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Dépressuriser la cocotte émotionnelle

Publié le 27 avril 2020
Par Christine Julien
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Comprendre et gérer stress et anxiété.

L’épidémie de coronavirus perturbe les émotions et les comportements. Quand les difficultés apparaissent, se faire aider est une bonne solution.

Reconnaître la situation

Le coronavirus impacte aussi notre santé mentale. Selon Santé publique France, plus d’un quart des Français (26,7%) seraient anxieux. Mettre des mots sur ses ressentis permet de trouver les ressources pour passer cette crise plus sereinement.

Définir les ressentis

Le stress, c’est quoi ?

Il désigne les réactions de l’individu à des facteurs de risque.

Le stress est une réaction d’adaptation de l’organisme pour maintenir l’équilibre de son état intérieur, en réponse à une demande de notre environnement. Parmi les agents stresseurs : la préparation de ses vacances, les remarques de son entourage, le bruit… mais aussi les mesures barrières, le confinement, etc.

Le stress professionnel (1) concerne les interactions entre l’employé et son milieu de travail. Il est « un état fait de réactions émotionnelles, cognitives, comportementales et physiologiques aux aspects néfastes et nocifs de la nature du travail, de son organisation et de son environnement… »

Il y a stress lorsque les exigences du milieu du travail dépassent les capacités des salariés à faire face à celles-ci ou à les maîtriser.

Exemples : l’absence de gel ou de barrière en plexiglas à la pharmacie pour protéger des contaminations, la surcharge horaire ou l’activité partielle.

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Le stress est bénéfique quand il permet de s’adapter pour donner le meilleur de soi, mais si son intensité et sa durée sont importantes et dépassent nos capacités de réaction, il peut être délétère. Exemples : dormir depuis deux mois dans la chambre d’amis par peur de contaminer son compagnon, tout laver chez soi en rentrant, être inquiet de retourner au travail…

L’anxiété, c’est quoi ?

C’est un état mental caractérisé par un sentiment désagréable d’insécurité, de crainte et de mise en alerte dont la cause est difficile à préciser.(2)

L’anxiété normale est liée à des événements identifiables à la fin desquels elle disparaît : déménager, pas ser un examen… Elle est protectrice quand elle attire l’attention sur des dangers réels ou des situations à risque. Elle sert alors à prendre des précautions pour les éviter.

Elle peut s’accompagner de manifestations neurovégétatives : tensions musculaires, douleurs abdominales, diarrhées, nausées, sueurs, oppression thoracique, dyspnée, palpitations, boule dans la gorge, fourmillements, vertiges, polyurie ou pollakiurie.

Elle est pathologique si : elle ne disparaît pas avec la situation préoccupante, elle survient sans raison, son intensité est disproportionnée et devient une préoccupation continuelle, elle est incontrôlable et empêche un fonctionnement normal.

Exemple : refuser de retourner travailler à la pharmacie, persuadé que vous allez forcément y être contaminé…

L’angoisse, souvent décrite comme une peur sans objet, serait une somatisation excessive de l’anxiété, quand la personne ne voit plus d’issue, se sent perdue.

Anxiété ou stress ? Selon Christophe André, psychiatre et psychothérapeute (3), « l’anxiété renvoie à la tendance de tout être humain à anticiper et à grossir les difficultés, parfois à s’en créer ou à en imaginer, alors qu’il n’y en a pas, ou qu’elles sont mineures. L’anxiété, en quelque sorte, est la capacité à amplifier ou à créer soimême du stress. »

Analyser les émotions

Repérer les signes d’alerte

La perte de repères. Un titulaire qui rechigne à instaurer des moyens de protection, « il m’a lâché, il ne me protège pas », des clients qui vous balancent reproches, voire injures et menaces, peuvent ébranler la confiance en votre rôle. Des collègues arrêtés qui vous ont laissé « tout le boulot » suscitent en vous un sentiment négatif et vous font ruminer : « Quand ils reviendront, je ne vais plus avoir envie de travailler avec eux… »

Le retour social. Notre société contemporaine, qui peine à accepter qu’une telle pandémie nous arrive, exhorte à ne pas contaminer les autres. Vos proches peuvent avoir peur de vous qui travaillez dans un lieu à risque : « Tu peux nous ramener la maladie », « J’ai vu à la télé qu’il fallait appliquer tout un protocole et toi, en arrivant, tu ne t’es pas lavée. » Vous pouvez vous sentir coupable quand on vous dit : « Tu as de la chance, toi, tu travailles ! »

La perte de vigilance récurrente. Aller chercher un produit, revenir et ne plus savoir ce qu’on fait arrive de temps en temps, mais la récurrence doit alerter. « Tiens, cela fait plusieurs fois que je déconnecte aujourd’hui… »

Se sentir nerveux. « Je me sens davantage irritable aujourd’hui. » Ou vous n’en êtes pas conscient mais un collègue vous dit : « Reste calme ! Tu es un peu énervé », « Tu devrais prendre ta pause, non ? » Ces retours, parfois mal pris, sont protecteurs.

Se sentir moins efficace que ses collègues. « Je n’arrive pas à faire tout ce qu’ils font. » Cette comparaison sociale, qui survient plus souvent chez les « fonceurs », les « dévoués », est un stresseur.

Des troubles physiques. Le souffle court, une sensation d’étouffement, des troubles digestifs sont une alerte. Trois nuits blanches d’affilée, une perte de poids affaiblissent l’organisme et l’immunité. Il faut vite réagir, consulter un médecin ou joindre des associations (voir encadrés).

Formaliser ses ressentis

Accepter affectivement ses émotions. « D’accord, je suis anxieux. » Éclaircir ce qui se passe en vous : « Qu’est-ce que j’ai ? Comment ça se manifeste ? »

Les écrire. « J’ai peur de contaminer ma famille/de mourir/de perdre mon travail » sont des peurs dont l’objet est identifié, mais de quoi avez-vous peur réellement ? Écrivez sur une feuille de papier : « J’ai peur du Covid-19 ». Oui mais de quoi ? « D’être malade/de contaminer ma famille/de mourir. » Puis, qu’est-ce qui vous fait le plus peur ? « J’ai peur d’avoir une forme grave. Et de mourir. » Puis, écrivez : Que sait-on vraiment ? Quels sont les faits ? « Est-ce que je rentre dans les statistiques des personnes fragiles ? » Si oui, « quelles mesures de protection existent ? » et « Lesquelles je veux mettre en place ? »

Les dire. Idem avec votre famille. Vous pensez qu’ils savent, qu’ils ont compris que vous faites tout pour les protéger, mais leur en avez-vous vraiment parlé ? Compagnon, enfants, parents, vos proches vous parlent-ils de leurs émotions ? Leur avezvous expliqué ce que vous faites ? De quoi ont-ils besoin, eux, pour être rassurés ?

Diminuer la pression

Faire des micro-pauses

Dès que vous sentez une tension en vous, une montée émotionnelle, prendre 5 à 10 minutes pour s’isoler, sortir à l’arrière de l’officine pour prendre une bouffée d’oxygène. Cela permet de soulager et de mieux tenir, surtout en cas de rythme élevé de travail.

Des techniques de respiration, telle la cohérence cardiaque, sont simples à mettre en oeuvre dès que le coeur s’emballe. Il s’agit d’effectuer six respirations par minute pendant cinq minutes, dans le calme, idéalement trois fois par jour (sur YouTube).(4)

Débriefer avec ses collègues

Faire des points réguliers avec son équipe.

Se sentir compris. « Voilà ce que j’ai ressenti aujourd’hui. À tel moment, j’ai ressenti une fatigue/je ne me suis pas senti à l’aise. » Vos collègues peuvent également s’exprimer : « Oui moi aussi j’ai ressenti… » Cela permet de se sentir moins seul.

Partager les solutions. « J’ai mis en place telle stratégie. Essaye et vois si ça marche pour toi. » Laisser une paire de chaussures au travail pour éviter de les nettoyer tous les soirs, laver les blouses à tour de rôle, échanger les horaires selon la fatigue…

Appeler à l’aide

Si vous avez du mal à exprimer vos émotions, si votre entourage ne comprend pas, n’attendez pas d’être submergé par les émotions avant d’appeler à l’aide. L’association Soins aux professionnels en santé propose par exemple une écoute par des professionnels psychologues (voir encadré p.54). Se sentir écouté soulage. Parler fait prendre du recul, remet de l’ordre dans ses repères. Parfois un seul échange suffit, mais s’il faut davantage, le professionnel vous aidera et vous orientera. Ne vous en privez pas…

(1) Stress au travail , Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail.

(2) Le trouble anxieux généralisé de l’adulte , Porphyre , n° 513, juin 2015.

(3) www.psychologies.com

(4) www.youtube.com/watch?v=dGJkzyKHKUE

Avec l’aimable participation d’Agnès Rettel, psychothérapeute, coach et formatrice en communication, et de Nicolas Dupuis, psychologue social, écoutant Pros-consulte et chercheur en sciences sociales et humanités.

Une association à l’écoute des professionnels

• Depuis 2015, l’association Soins aux professionnels en santé (SPS) vient en aide aux professionnels en souffrance au travail et agit en prévention pour le mieux-être. Outre les formations et la réalisation d’études, cette association d’utilité publique a créé une plateforme nationale d’écoute et une application mobile. Ce dispositif d’accompagnement psychologique, gratuit, est disponible 24 h/24 et 7 j/7 au 0 805 23 23 36. Près de 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte sont là pour écouter, et si besoin accompagner et orienter tous les professionnels de santé et du médico-social, médecins, infirmiers, préparateurs en pharmacie, pharmaciens…

• L’association SPS propose également des téléconsultations gratuites durant le confinement avec des psychologues grâce au réseau national du risque psycho-social, qui fédère près de 1000 psychologues, médecins généralistes et psychiatres. Plus d’infos sur le site www.asso-sps.fr. Nul besoin d’être au bout du rouleau pour appeler !

Autres ressources psy

• S.O.S. Amitié : 09 72 39 40 50, 24 h/24, 7 j/7, ou par chat de 13 h à 3 h et messagerie.

• Croix-Rouge écoute : 0 800 858 858, 7 j/7, de 8 h à 20 h.

• Plateforme pour les soignants : 0 800 73 09 58, 7 j/7, de 8 h à minuit.

• Plateforme coronavirus : 0 800 130 000, 24 h/24, 7j/7.

• Pour les femmes victimes de violences et leur entourage : 3919.

• Enfance en danger : 119.

• Numéro d’aide aux victimes : 116 006.

• Drogues info service : 0800 23 13 13.