facteurs reconnus pour influer de manière positive sur la diversité et la richesse du microbiote intestinal, on peut citer l’activité physique et un bon sommeil (suffisant et de qualité).

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A l’inverse, une alimentation trop riche en sucres et en matières grasses favorise le développement de bactéries pro-inflammatoires. C’est également le cas du stress chronique, de la consommation excessive d’alcool, du tabac. L’excès d’hygiène, avec l’usage trop fréquent de produits désinfectants pour les mains ou pour l’entretien de la maison, participe à l’appauvrissement des différents microbiotes : cutané, buccal, intestinal, etc.

 

L’effet délétère de nombreuses classes médicamenteuses est aussi bien documenté. Parmi les médicaments à surveiller, les antibiotiques sont les plus connus, en raison de leur activité bactéricide. Certains antiviraux et antifongiques participent à perturber l’équilibre de l’écosystème intestinal, relève un bulletin d’information publié sur le site du Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance*. Qui complète : « En revanche, il est moins connu que près d’un quart des médicaments non-antibiotiques peuvent aussi perturber le microbiote. » Dans la liste des molécules à l’effet démontré, le bulletin cite les inhibiteurs de la pompe à protons, la metformine, les anti-inflammatoires non-stéroïdiens, les antipsychotiques de deuxième génération. D’autres classes médicamenteuses sont, quant à elles, « évoquées dans la modification du microbiote intestinal : statines, opioïdes, inhibiteurs calciques, hormones thyroïdiennes, antimétabolites ».

 

La prise de probiotiques pour le soutien de la santé du microbiote n’intervient qu’après les mesures hygiénodiététiques mentionnées précédemment. « Dès lors que vous êtes en présence d’un symptôme intestinal persistant, il est pertinent de se poser la question de leur emploi », complète le chercheur Joël Doré. Selon lui, « associer des probiotiques à la prise d’antibiotiques devrait être systématique. Les dossiers scientifiques sur ce sujet sont très solides. Même s’ils ont été déremboursés dans cette indication, l’Organisation mondiale de gastroentérologie les recommande. » Les souches probiotiques les plus documentées dans la prévention des diarrhées liées à un traitement antibiotique sont Saccharomyces boulardii et Lactobacillus rhamnosus GG.

 

« Il peut bien évidemment être intéressant d’explorer la piste des probiotiques dans d’autres contextes de troubles intestinaux, notamment quand ils sont associés à une perméabilité intestinale accrue, qui peut se manifester par des intolérances alimentaires, des symptômes cutanés ou un ressenti psychologique altéré de type stress, anxiété, dépression », poursuit le directeur de recherche à l’Inrae. Vers quelles souches se tourner dans ces cas ? Il est plus difficile de se prononcer. « Malheureusement, il y a assez peu d’études scientifques solides, comprenant des essais randomisés en double aveugle, qui comparent la souche à un placebo. » Sur le marché des compléments alimentaires de probiotiques, les bactéries lactiques semblent tout de même être les plus indiquées.

 

Au moment d’envisager une cure de probiotiques, Joël Doré rappelle qu’il ne faut pas en espérer des effets spectaculaires : « L’équilibre de la symbiose entre le microbiote et l’hôte dépend de très nombreux facteurs et la réponse de l’organisme à telle ou telle souche probiotique est imprévisible. Il peut très bien arriver que notre propre microbiote empêche certains probiotiques de prendre leur place dans l’écosystème microbien. » La solution peut être de tester un probiotique pendant quelques semaines, puis d’en évaluer les bénéfices. S’ils semblent inexistants, une autre souche peut être utilisée.

Ancienne et nouvelle générations

 

Les apports de probiotiques via l’alimentation restent une piste judicieuse et peu coûteuse pour tenter d’améliorer son équilibre intestinal. A ce titre, Daniel Sincholle rappelle que les yaourts sont une source précieuse de bactéries lactiques bénéfiques, « d’autant plus ceux faits maison qui fermentent jusqu’à 30 heures », contre seulement 4 heures en général pour les yaourts du commerce.

 

« Depuis 2006, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a remis à zéro tous les dossiers sur les probiotiques dits d’“ancienne génération”, qui se retrouvent dans un vide juridique. En l’absence de conclusions officielles, cela amène les nutritionnistes à répondre aux patients qu’il existe une possibilité que ces produits fonctionnent chez eux, mais sans vraie certitude », regrette Joël Doré.

 

Les références de compléments alimentaires à base de probiotiques d’« ancienne génération » (principalement lactobacilles et bifidobactéries issus de l’environnement et de l’alimentation) proposent de plus en plus des compositions associant des prébiotiques, voire des postbiotiques. « Ces derniers représentent des molécules fabriquées par les bactéries elles-mêmes. Nous n’avons pas suffisamment d’information pour savoir si l’apport de certains composés seuls peut avoir un effet sur l’amélioration des troubles intestinaux », conclut le chercheur.

 

Au fur et à mesure que se renforcent les connaissances sur le lien entre état du microbiote et maladies chroniques, les essais cliniques semblent désormais se concentrer sur des probiotiques de nouvelle génération, composés de bactéries habituellement présentes dans le microbiote intestinal humain, dans un but cette fois plus thérapeutique que préventif.

  • * « Ces médicaments qui perturbent notre microbiote intestinal », article extrait du Bulletin d’information en pharmacovigilance n° 3 de Nouvelle-Aquitaine.