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Mieux connaître le cannabis

Publié le 2 mars 2002
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Alors que plus de la moitié des Français de 18 ans ont consommé au moins une fois du cannabis, les interrogations demeurent vives quant à cette drogue. L’expertise collective de l’INSERM publiée en novembre dernier et les recommandations de l’Académie de médecine de la semaine dernière soulignent la nécessité d’approfondir les recherches sur un produit de plus en plus banalisé. Etat des lieux.

La résine de cannabis, riche en tétrahydrocannabinol (THC) psychoactif, constitue la matière première de l’une des drogues illicites les plus répandues aujourd’hui : le haschisch. Selon le rapport 2002 de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, la France compte 9,5 millions d’expérimentateurs, 3,3 millions d’usagers occasionnels et 280 000 usagers quotidiens.

Une vigilance diminuée

Décrite dès le XIXe siècle, l’ivresse cannabique, sensation euphorique de détente et de bien-être que l’on relie aux propriétés anxiolytiques et myorelaxantes du THC, explique l’intérêt porté à sa consommation et la dépendance psychologique qui s’installe chez l’utilisateur régulier. Ces signes, totalement réversibles, ne sont pas alarmants, mais entraînent une diminution de la vigilance qui peut être fatale au volant (lire « Le Moniteur » 2433 p. 12).

Des effets cancérogènes certains

La teneur en goudron d’un « joint » associant cannabis et tabac est très supérieure à celle d’une simple cigarette de tabac (50 mg contre 12 mg). Les goudrons résultant de la combustion du cannabis sont plus riches en substances cancérogènes et les propriétés bronchodilatatrices du THC concourent à favoriser le dépôt et la rétention des goudrons dans les bronches. Le potentiel cancérogène du cannabis est donc, comme celui du tabac, lié à son mode de consommation et aux goudrons inhalés lors de sa combustion.

Aujourd’hui, il semble certain que l’association cannabis et tabac se traduit par un développement plus précoce des cancers bronchopulmonaires, parfois même avant l’âge de 45 ans, chez des sujets ayant associé ces deux produits durant plusieurs années.

Des troubles psychiques non négligeables

Des troubles psychiques aigus sont décrits chez des usagers plus vulnérables à l’activité psychoactive du THC, parfois même lors d’un usage isolé. Ils se traduisent par des manifestations faisant évoquer une bouffée délirante, avec excitation, dissociation de la pensée, idées fixes, convictions délirantes, illusions, voire hallucinations et confusion mentale. La consommation de préparations de plus en plus concentrées en THC et le passage à une utilisation régulière de la drogue (excédant dix fois par mois) peuvent avoir des conséquences psychiques non négligeables. Ainsi, un syndrome amotivationnel, se traduisant par des troubles de la mémoire, une apathie, une inhibition psychomotrice et des centres d’intérêt portant avant tout sur le cannabis et son usage, est fréquemment décrit chez les personnes utilisant de façon régulière du haschisch ou de la marijuana, avec des conséquences souvent néfastes sur la scolarité des adolescents.

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Des psychoses possibles

L’existence de psychoses induites par le cannabis, longtemps objet de controverse, est aujourd’hui avérée mais demeure d’une incidence très faible. D’évolution brève, variant entre quelques jours et trois mois, elles évoquent la clinique des bouffées délirantes, à laquelle s’associerait une désinhibition psychomotrice, des hallucinations non verbales (sensorielles, visuelles, olfactives…) et un sentiment de « dépersonnalisation ». Le début est très brutal et l’évolution rapidement favorable sous traitement antipsychotique.

Une dépendance plutôt faible

La dépendance semble demeurer faible, et avant tout d’ordre psychologique. Compte tenu de l’importance de la population des usagers de la drogue, cette dépendance peut concerner un grand nombre de personnes ayant des difficultés à se priver des effets anxiolytiques et sédatifs de la plante. Selon des études présentées par l’Académie de médecine, des signes de sevrage sont parfois observés. De plus, les cannabinoïdes utilisés au long cours pourraient induire une vulnérabilité vis-à-vis d’autres drogues.

Aucun cas de décès par intoxication aiguë

L’usage de cannabis n’a pas d’incidence aiguë sur le plan somatique. Il n’existe aucun cas de décès par intoxication aiguë. Une utilisation isolée peut néanmoins entraîner une augmentation du rythme cardiaque, une hypotension orthostatique par vasodilatation périphérique, des céphalées, une toux signant une irritation bronchique, une irritation conjonctivale, une sécheresse buccale et une rétention urinaire. Tous ces signes s’estompent chez l’usager habitué en raison de la tolérance au produit. Les conséquences d’une utilisation chronique peuvent être plus sévères. La toxicité pulmonaire se traduit par une réaction inflammatoire, un syndrome obstructif et une modification de la perméabilité alvéolaire. Sur le plan endocrinien, on a décrit une réduction modérée des taux sériques de diverses hormones sexuelles (testostérone, LH, FSH), mais il n’y a aucune preuve que l’usage chronique de cannabis, même en quantité importante, soit à l’origine d’une quelconque hypofertilité chez l’homme comme chez la femme.

Des conséquences minimes sur le foetus

Une utilisation occasionnelle de cannabis par la future maman ne donne pas lieu à des différences significatives par rapport à un groupe témoin de femmes non fumeuses, en ce qui concerne le poids, la taille, le périmètre crânien et l’âge gestationnel du foetus. En revanche, lorsque la consommation est chronique et importante, on observe une réduction de la croissance in utero toutefois inférieure à celle couramment décrite chez les mères ayant fumé du tabac pendant la grossesse. Il n’y a pas d’anomalies physiques induites chez l’enfant. Quelques études suggèrent que des troubles du comportement des enfants de mères consommatrices régulières de cannabis puissent être liés à cette pratique, mais il est difficile de faire la part de ce qui revient au produit et à sa consommation de ce qui découle de l’environnement postnatal, dans des milieux souvent socialement défavorisés.

Analgésique et orexigène chez le sidéen dénutri

Si le THC est un bronchodilatateur puissant, la médecine actuelle dispose d’autres produits aussi actifs mais dénués d’effets centraux. Il est aussi connu pour ses propriétés antiglaucomateuses, synergiques de celles des médicaments administrés classiquement (bêtabloquants, inhibiteurs de l’anhydrase carbonique), mais les cas étudiés restent épars et ne constituent pas une validation de l’usage du cannabis dans le glaucome. L’un des cannabinoïdes de synthèse les plus utilisés, la nabilone, bénéficie d’une AMM au Canada et en Grande-Bretagne, notamment dans la prévention des nausées et vomissements chez le sujet sous chimiothérapie émétisante. Surtout, le cannabis se révèle intéressant comme orexigène, chez le sujet sidéen dénutri et comme analgésique.

En France, le droit actuel ne permet pas d’importer et d’utiliser cette plante à des fins thérapeutiques (tribunal administratif de Paris, 29 mai 2001) mais le secrétaire d’Etat à la Santé Bernard Kouchner a annoncé fin 2001 la promotion d’essais cliniques destinés à évaluer les indications potentielles du cannabis, notamment en tant qu’antalgique.

Les recommandations de l’Académie nationale de médecine

Devant l’évolution actuelle de la consommation de cannabis, l’Académie nationale de médecine émet des recommandations plutôt tranchées.

– Combattre la banalisation du cannabis et lutter contre les informations tronquées ou partiales occultant les altérations que favorisent les modalités de consommation et la nature du produit. – Utiliser toutes les mesures légales ou judiciaires pour réduire l’offre de cannabis ou d’autres drogues illicites (dans les établissements scolaires et les raves notamment).

– Repérer l’usage de drogues chez les jeunes, maintenir un dialogue non culpabilisant enfants-parents et faciliter la prise en charge précoce.

– Développer l’information et la formation auprès des jeunes, des parents, des enseignants et des acteurs de santé.

– Etendre la détection de la consommation à tous les accidents corporels de la circulation ou du travail, mais aussi aux actes de violence ainsi que lors de toute manifestation psychiatrique aiguë.

– Développer la recherche sur les déterminants psychosociaux de la consommation de drogues, les facteurs de vulnérabilité individuelle, ainsi que sur les altérations neurobiologiques consécutives à la prise de ces substances isolées ou en association. L.L.