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Prise en charge des nouveaux antimigraineux : on marche sur la tête

Publié le 2 septembre 2023
Par Caroline Guignot
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Les antagonistes des CGRP révolutionnent le traitement de la migraine sévère, de nouvelles classes thérapeutiques s’annoncent. Mais pour quels malades ? Professionnels de santé et patients s’agacent de l’absence de remboursement.

 

Le 19 juin 2023, toute la communauté neurologique française, représentée par ses principales sociétés savantes, a adressé une – nouvelle – lettre ouverte au ministre de la Santé, François Braun. Sa revendication : plaider pour le remboursement réel des anticorps monoclonaux anti-CGRP (calcitonine gene-related peptide) pour les patients migraineux sévères. Car, en France, contrairement à 23 autres pays européens, ces médicaments innovants ne sont pour ainsi dire pas pris en charge. En ville, ils ne sont pas remboursés par l’Assurance maladie alors que leur prix unitaire est d’environ 250 à 270 €. Seul l’hôpital permet leur prise en charge, alors même que leur administration ne nécessite en rien un acte hospitalier. Résultat : 2 000 Français seulement peuvent aujourd’hui s’offrir le luxe d’être soulagés, sur les 30 000 à 40 000 patients migraineux éligibles.

 

Derrière cet état des lieux, le dogmatisme de la commission de la transparence, déjà décrié par d’autres sociétés savantes, de n’accorder l’éligibilité au remboursement qu’aux médicaments qui ont été comparés à un comparateur actif dans des essais cliniques randomisés. Pour des patients « en multi-échecs (pour inefficacité ou mauvaise tolérance) de traitements de fond classiques […], c’est non seulement quasi infaisable, mais non éthique », souligne la lettre ouverte. Et cela s’avère par ailleurs un « très mauvais calcul médico-économique » :  la migraine coûterait au bas mot 12 milliards d’euros par an, dont 80 % de coûts indirects secondaires à la perte de productivité et à l’absentéisme, alors que la prise en charge des anti-CGRP plafonnerait tout au plus à 50 millions d’euros. Un dogmatisme « qui tue », n’hésite pas à asséner le Dr Christian Lucas, neurologue au centre hospitalier régional universitaire de Lille (Nord) et président de la Société française d’études des migraines et céphalées.

Les échecs thérapeutiques devraient devenir rares

 

Un constat dommageable, à l’heure où le traitement de la migraine connaît de réelles innovations, bien après l’avènement des triptans il y a une trentaine d’années. En 2002, la capacité de la protéine CGRP à déclencher des crises spécifiquement chez les patients migraineux fait entrevoir de nouvelles perspectives. Le rôle de ce neuropeptide est décrypté : libéré par les terminaisons trigéminales, il engendre une inflammation neurogène et une vasodilatation. Depuis, des anticorps monoclonaux anti-CGRP ont été développés dans le traitement de fond de la migraine : érénumab (Aimovig), galcanézumab (Emgality), frémanezumab (Ajovy) et eptinezumab (Vyepti, à usage hospitalier). Ils complètent la liste des autres traitements préventifs (β-bloquants, antiépileptiques, etc.), dont aucun n’avait été spécifiquement développé pour la pathologie migraineuse. Dans ce paysage, les anti-CGRP injectables ont constitué une vraie révolution : « 30 à 40 % des patients migraineux chroniques arrêtent le traitement de fond conventionnel pour échec ou effets secondaires gênants », précise Christian Lucas. Ces anticorps sont indiqués pour ceux qui ont encore au moins huit jours de crise par mois après échec d’au moins deux traitements de fond. « On note environ 80 % de répondeurs pour chaque anti-CGRP, sachant que la non-réponse à l’un n’est pas prédictive de la réponse à l’autre. Aussi, avec un arsenal de trois anticorps monoclonaux, les patients qui resteront en échec thérapeutiques seront rares », estime le neurologue. Parallèlement, le Botox (toxine botulique) a également obtenu un avis favorable au remboursement en traitement prophylactique de la migraine chronique chez des patients en échec de précédents traitements de fond. Mais il reste cantonné à la réserve hospitalière, accessible uniquement aux patients bénéficiant d’un suivi hospitalier.

 

Dans les lignes de traitement précédentes, une autre molécule est désormais recommandée : le candésartan, hors autorisation de mise sur le marché, mais « presque aussi efficace que les β-bloquants », tout en étant dénué de certaines de leurs contre-indications. Enfin, parmi les traitements prophylactiques ayant un bon niveau de preuve, Christian Lucas tient à souligner l’utilisation possible de l’amytriptyline ou de certains antiépileptiques, comme le topiramate, la lamotrigine, le lévétiracétam : « Nous les prescrivons à faibles posologies. Il ne faut donc pas parler aux patients de ces molécules comme des antiépileptiques ou des antidépresseurs, car elles ne sont pas utilisées pour ces propriétés à ces posologies : la première est neuromodulatrice à faible dose, les secondes sont antiglutamatergiques antiexcitatrices. Lorsque l’on parle d’antiépileptique ou d’antidépresseur à un patient migraineux, il s’en inquiète et finit par ne pas prendre son traitement. »

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La relève est assurée

 

Des antagonistes anti-CGRP oraux ont été développés dans le sillage des anticorps monoclonaux : la famille des gépants, qui possèdent l’avantage d’avoir une action rapide et de constituer une alternative complémentaire aux triptans en traitement de crise. L’ubrogépant et le rimégépant sont ainsi les deux premiers représentants oraux commercialisés aux Etats-Unis, rejoints par le zavégépant, première formulation nasale. Certains, à demi-vie plus longue, dont l’atogépant (Qulipta) est le premier représentant, seront réservés à la prophylaxie antimigraineuse. Le Comité des médicaments à usage humain de l’Agence européenne du médicament a recommandé l’approbation de ce dernier mi-juin.

 

Devraient également apparaître dans le paysage thérapeutique deux autres classes : les antagonistes du Pacap-38 (pituitary adenylate cyclase-activating polypeptide) et les ditans. Le Pacap-38 est un neuropeptide responsable de migraine, dont les voies d’action sont assez voisines mais probablement complémentaires de celles du CGRP. « Pacap-38 est présent dans la soupe inflammatoire qui est liée à la migraine, au même titre que le CGRP, explique Christian Lucas. Il est possible que la voie liée au premier soit majoritaire dans le processus migraineux des mauvais répondeurs aux anti-CGRP. » Les ditans (agonistes des récepteurs 5-HT1F) sont, eux, des traitements de crise à rapprocher des triptans qui, pour rappel, sont des agonistes des récepteurs 5-HT1B/D. Ils en sont des voisins, et l’un de leurs avantages serait de ne pas avoir de contre-indication cardiovasculaire, car ils sont dénués d’effet vasoconstricteur. Pour l’heure, le premier d’entre eux, le lasmiditan (Reyvow), est enregistré aux Etats-Unis et en Europe, mais il provoque des sensations vertigineuses qui peuvent être incompatibles avec certaines activités de la vie quotidienne, comme la conduite. Sa place devrait donc être limitée, par exemple réservée aux crises nocturnes.

 

En attendant l’arrivée de ces molécules en France, les traitements de crise restent inchangés : « Ceux à plus haut niveau de preuve sont les triptans, puis les anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène, kétoprofène, diclofénac et naproxène sodique), ces derniers constituant le traitement de première intention. » Les deux classes thérapeutiques peuvent être utilisées en association, notamment pour les patients confrontés à des crises nocturnes, apanage des migraines cataméniales (liées aux cycles menstruels) et des migraineux à mesure qu’ils vieillissent.

 

Les approches physiques (neurostimulation transcutanée ou Tens, Céphaly) et non médicamenteuses (acupuncture, hypnose, pleine conscience, thérapies cognitivocomportementales, etc.) se développent parallèlement : « Certaines commencent à disposer d’un bon niveau de preuve, comme l’acupuncture, dans laquelle des protocoles précis consacrés à la douleur chronique soulagent les patients », souligne Christian Lucas. Reste que ces approches souffrent des mêmes difficultés : l’absence de prise en charge par l’Assurance maladie…