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Le pharmacien à la ramasse

Publié le 26 août 2006
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L’automne approche, avec ses petits rhumes, ses fatigues de la rentrée… et ses champignons. Les amateurs de bonnes poêlées vont venir vous demander conseil. Mais la mycologie n’est-elle pas un art qui se perd en pharmacie ?

Le « pharmacien connaisseur », qui bien souvent aura refait sa vitrine en conséquence, sera toujours prêt à prodiguer ses conseils quasi infaillibles aux cueilleurs de champignons. Celui-là, son nom circule de bouche à oreille parmi les amateurs. Et puis il y a tous les autres, gênés aux entournures quand approchent les ramasseurs néophytes. La seule solution consiste souvent à envoyer l’« importun » chez un collègue. Ou opter pour la réponse toute faite, une fois le sac plastique ouvert sur le comptoir : « Il y a bien ce petit champignon, là au milieu de votre collecte, qui me paraît suspect, vous devriez tout jeter. » Mais pourquoi le pharmacien n’est-il plus ce fin connaisseur de champignons d’antan ?

Un enseignement pourtant plus poussé qu’autrefois.

Il y a d’abord l’enseignement en faculté. Les quelques heures de mycologie dispensées durant le cursus sont-elles suffisantes ? Non, répondent en choeur les mycologues. « La mycologie demande des milliers d’heures d’études », explique Alain Bellocq, président des Mycologiades de Bellême. « L’enseignement en fac est toutefois plus approfondi qu’il y a une trentaine d’années, tempère Louis Chavant, responsable du diplôme universitaire de mycologie à l’université de Toulouse. Maintenant, il y a des sorties sur le terrain, alors qu’avant on étudiait des champignons conservés dans du formol. » Les plus anciens gardent en mémoire ces champignons de plâtre utilisés pour tester leurs connaissances, ou encore ces planches, certes artistiques, mais un peu éloignées du terrain. Aujourd’hui, les enseignants n’hésitent pas à chausser leurs bottes pour ramener des spécimens frais, ou encore à emmener leurs étudiants directement sur le terrain. Louis Chavant reste donc positif en ce qui concerne l’enseignement actuel : « Pour les étudiants qui ont fait l’effort de travailler cela se passe bien. En stage en officine, les pharmaciens se disent même étonnés et satisfaits de voir que les étudiants connaissent bien leurs bases. »

Vaut-il mieux alors faire examiner sa cueillette par un pharmacien de Toulouse, de Paris ou de Brest ? Tout dépend des enseignants. Certaines facultés ont la chance de compter de véritables mycologues parmi leur corps professoral, d’autres n’ont même pas d’enseignants en botanique ou en mycologie. Régis Courtecuisse, président de la Société mycologique de France et enseignant à l’université de Lille, souligne que « cela dépend aussi du contexte universitaire. Aujourd’hui, il y a un glissement de l’enseignement en faculté vers les disciplines purement biologiques, voire hospitalières, ce qui est en décalage par rapport aux proportions d’étudiants formés : 80 à 90 % sont destinés à l’officine et certaines matières purement officinales sont négligées ». Alain Bellocq le rejoint : « Les pharmaciens font de moins en moins de préparations, ils ne sont plus les naturalistes qu’ils étaient. »

Une spécialisation peu lucrative.

« Il y a encore des facultés de pharmacie où l’on se bat pour défendre cette formation du pharmacien dans le domaine du savoir naturaliste et environnemental », rassure Régis Courtecuisse. Mais cela suffit-il à faire des mycologues compétents ? Si, une fois installés, tous les pharmaciens ne se sentent pas capables de reconnaître des champignons, la faute n’est pas uniquement imputable à l’enseignement. C’est aussi une question de motivation. Régis Courtecuisse le constate chaque année : « A Lille, de nombreuses thèses en mycologie sont présentées. Dans cet ensemble d’étudiants intéressés par la mycologie, un ou deux seulement restent en contact avec la Société mycologique. » Il est vrai que la mycologie représente un investissement en temps car il faut en permanence entretenir ses connaissances. Et du temps, c’est bien souvent ce qui manque le plus au pharmacien. « C’est aussi peut-être moins payant de se spécialiser en mycologie qu’en petit matériel, souligne Annick Simon, responsable du DU de mycologie de Paris-XI. Pourtant, il suffit de faire une vitrine sur les champignons pour voir arriver les amateurs dans son officine. » « C’est vrai que c’est un service gratuit et donc, parfois, le pharmacien a tendance à expédier l’affaire », reconnaît Louis Chavant. Mauvais calcul, car le bouche-à-oreille est une arme redoutable, et qu’il s’agisse de champignon ou de tout autre conseil, il y va de l’image du pharmacien. Et certains amateurs sont prêts à faire des kilomètres pour rencontrer le pharmacien mycologue qui leur permettra de déguster leur récolte…

Qui, sinon le pharmacien ?

Il y a aussi la question de la responsabilité. « Nous nous trouvons dans une période de risque zéro, souligne Maryvonne Hayek, du centre antipoison de Marseille. Je vois mal les pharmaciens prendre un risque, aussi minime soit-il, d’autant plus que le champignon est juste une gourmandise, on peut se passer d’en manger… » Cette spécialiste reconnaît d’ailleurs recevoir chaque année des appels de personnes désirant lui montrer leurs champignons « parce que le pharmacien ne le fait pas ». Ce que le centre antipoison ne fait pas non plus. Pour Pierre Roux, pharmacien mycologue à Saint-Pal-de-Mons (Haute-Loire), les connaissances en mycologie font partie du « devoir » du pharmacien. « Nous sommes un maillon dans le système de santé français, nous avons un rôle à jouer en toxicologie », s’enflamme-t-il. Ce passionné serait même prêt à « rendre obligatoire la formation continue en mycologie, un contrôle minimal pour reconnaître les espèce toxiques ».

Des formations continues existent dans plusieurs facultés, sous forme de diplômes universitaires. Mais elles sont trop peu fréquentées. Le DU toulousain a formé entre dix et vingt pharmaciens par an pendant une vingtaine d’années, mais, depuis deux ans, plus personne ne s’inscrit faute de temps ou d’intérêt. Pour Noël Amouroux, du centre antipoison de Toulouse, le pharmacien joue un rôle de prévention, en distinguant les bons et les mauvais champignons, mais aussi un rôle de diagnostic en sachant reconnaître les symptômes. « Lorsqu’une personne vient avec une gastro, même en période d’épidémie, il faut lui demander si elle a mangé des champignons. Idem pour des frissons et un nez qui coule, ce n’est pas forcément un rhume…, explique ce spécialiste qui reçoit chaque année 400 à 500 appels téléphoniques concernant les champignons (sur 13 000 appels chaque année). C’est un problème de santé publique, je ne vois pas à qui d’autre envoyer le public de façon fiable. »

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Car le pharmacien garde cette image de seul véritable connaisseur des champignons. Il ne faut d’ailleurs pas toujours lui rejeter la faute quand il y a une erreur de diagnostic. « Le pharmacien peut s’y connaître, mais il arrive que les gens ne lui montrent pas la totalité de leur cueillette et se retrouvent ensuite intoxiqués, explique Noël Amouroux. En général, les pharmaciens qui acceptent d’examiner une cueillette sont crédibles, ils s’y connaissent, mais ce n’est pas étonnant de voir certains refuser. » Il reste toujours la solution de connaître un collègue mycologue et de lui adresser la clientèle intéressée. Mais en reste-t-il suffisamment ?

Trois questions à Regis Courtecuisse,

Professeur au département de botanique de la faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Lille, président de la Société mycologique de France

Le pharmacien est-il encore la première personne à qui l’on pense pour examiner les champignons ?

Oui, il garde cette image de conseiller en mycologie. Et puis la pharmacie est le seul endroit où l’on pousse la porte et où l’on peut avoir un conseil gratuit. Le bouche-à-oreille marche très bien. Certaines personnes n’hésitent pas à faire plusieurs kilomètres pour avoir l’avis d’un bon mycologue. Cette connaissance traditionnelle est un atout pour le pharmacien qui met ainsi en avant son patrimoine scientifique et dépasse l’image de « marchand de boîtes » pour garder un statut d’homme de sciences.

Tous les officinaux sont-ils capables de reconnaître les champignons ?

Pour que le pharmacien puisse répondre à ses clients, les quelques heures d’enseignement initial en faculté ne sont pas suffisantes. Il faut un investissement personnel du pharmacien, qu’il entretienne ses connaissances.

Quels conseils donneriez-vous à celui qui souhaite entretenir ses connaissances ?

Il existe des diplômes universitaires spécialisés dans plusieurs facultés, sinon je recommande à mes étudiants de participer annuellement à deux ou trois sorties mycologiques et de visiter une exposition ou deux afin d’entretenir leurs connaissances.

References

Voici quelques ouvrages qui conforteront votre conseil en mycologie.

Guide des champignon de France et d’Europe, 2e édition (2000), de R. Courtecuisse et B. Duhem. Editions Delachaux et Niestlé.

Le guide des champignons en 900 photos et fiches (2004), de D. Borgarino et C. Hurtado. Editions Edisud.

Champignons de France et d’Europe occidentale, de Marcel Bon. Editions Flammarion.

Larousse des champignons, de G. Redeuilh. Editions Larousse.

Spécial champignons magazine (6 numéros par an, par abonnement. Service abonnement : BP 14110 Condé-sur-Noireau).

QUIZ

1. le moment d’apparition des premiers signes d’une intoxication grave par les champignons après ingestion est…

a – Supérieur ou égal à 6 heures

b – Inférieur à 6 heures

2. Quels peuvent être les signes d’une intoxication grave ?

a – Diarrhées, maux de ventre violents et vomissements

b – Déshydratation

c – Hypersalivation ou, à l’inverse, sécheresse buccale

d – Hallucinations

d – Sueurs

e – Larmoiement et troubles de la vue

3. La consommation excessive de tricholome équestre peut entraîner un risque de :

a – Rhabdomyolyse

b – Gastroentérite

c – Hépatite fulminante

4. Lesquels de ces champignons sont mortels ?

a – Cortinaire couleur de roucou

b – Gyromitre délicieux

c – Galère marginée

d – Paxille enroulé

Réponses. 1 : a. 2 : tous. 3 : a. 4 tous.