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CBD en pharmacie : des doutes planent
A l’heure où le cannabis à usage médical est en cours d’expérimentation, ce sont les produits à base de cannabidiol (CBD) qui ont le vent en poupe et commencent à arriver dans les officines. En toute légalité ? Et quel est leur intérêt scientifique ? Des spécialistes répondent.
Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, la culture du cannabis est autorisée en France. Notre pays figure même parmi les premiers producteurs dans le monde puisqu’il concentre à lui seul environ 40 % de la culture du chanvre en Europe. « Cette autorisation est toutefois très restrictive car la culture, l’importation et l’exportation visent uniquement les variétés de Cannabis sativa L., considérées comme non psychotropes. Quant à l’utilisation industrielle et commerciale, elle est limitée aux seules fibres et graines de chanvre avec une teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) qui doit être inférieure à 0,2 %. En dehors de ce cadre, le principe est celui de l’interdiction stricte de toute activité liée au cannabis, celui-ci figurant parmi la liste exhaustive des produits classés comme stupéfiants », rappelle l’avocat pénaliste Julien Plouton.
Le cannabis à usage médical au banc d’essai
Interdiction qui s’appliquait donc aussi au cannabis à usage médical, jusqu’à ce que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) lance le 26 mars dernier une expérimentation, à laquelle participent déjà près de 200 pharmaciens d’officine, afin de tester sa prescription et sa dispensation sur cinq indications : les douleurs neuropathiques réfractaires, l’épilepsie sévère et pharmacorésistante, certains symptômes rebelles en oncologie, les situations palliatives et la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques et des autres pathologies du système nerveux central.
Les médicaments aujourd’hui accessibles sont présentés sous forme de sommités fleuries de cannabis, à vaporiser pour inhalation, ou en huiles administrées par voie orale. Trois ratios sont disponibles : THC dominant, ratio équilibré en THC et CBD, et CBD dominant. « Pour des questions de risques pour la santé, la voie d’administration fumée a été exclue de l’expérimentation, précise Nicolas Authier, le psychiatre qui préside le comité scientifique temporaire (CST) mis en place pour suivre le bon déroulé de l’expérimentation. Tous ces traitements conçus à partir d’extractions de fleurs de cannabis sont également fabriqués dans le respect des standards pharmaceutiques afin de garantir la qualité des produits et la sécurité de la prescription qui intervient toujours après l’échec d’une prise en charge thérapeutique de première et deuxième intentions. »
Cette expérimentation, qui se terminera en mars 2023, pourra intégrer jusqu’à 3 000 patients traités simultanément. « L’objectif premier, c’est de tester un dispositif d’accès à ces traitements qui pourrait ensuite être généralisé à l’ensemble des professionnels de santé et des patients, confie Nicolas Authier. Cette expérimentation va aussi nous permettre de disposer de données scientifiques sur la balance bénéfices/risques, tout en laissant le temps aux autorités de réfléchir au statut de ces médicaments, voire à leur éventuel remboursement. »
Un grand flou juridique
Pour le CBD à usage de bien-être, le terreau juridique est beaucoup plus incertain. La faute à une distorsion de droit entre les réglementations européennes et françaises. Saisie pour une question préjudicielle en 2014 par Kanavape, une société française spécialisée dans la commercialisation de cartouches de vapotage préremplies au CBD, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a tranché en novembre 2020. « Après avoir rappelé que la molécule de CBD n’était pas un stupéfiant, l’arrêt de la CJUE stipule que la commercialisation du CBD légalement produit dans un autre Etat membre de l’Union européenne est autorisée pour tous les extraits de toutes les parties de la plante de Cannabis sativa L., et pas seulement des seules fibres et graines si aucun risque n’était démontré par des études scientifiques. Risque que les autorités françaises n’ont jamais pu démontrer. La Cour de cassation a d’ailleurs appliqué en droit cette décision de la CJUE en rendant trois arrêts qui devraient faire jurisprudence… », souligne Ingrid Metton, avocate pénaliste du cabinet Chango Avocats qui a porté la question préjudicielle de Kanavape auprès de la CJUE.
L’affaire paraissait donc entendue, mais le gouvernement français semble vouloir faire de la résistance. « Le projet d’arrêté transmis à la Commission européenne en juillet dernier n’est pas à la hauteur des enjeux et des attentes, regrette Aurélien Delecroix, le président du Syndicat professionnel du chanvre créé en 2018 pour défendre les intérêts de cette filière. Le texte prévoit que l’autorisation de culture, d’importation, d’exportation et d’utilisation industrielle et commerciale du chanvre sera étendue à toutes les parties de la plante. Mais en posant des conditions qui rendent cette autorisation pratiquement vide de toute substance. Non seulement la vente aux consommateurs de fleurs et de feuilles brutes resterait interdite, mais l’accès à des techniques agricoles nécessaires à l’obtention de fleurs riches en principes actifs le serait également. Autrement dit, on se prive de la moitié du marché potentiel en interdisant le chanvre sous ses formes brutes et des conditions qui permettraient le développement d’une filière concurrentielle en obtenant une matière première riche en principes actifs, seul moyen d’avoir un retour sur investissement satisfaisant à l’extraction. » Pour compliquer le tout, la Commission européenne a classé en 2019 les produits alimentaires extraits de la sommité (fruit et fleur) du chanvre dans la catégorie novel food. « Comme son nom l’indique, celle-ci regroupe tous les nouveaux aliments sur lesquels l’historique de consommation avant 1997 est jugé insuffisant, explique Ingrid Metton. Par conséquent, les extraits de CBD doivent obtenir une autorisation de la Commission européenne avant d’être mis sur le marché. Or, cette dernière n’a accordé, à ma connaissance, aucune autorisation. La commercialisation de compléments alimentaires incluant de tels extraits est donc lillégale. »
Des pharmaciens invités à la prudence
C’est donc sur un grand flou juridique emprunt d’illégalité au regard de la loi française que sont en train de fleurir un peu partout les CBD shops et les boutiques sur Internet. Et que l’on commence à voir apparaître dans les officines les premiers rayons réservés aux infusions, aux compléments alimentaires ou à la cosmétique à base de CBD. Tous les experts que nous avons interrogés se rejoignent pour inviter les pharmaciens à la prudence. « Mieux vaut privilégier les compléments alimentaires basés sur des extraits de graine, sans phytocannabinoïdes comme le CBD, et éviter ceux avec des extraits de fleur tant que la réglementation ne fixera pas un cadre clair », conseille Nicolas Authier. Le président du CST rappelle également la nécessité de « vérifier systématiquement les risques d’interactions médicamenteuses potentielles entre le CBD et d’autres traitements, qui pourraient affecter les capacités d’élimination des autres médicaments par le foie, et de surveiller l’apparition d’éventuels effets indésirables sur le plan digestif, neurologique ou hépatique. » Le cannabidiol est en effet un puissant inhibiteur des cytochromes CYP2D6, CYP3A4, CYP2C19 et de la glycoprotéine P. Julien Pluton recommande, lui, aux pharmaciens de se montrer vigilants sur plusieurs points. « Il faut d’abord s’assurer que le packaging et les mentions figurant sur l’emballage ne comportent pas d’allégations thérapeutiques, car ce serait enfreindre la loi relative aux médicaments et cela tomberait sous le coup de la publicité commerciale trompeuse. » L’avocat conseille en outre d’intégrer une mention très visible « Ne pas fumer » sur le packaging des fibres broyées afin d’éviter toute confusion avec le cannabis récréatif. « Il convient enfin de procéder à des analyses pour s’assurer que les produits mixtes contiennent bien un taux de THC inférieur à 0,2 %. Entre ce qui est affiché sur les étiquettes et la réalité, il y a parfois des différences qui ont conduit des CBD shops et des buralistes à être poursuivis par la justice au pénal pour acquisition, détention et vente de produits stupéfiants. A ma connaissance, aucune poursuite n’a toutefois été engagée à ce jour contre des pharmaciens, mais le risque existe bel et bien », conclut Julien Plouton.
Un intérêt scientifique qui fait débat
Si la douleur, la relaxation et le stress sont les trois principales raisons citées par les consommateurs européens pour l’usage du CBD, son intérêt scientifique ne fait pas encore l’unanimité. « Contrairement à ce que laissent entendre les représentants de cette filière, il y a toujours du THC dans des extraits de fleurs de CBD, et ce dernier possède bien un effet psychotrope, même s’il est moins important. Et l’absence ou le faible risque d’addiction ne vaut que s’il est consommé seul », souligne Nicolas Authier, président du comité scientifique temporaire (CST) sur le suivi de l’expérimentation française de l’usage médical du cannabis, qui s’interroge également sur les propriétés supposées relaxantes, apaisantes, déstressantes ou la capacité à favoriser l’endormissement, à mieux supporter la douleur… « Elles sont rarement étayées par des éléments scientifiques. Toutefois de nombreux travaux de recherche médicale sont en cours dans différentes indications comme les troubles anxieux, la schizophrénie ou des maladies inflammatoires chroniques », note-t-il. Les arguments avancés par Nicolas Authier sont réfutés par les acteurs de la filière. « Grâce à la chromatographie en phase gazeuse que nous utilisons pour analyser nos produits, nous pouvons affirmer que la présence de THC est indétectable. S’il y en a, c’est à l’état de traces, assure Simon Attard, responsable marketing et développement du Labo du CBD. Et le cannabidiol n’est pas inscrit sur la liste des stupéfiants. Par ailleurs, il ne présente pas de risque de dépendance physique ou physiologique. Quant aux effets secondaires et aux éventuelles interactions médicamenteuses, il peut effectivement y en avoir. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous le déconseillons aux femmes enceintes ou qui allaitent par principe de précaution. » Simon Attard propose également une autre lecture de la littérature scientifique qui commence à être consacrée au sujet. « Quelques études aux Etats-Unis démontrent que le CBD entraîne une action physiologique en se fixant sur les récepteurs CB1 et CB2, avec des propriétés apaisantes et antistress pouvant favoriser l’endormissement et atténuer ou réduire des maux psychiques ou physiques. »
À RETENIR
– L’usage du cannabis à usage médical, contenant du THC et du CBD, est encadré par l’expérimentation qui a débuté en mars 2021, pour deux ans.
– La réglementation autour des produits à base de CBD est encore floue, alors que l’offre s’enrichit en infusions, en compléments alimentaires et en cosmétiques.
– Dans l’attente de règles claires sur les produits à base de CBD, les pharmaciens sont invités à la prudence et à s’assurer d’un taux de THC inférieur à 0,2 % dans leurs produits. D’autant que leurs bénéfices revendiqués ne font pas l’unanimité.
Un marché qui explose
Malgré le flou juridique qui l’entoure, le marché du CBD bien-être est actuellement en pleine expansion. « Il est estimé à 2 milliards d’euros en France, qui se répartissent à hauteur de 700 millions pour les extraits de chanvre (compléments alimentaires, cosmétiques et vapotage) et de 1,3 milliard d’euros pour le chanvre brut, qui recouvre les infusions mélangeant fleurs et feuilles ainsi que les fleurs brutes qui peuvent être fumées ou vaporisées », souligne Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre (SPC). Ce boom du marché s’est aussi traduit par une explosion du nombre de boutiques CBD, qui est passé de 400 fin 2020 à plus de 1 000 aujourd’hui. Et la marge de progression reste importante puisqu’à terme le SPC estime qu’il pourrait y avoir 2 500 CBD shops en France.
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