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La sérotonine

Publié le 23 juin 2012
Par Denis Richard
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La sérotonine participe à la régulation de fonctions physiologiques essentielles. Des médicaments d’usage fréquent interfèrent avec la transmission sérotoninergique.

Qu’est-ce-que la sérotonine ?

Présente dans le sérum où elle est vasotonique, la sérotonine est aussi connue sous le nom de 5-hydroxytryptamine (5-HT). Elle possède une double qualité de neuromédiateur et d’hormone locale.

Quelle est la cible de la sérotonine ?

• La sérotonine se lie à des récepteurs sérotoninergiques (récepteurs 5-HT) dont il existe 7 types divisés en sous-types (ex. : 5-HT1A). Les types 1, 2, 3 et 4 constituent la cible de médicaments bien connus : antimigraineux, antivomitifs et antipsychotiques.

• Ces récepteurs sont couplés à une protéine G (sauf le récepteur 5-HT3 couplé à un canal sodique, dont la stimulation entraîne un potentiel d’action cellulaire).

• Les récepteurs sérotoninergiques peuvent être localisés sur les neurones (SNC ou neurones périphériques). Ils sont généralement postsynaptiques. Les récepteurs 5-HT1 peuvent être présynaptiques : ils inhibent la libération de sérotonine (rétrocontrôle négatif) ou contrôlent celle d’autres médiateurs.

• Ils peuvent aussi (sauf 5-HT3) être localisés sur les cellules gliales (assurant le soutien et la protection du réseau neuronal dans le cerveau), les fibres musculaires lisses, etc.

Quelles sont ses actions pharmacologiques ?

• La sérotonine participe à la régulation de la plupart des fonctions vitales de l’organisme : rythme circadien, émotions, cognition, thermorégulation, transmission nociceptive, activité motrice, homéostasie endocrinienne, fonctionnement cardiovasculaire, respiratoire, digestif, etc.

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• Synthétisée dans le cerveau, le plexus gastro-intestinal et les cellules entérochromaffines de l’intestin à partir du tryptophane alimentaire, elle est localisée essentiellement à trois niveaux :

– plaquettes : stockée à partir du plasma, elle est relarguée lors de l’agrégation plaquettaire qu’elle amplifie (les plaquettes expriment des récepteurs 5-HT2). La sérotonine libérée agit sur les fibres lisses des vaisseaux, d’où une constriction facilitant l’hémostase ;

– cellules entérochromaffines : synthétisant puis stockant 90 ?% de la sérotonine du tractus digestif, la libération du médiateur, potentialisée par stimulation vagale, augmente la motilité et la sécrétion intestinale en régulant l’activité des ganglions entériques (5-HT3, 5-HT4) ; la sérotonine contracte les fibres lisses intestinales, gastriques et œsophagiennes (5-HT2) ;

– système nerveux central : la sérotonine constitue le médiateur des 9 noyaux du tronc cérébral (noyaux du raphé) émettant des projections dans le cerveau et la moelle épinière. Ses effets sont excitateurs ou inhibiteurs.

Quels médicaments ciblant la sérotonine sont utilisés ?

En psychiatrie

• Antipsychotiques : les neuroleptiques atypiques (antipsychotiques) ont tous une forte affinité pour les récepteurs sérotoninergiques (ex. : clozapine, olanzapine et rispéridone sont des antagonistes 5-HT2A peu sélectifs ; l’aripiprazole manifeste de plus une action 5-HT1A partielle et la clozapine un tropisme 5-HT2C).

La sérotonine inhibe, à un degré variable, la libération de dopamine dans les diverses voies dopaminergiques, et le contraire est aussi vrai. L’antagonisme 5-HT2 inverse donc l’antagonisme dopaminergique D2 propre aux antipsychotiques dans des voies bien précises, ce qui réduit l’incidence des effets indésirables neurologiques induits par ces médicaments et explique leur action sur les symptômes négatifs (dépression) de la schizophrénie.

• Anxiolytiques : la buspirone, un agoniste partiel 5-HT1A actif en pré- comme en postsynaptique, est indiquée dans le traitement de l’anxiété. Son mécanisme d’action sur l’anxiété reste mal connu : elle modifie vraisemblablement la réaction du neurone à la stimulation sérotoninergique.

• Antidépresseurs : indiqués dans la dépression (ou les troubles anxieux), les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine bloquent ses transporteurs membranaires de façon spécifique (action spécifique : citalopram, fluoxétine, paroxétine ; action non spécifique : duloxétine, venlafaxine, tricycliques).

L’agomélatine (Valdoxan) est un antidépresseur promélatoninergique et antagoniste 5-HT2C.

Les inhibiteurs des monoamines oxydases (IMAO) inhibent la dégradation synaptique de la sérotonine (action antidépressive) mais risquent d’interagir avec les médicaments prosérotoninergiques.

En neurologie

Les triptans administrés lors d’une crise migraineuse (almotriptan, élétriptan, frovatriptan, naratriptan, rizatriptan, sumatriptan, zolmitriptan), induisent une vasoconstriction méningée s’opposant à la vasodilatation responsable de la douleur (action agoniste postsynaptique 5-HT1B) et inhibent la libération des neuropeptides inflammatoires et vasoactifs (action agoniste présynaptique 5-HT1D). La vasoconstriction explique l’« effet triptan » : sensation de striction ou de pesanteur dans la tête, le cou, le thorax, disparaissant en quelques heures, bouffées de chaleur, hypertension, palpitations (ces signes restent généralement bénins et transitoires).

Les alcaloïdes de l’ergot, indiqués en prophylaxie ou dans le traitement de la crise, exercent leur action vasoactive sur les récepteurs sérotoninergiques. Le pizotifène est un agoniste 5-HT2B (Sanmigran, indiqué en prophylaxie).

En gastroentérologie

• L’action antagoniste des sétrons (ondansétron, etc.) empêche la sérotonine libérée dans le tractus digestif par la toxicité de divers anticancéreux de se fixer sur les récepteurs 5-HT3 et de stimuler les fibres transmettant un signal vers les centres du vomissement.

• Le prucalopride (Resolor, indiqué dans le traitement de certaines constipations), agoniste sélectif 5-HT4 entérique, renforce le tonus évacuateur et stimule la sécrétion intraluminale. Il est proche du cisapride (Prepulsid), retiré du marché en raison de sa toxicité cardiaque (faible sélectivité 5-HT4 + action 5-HT3).

Quelle tolérance pour ces médicaments ?

• Les médicaments actifs sur la transmission sérotoninergique sont globalement bien tolérés. La pluralité des cibles pharmacologiques de certains d’entre eux rend difficile l’imputabilité de leurs effets iatrogènes à la seule composante sérotoninergique de leur action (ex. : antipsychotiques).

• Les molécules les plus spécifiques peuvent induire des troubles vasomoteurs se traduisant par des céphalées (sétrons), des troubles de la tension (hypotension pour les sétrons ; hypertension pour les triptans), des bouffées de chaleur (sétrons), des douleurs thoraciques parfois accompagnées de troubles du rythme (sétrons, triptans). Les sétrons, ayant un tropisme entérique, peuvent induire une diminution du péristaltisme intestinal avec risque d’occlusion subaiguë.

• Les sétrons ne donnent pas lieu à interactions ni à contre-indications spécifiques.

• Les triptans sont notamment contre-indiqués en cas d’antécédents d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral (AVC) et de pathologie cardiaque ischémique. Leur association aux vasoconstricteurs dérivés de l’ergot ou aux IMAO est contre-indiquée.

La sérotonine est le médiateur qui admet le plus de types distincts de récepteurs. L’exemple pris ici est une transmission par le glutamate activant les récepteurs NMDA :

• Les récepteurs 5-HT1, 2, 4, 5, 6, 7, couplés aux protéines G, stimulent diverses voies de signalisation intracellulaire et augmentent ou diminuent le potentiel d’action du neurone stimulé (récepteurs postsynaptiques mais aussi dendritiques pour 5-HT1A, 5-HT1B et 5-HT4).

• Les récepteurs présynaptiques 5-HT1B et 5-HT1D ont une action de rétrocontrôle négatif.

• Les récepteurs 5-HT3, postsynaptiques, sont des canaux cationiques dont la stimulation génère un potentiel d’action.

SYNDROME HYPERSÉROTONINERGIQUE

• Il survient en particulier lors de surdosage ou d’interaction médicamenteuse modifiant le métabolisme de la sérotonine et entraînant une trop grande concentration en sérotonine dans certaines synapses.

• Les signes d’hypersérotoninergie peuvent survenir de façon brutale ou insidieuse, simultanée ou séquentielle. Ces symptômes sont d’ordre :

– psychique : agitation, confusion, désorientation, hypomanie, rare obnubilation voire coma ;

– moteur : tremblements, rigidité, hyperactivité, hyperréflexie ostéotendineuse, myoclonies ;

– végétatif : frissons, sueurs, troubles de la tension artérielle, tachycardie, douleurs intestinales, diarrhées, hyperthermie.

• La symptomatologie demeure

souvent réduite et l’évolution est favorable lorsque la cause étiologique est traitée. Ce syndrome peut nécessiter une hospitalisation, notamment en cas d’intoxication. Le traitement est curatif (suppression du traitement sérotoninergique, éventuelle prescription de propranolol ou d’une benzodiazépine) mais, surtout, préventif (veiller aux interactions, adapter les posologies lors d’une monothérapie, respecter les délais lors des switchs).

• Le risque d’interaction entre triptan et inhibiteur de la recapture de la sérotonine doit être pris en compte selon les RCP. Il reste toutefois faible car les triptans sont des agonistes 5-HT1B/1D alors que le syndrome sérotoninergique met en jeu essentiellement les récepteurs 5-HT2A.

Sources : Fillip M., Bader M., « Overview on 5-HT receptors and their role in physiology and pathology of the central nervous system » (2009), Pharmacological Reports, 61, pp. 761-777 ; Kester M., Karpa K.D., Vrana K.E., Elsevier’s integrated review pharmacology (2011), Saunders ; Landry Y., Gies J.-P., Pharmacologie : des cibles vers l’indication thérapeutique (2009), Dunod, Paris.