Traitements du VIH : où en est-on 40 ans après la découverte du virus du sida ?

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Traitements du VIH : où en est-on 40 ans après la découverte du virus du sida ?

Publié le 1 décembre 2023
Par Violaine Badie
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Ces dernières années, la prise en charge des patients atteints du virus de l’immunodéficience humaine a connu des avancées considérables. Le point sur les nouveaux traitements et sur la recherche, 40 ans après la découverte de ce rétrovirus par des scientifiques de l’Institut Pasteur à Paris.

En France, environ 173 000 personnes vivent avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), et 5 000 nouveaux cas d’infection ont été diagnostiqués en 2022. Depuis l’avènement des antirétroviraux dans les années 1990, les traitements se sont améliorés de façon notable, pour tendre vers une médecine de plus en plus personnalisée. 

Allègement et longue durée d’action

« Les allègements concernent des patients déjà sous trithérapie antirétrovirale, en succès thérapeutique et qui ne présentent pas de résistance », détaille Pierre Delobel, chef du service des maladies infectieuses du centre hospitalier universitaire de Toulouse (Haute-Garonne) et chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les réservoirs du VIH. L’objectif est de leur proposer, au cas par cas, d’alléger la prise médicamenteuse afin d’en réduire les effets secondaires, d’améliorer leur qualité de vie et de prévenir certaines toxicités.

« Nous disposons actuellement de deux modalités : passer d’une trithérapie à une bithérapie par voie orale 7 j/7, ou rester en trithérapie avec un traitement par intermittence, soit une prise orale 4 j/7 », poursuit l’infectiologue clinicien. La seconde option reste une initiative française, qui n’a pas encore été reprise dans les recommandations européennes ou américaines. « Avec un traitement intermittent dit “à cycle court”, soit avec une pause de trois jours, il reste encore du médicament en intracellulaire, le virus n’a pas le temps de faire de rebond dans ce délai et les patients restent indétectables. »

Concernant les bithérapies, deux combinaisons par voie orale ont été validées au cours d’essais cliniques : les associations dolutégravir + lamivudine et dolutégravir + rilpivirine. Le double allègement thérapeutique (soit une bithérapie 4 j/7) a été étudié dans l’essai ANRS1 Duetto : « Malheureusement, nous avons constaté que le traitement devenait insuffisant chez une fraction des participants. Mixer les deux allègements expose à un risque trop important d’échecs virologiques », commente Pierre Delobel.

Dans un sens, les traitements à longue durée d’action constituent aussi un allègement : il s’agit d’une bithérapie, avec administration très espacée. « Le concept est d’utiliser des produits déjà employés par voie orale, retravaillés pour être libérés de manière prolongée. La seule bithérapie “long acting” à notre disposition pour l’instant est l’association cabotégravir + rilpivirine (Vocabria + Rekambys), en injection intramusculaire toutes les huit semaines », poursuit Pierre Delobel. Cette option thérapeutique est à privilégier pour des personnes qui respectent scrupuleusement les dates d’injection, et il faut rester prudent pour les patients peu observants. « En cas d’inobservance, on se retrouve avec des concentrations résiduelles d’antiviraux insuffisantes pour stopper le rebond du virus. C’est la situation la plus à risque d’émergence de résistance. En cas d’échec thérapeutique, le virus mute alors pour deux grandes familles de molécules, les analogues non-nucléosidiques et les inhibiteurs de l’intégrase, ce qui complique grandement la prise en charge ultérieure. » 

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Les traitements injectables à longue durée d’action sont, eux aussi, réservés à des allègements secondaires, pour des patients déjà soignés par trithérapie ou bithérapie orale et dont le virus est pleinement sensible aux deux molécules employées. La mise en place de ce traitement se déroule toujours à l’hôpital. Le suivi peut ensuite être effectué à domicile, en faisant appel à des infirmiers libéraux.

Médicaments pour virus multirésistants

« A côté de ces progrès destinés aux patients qui vont bien, chez qui on cherche à alléger les traitements, nous bénéficions aussi de récentes innovations pour les patients avec un virus multirésistant, chez qui on va chercher au contraire à renforcer les traitements », explique Pierre Delobel. Trois nouvelles molécules sont venues récemment consolider l’arsenal thérapeutique, avec, par ordre de mise à disposition, l’ibalizumab (Trogarzo, dont l’approvisionnement est suspendu à ce jour en France), le fostemsavir (Rukobia) et le lénacapavir (Sunlenca).

Elles offrent de nouvelles solutions, combinées au cas par cas, pour les patients en échec thérapeutique. « Le lénacapavir est particulièrement intéressant car il s’agit d’une nouvelle famille de médicament : les inhibiteurs de la capside, assemblage protéique qui enveloppe les acides nucléiques du virus. Le traitement se fait en injection sous-cutanée tous les six mois, en combinaison avec des traitements oraux optimisés, souvent des quadri- ou pentathérapies. » Le fostemsavir (inhibiteur d’entrée) est, quant à lui, délivré quotidiennement par voie orale. L’ibalizumab (anticorps monoclonal anti-CD4) est administré par voie intraveineuse tous les 15 jours.

Une nouvelle classe moléculaire est également en cours de développement (essai de phase 2) : les inhibiteurs de la maturation. Ce nouveau mécanisme d’action permettrait d’élargir encore les possibilités offertes aux patients souffrant de multirésistances.

Les « super anticorps » 

Si les traitements actuels contrôlent la réplication virale, certes de manière efficace, l’espoir demeure d’éliminer le VIH de manière plus durable. L’attention se tourne vers un domaine de recherche inédit : celui des anticorps neutralisants à large spectre. « Ils ont été découverts grâce à l’observation de certaines personnes assez exceptionnelles, qui développent des anticorps doublement intéressants : ils possèdent un grand pouvoir neutralisant et reconnaissent un large spectre de variants du VIH. Nous avons récemment aussi trouvé ces anticorps chez d’autres personnes, des “contrôleurs”, chez qui il n’y a pas de rebond du virus malgré l’arrêt des traitements antirétroviraux », décrit Asier Saéz-Cirión, chercheur à l’Institut Pasteur et responsable de l’unité réservoirs viraux et contrôle immunitaire. « Nous pouvons aujourd’hui isoler et produire ces anticorps neutralisants à large spectre in vitro pour les utiliser comme outil thérapeutique », reprend le chercheur. « Il a été prouvé qu’ils peuvent remplacer au moins transitoirement une thérapie antivirale et ils ont une durée de vie très longue, de l’ordre de six mois. »

Grâce à leur aptitude à bloquer la réplication du virus et à faciliter l’élimination des cellules infectées, ces anticorps sont aussi de plus en plus évoqués dans une perspective de rémission durable de l’infection par le VIH. « Ils forment des complexes immuns avec des petits fragments de virus, qui activent la réponse immunitaire. Nous pensons que la présence de ces anticorps permettrait non seulement de bloquer la réplication du virus et d’éliminer les réservoirs, mais aussi de booster la réponse immunitaire avec un effet vaccinal qui persisterait même quand ils ne sont plus présents dans l’organisme », expose le chercheur de l’Institut Pasteur. Une hypothèse en cours de vérification qui présenterait en prime un intérêt prophylactique.

Pour la partie thérapeutique, un consortium d’experts lancera début 2024 une étude en double aveugle randomisée baptisée « Rhiviera-02 »2, visant à déterminer si l’emploi de ces anticorps, combinés à un traitement antirétroviral précoce, pourrait permettre aux patients de devenir à leur tour « contrôleurs » et d’espérer une rémission durable après l’arrêt des antirétroviraux.

1 Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales.

2 Remission of HIV Infection Era.