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Une femme souffrant dans un contexte palliatif

Publié le 4 décembre 2013
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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Madame J., 67 ans, en soins palliatifs dans un cadre oncologique, souffre de douleurs digestives diffuses, rebelles au paracétamol. En attendant la coloscopie et la fibroscopie prévues dans cinq jours, elle est hébergée par sa famille. Le gastro-entérologue ajoute du tramadol. Si cela ne suffit pas au bout de 36 heures, la patiente devra passer à l’Actiskenan pour lequel une ordonnance anticipée est rédigée en raison du week-end.

Prescription

Dr R., gastro-entérologue

Adresse, téléphone, N° Adeli

Prescription 1

Dafalgan 500 mg

2 gél. à 8 h, 12 h et 18 h. 7 jours.

Tramadol 50 mg

1 gél. à 8 h, 12 h et 18 h. 7 jours

Carbosymag

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2 gélules à 8 h, 12 h et 18 h. 7 jours

Mme J., 67 ans, 47 kg, 1,63 m

Prescription 2

(ordonnance sécurisée)

Si la douleur ne cède pas :

Actiskenan cinq milligrammes

Une gélule le matin, le midi, à seize heures et à vingt heures pendant sept jours.

CE QUE JE DOIS SAVOIR

Législation

L’ordonnance d’Actiskenan respecte la législation des stupéfiants : rédaction en toutes lettres sur ordonnance sécurisée, présence des mentions concernant le prescripteur (nom, fonction, adresse, téléphone et numéro Adeli) et le patient (sexe, nom, âge, poids et taille), nombre de spécialités porté dans le carré prévu à cet effet. Les dates de délivrance et de prescription correspondent, la totalité des comprimés sera délivrée pour sept jours. À noter : les préparateurs sont habilités à délivrer les stupéfiants sous contrôle d’un pharmacien, mais pas – en théorie – à tenir à jour leur registre comptable.

Contexte

Cette ordonnance prend en charge des douleurs d’origine inconnue dans un contexte oncologique. Ici, les douleurs diffuses du tube digestif, avec brûlures gastriques et ballonnements, ne répondent pas au paracétamol. Le médecin prescrit des antalgiques de paliers ascendants afin de soulager Madame J. avant l’hospitalisation prévue pour les examens endoscopiques.

Objectif

Le but du traitement est d’améliorer la qualité de vie de la patiente et, par répercussion, de favoriser l’alimentation pour combattre la dénutrition. Les produits prescrits visent à lutter contre la douleur diffuse avec les antalgiques par paliers ascendants I, II et III selon classification de l’OMS (paracétamol, tramadol, sulfate de morphine), les douleurs gastriques et les météorismes (Carbosymag).

Médicaments

Dafalgan (paracétamol)

Le paracétamol est un antalgique de palier I dont le mode d’action, vraisemblablement périphérique et central, reste mal connu. Il est prescrit en traitement symptomatique des douleurs d’intensité légère à modérée et/ou des états fébriles.

Tramadol (chlorhydrate de tramadol)

Le tramadol est un antalgique opioïde faible de palier II indiqué dans le traitement des douleurs modérées à intenses. D’action centrale majoritaire, c’est un agoniste pur et non sélectif de faible activité des récepteurs morphiniques du système nerveux central, qui inhibe ainsi la libération de la substance P, neuromédiateur de la douleur intense. L’effet est renforcé par une action inhibitrice de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine.

Actiskenan (sulfate de morphine)

La morphine est un antalgique opioïde fort de palier III indiqué dans les douleurs intenses ou rebelles aux antalgiques de niveaux plus faibles, en particulier d’origine cancéreuse. Son action centrale au niveau des récepteurs morphiniques est comparable à celle du tramadol, mais de plus forte activité. Actiskenan est une forme à libération immédiate.

Carbosymag (charbon activé/siméticone/oxyde de magnésium)

L’oxyde de magnésium est un topique antiacide qui neutralise l’acidité des sécrétions gastriques. Le charbon actif et la siméticone, en absorbant les gaz intestinaux, luttent contre les ballonnements.

Repérer les difficultés

Régularité de prise des antalgiques

Respecter des prises régulières sans attendre que la douleur revienne ou ne s’intensifie est le point clé de l’efficacité. Le délai, généralement de six heures entre deux prises, peut être réduit à quatre heures. La difficulté est de faire coïncider ces horaires aux habitudes d’une patiente affaiblie dont les plages d’éveil/sommeil peuvent être spécifiques.

Interaction avec les antiacides

Ceux-ci peuvent gêner l’absorption d’un traitement oral concomitant dont la prise sera décalée de deux heures au moins.

Continuité des traitements

Si le passage à la morphine s’avère nécessaire au cours du week-end, la question se pose de la continuité des autres antalgiques.

→ Il est aujourd’hui admis que le paracétamol présente une activité centrale, mais son mécanisme (qui s’appuierait notamment sur l’inhibition de la synthèse de prostaglandines au niveau central) diffère de celui des opioïdes ; il n’y a donc pas de contre-indication à les associer. Au contraire, ce couplage présente une complémentarité intéressante sur le plan cinétique si l’on considère les délais d’action antalgique maximale : 1 heure pour le paracétamol, 2 heures pour le tramadol et 45 minutes pour la morphine.

→ Par contre, l’association d’opioïdes faibles et forts (tramadol et morphine) n’a théoriquement pas de sens au niveau pharmacologique ; la compétition probable au niveau des récepteurs risque de diminuer l’action du morphinique, tandis que les effets indésirables se cumulent. Cependant, des études cliniques ont montré des bénéfices à cette association, qui permettrait dans certains cas de limiter le recours à des doses croissantes de morphine. Pour s’assurer de la conduite à tenir, le médecin doit être contacté. Au téléphone, il confirme d’arrêter le tramadol si la morphine est nécessaire, mais de continuer le paracétamol. Le noter sur la prescription avec l’accord du pharmacien.

CE QUE JE DIS AU PATIENT

J’ouvre le dialogue

« Le médecin a prescrit des antalgiques plus forts qui seront d’autant plus efficaces que votre mère les prendra de façon très régulière. Pouvez-vous me dire quel est son rythme actuel : à quelle heure elle s’endort, se réveille ? Dort-elle pendant la journée ? » Il est important de vérifier que les heures de prise indiquées sont compatibles avec le mode de vie actuel de la patiente et, éventuellement, de les adapter en conséquence.

J’explique le traitement

Le mécanisme d’action

→ Le traitement antalgique est destiné à soulager les douleurs. Il doit être ajusté en fonction de l’amélioration ressentie, c’est pourquoi le médecin a prescrit trois médicaments d’efficacité croissante. Commencer par associer le paracétamol au tramadol. Si cela ne suffit pas au bout de 36 heures, n’hésitez pas à passer à l’Actiskenan qui est de la morphine ; il faudra alors poursuivre le paracétamol, mais stopper le tramadol qui pourrait diminuer l’action de la morphine. Dans tous les cas, ne pas attendre que la douleur revienne pour prendre les traitements.

→ Le Carbosymag lutte contre l’acidité de l’estomac et les ballonnements. Il doit également être pris de façon régulière mais pas en même temps que les antalgiques, dont il peut gêner l’efficacité.

Les horaires d’administration

La patiente ne se réveille jamais avant 10 heures, fait une sieste vers 14 heures et se couche vers 22 heures. Il faut donc déterminer les horaires de prise en conséquence.

→ Paracétamol : 2 gélules à 10 heures, 15 heures et 20 heures.

→ Tramadol : 1 gélule aux mêmes horaires que le paracétamol.

→ Carbosymag : prises à 12 heures, à 17 heures et à 22 heures. Une unité de prise comporte deux gélules : la verte libère le charbon, la siméticone et l’oxyde de magnésium au niveau gastrique et la gélule orange se délite au niveau intestinal et libère le charbon et la siméticone.

Si besoin :

→ Actiskenan : 1 gélule à prendre aux mêmes horaires que le paracétamol (arrêter le tramadol).

Les effets indésirables

→ Paracétamol : aux doses recommandées, rares accidents allergiques (simples rashs cutanés avec érythème ou urticaire).

→ Opioïdes (tramadol et morphine) : effets indésirables liés à l’action dépressive centrale et à l’action sur les muscles lisses. Ainsi : nausées, constipation, somnolence, vertiges, sédation, euphorie, hypersensibilité (prurit, urticaire…), hypotension, bradycardie, bronchospasmes et dépression respiratoire (notamment chez les asthmatiques). Le risque de dépendance n’est pas à prendre en compte dans un contexte de douleurs cancéreuses.

→ Tramadol : convulsions rapportées aux doses recommandées. Risque accru en cas de surdosage, chez les patients avec antécédents de convulsions ou sous traitement abaissant le seuil épileptogène (antidépresseurs, neuroleptiques…). Confusion voire hallucination et/ou délire peuvent s’observer, surtout chez les personnes âgées.

→ Carbosymag : troubles du transit dus au magnésium (essentiellement diarrhée), coloration plus foncée des selles.

J’accompagne

Surveillance

Pour la famille, et jusqu’à la prochaine consultation, la surveillance est clinique. Elle consiste avant tout à évaluer avec la patiente l’efficacité des antalgiques pour adapter le traitement. Les symptômes neurologiques doivent également être surveillés, en particulier des vertiges, une sédation inhabituelle, une confusion. En cas de doute quant au dosage et à la tolérance de la patiente, appeler le médecin.

Hygiène de vie

→ Constipation : Madame J. étant dénutrie et ne prenant pas ses compléments nutritionnels oraux, il semble peu opportun de conseiller des restrictions alimentaires (tout ce qui lui fait plaisir peut être proposé) et de l’exercice physique. Par contre, il faut essayer de maintenir une hydratation suffisante en buvant régulièrement de petites quantités.

→ Brûlures gastriques : surélever le lit pour éviter un éventuel reflux ; limiter les aliments acides (jus de fruits, tomate).

→ Nausées : favorisées par les opioïdes, elles sont également fréquentes lors de repas servis chauds ou de la prise de CNO tièdes. Privilégier de petites rations, plutôt tièdes.

Vente associée

Si Madame J. n’a pas de pilulier, montrez les modèles que vous avez.

La fille de la patiente me demande…

« Ma mère a du mal à avaler tous ces médicaments, comment faire ? » Je peux vous proposer de mettre le paracétamol en sachet pour solution buvable ou en lyoc et le tramadol en comprimé effervescent. Par contre, les gélules de Carbosymag ne peuvent être ouvertes car l’une d’entre elles est gastrorésistante. Si la prise d’Actiskenan s’avère nécessaire, vous pouvez ouvrir la gélule et en mélanger le contenu dans une comporte ou un yaourt.

« Peut-on donner 4 grammes par jour de paracétamol comme écrit sur la notice ? »

Non, cela ne semble pas judicieux. Votre mère étant dénutrie et de faible poids, on risquerait d’être en surdosage.