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Les probiotiques dans l’intestin irritable

Publié le 1 novembre 2023
Par Nathalie Belin
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Cités dans les recommandations de prise en charge du syndrome de l’intestin irritable (SII), les probiotiques s’utilisent toujours en accompagnement de conseils diététiques et d’hygiène de vie.

De quoi s’agit-il ?

• Le syndrome de l’intestin irritable (SII) évolue de façon chronique. Il associe des douleurs ou un inconfort abdominal avec parfois des ballonnements et des troubles du transit, diarrhée ou constipation. On distingue des formes avec diarrhée prédominante (SII-D), constipation prédominante (SII-C), mixtes alternant diarrhée et constipation (SII-M) et des formes non classables.

• Les causes de la maladie d’origine multifactorielle ne sont pas encore parfaitement comprises. Interviendraient des troubles de la motricité intestinale avec une majoration des contractions intestinales pouvant expliquer les douleurs spasmodiques, de la sensibilité digestive avec une hyperexcitabilité neuronale et des anomalies de contrôle de la douleur, ainsi qu’une inflammation chronique de bas grade avec infiltration de cellules et cytokines inflammatoires au niveau de la muqueuse intestinale.

• Une dysbiose (voir encadré ci-dessous) s’observe chez les deux tiers des patients(1). Elle favoriserait une altération de la perméabilité intestinale, constatée chez certains patients, et entretiendrait la micro-inflammation locale.

• Certains aliments et facteurs psychologiques (stress, anxiété…) sont associés à des aggravations ou à une réapparition des symptômes.

Quelle prise en charge du SII ?

• L’objectif est de diminuer la fréquence et/ou l’intensité des épisodes douloureux et des troubles du transit, et d’améliorer la qualité de vie. Des conseils diététiques de bon sens améliorent en général les douleurs et les ballonnements, avec en complément des traitements symptomatiques à l’efficacité variable selon les patients.

• Les antispasmodiques conventionnels (alvérine, phloroglucinol…), l’huile de menthe poivrée (colpermin) et/ou des pansements intestinaux (diosmectite, montmorillonite beidellitique) visent à limiter douleurs et ballonnements. Les antidiarrhéiques (diosmectite, lopéramide…) et des laxatifs, notamment les macrogols, corrigent les troubles du transit à la plus petite dose efficace. En pratique : prise des antispasmodiques en continu si besoin ou à la demande lors de recrudescence des symptômes. Ne pas poursuivre un traitement inefficace dès les premières prises mais au contraire en changer.

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• En cas d’échec, des médicaments indiqués dans les douleurs neuropathiques sont proposés hors AMM : tricycliques, inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine…

Quel intérêt des prébiotiques ?

• La dysbiose constatée chez certains patients explique l’intérêt des probiotiques. Les recommandations françaises notent l’efficacité modérée pour ceux ayant fait l’objet d’études cliniques. Bien tolérés, ils sont fréquemment utilisés par les patients qui en rapportent parfois un bénéfice.

• Aucune preuve convaincante dans le SII de l’intérêt des prébiotiques tels oligo ou poly-saccharides à chaîne courte – inuline, lactulose, oligofructose… -, stimulant la croissance de certaines souches bactériennes, et des symbiotiques associant probiotiques et prébiotiques.

Que rapportent les études ?

• L’Organisation mondiale de gastroenterologie (WGO) cite des souches ou associations de probiotiques avec des preuves d’efficacité dans le SII(2). D’autres souches ne figurant pas dans ce rapport ont des preuves d’efficacité convaincantes, dont L gasseri LA 806 (Lactiplus)(3).

• Certaines ont été étudiées sans distinction de la forme de SII : Lactobacillus plantarum 299v (Smebiocta Confort), Bifidobacterium infantis 35624 (Symbiosys Alflorex), l’association dans Lactibiane Référence et également Bifidobacterium bifidum MIMBb 75 (Kijimea), Saccharomyces boulardii CNCMI-745 (Ultra-Levure) et Bifidobacterium animalis DN-173010 (Activia). Globalement, les études montrent une efficacité sur les douleurs et les ballonnements et/ou une amélioration de la qualité de vie. Toutefois, S. boulardii ne semble pas améliorer la fréquence ou la consistance des selles, notamment en cas de tendance diarrhéique. Et les effets d’Activia semblent surtout bénéfiques chez les patients souffrant de constipation, chez qui il tend à augmenter la fréquence des selles.

• L’association Lactobacillus plantarum et Pediococcus acidilactici (Probiolog Florvis) a été étudiée(4) chez 84 sujets avec SII à tendance diarrhéique. L’étude a montré une amélioration de la qualité de vie après six semaines.

Comment les préconiser ?

• Puisque l’efficacité varie selon la personne et l’effet placebo ou nocebo, important dans le SII, tester une formule quatre semaines avant d’en changer en l’absence d’amélioration. En cas d’efficacité, continuer jusqu’à complète stabilisation des symptômes avant d’arrêter. Attention, le potentiel effet bénéfique dure le temps de la prise ; 24 à 48 heures après leur arrêt, les probiotiques ne sont plus détectés dans les selles.

• Certaines formules en poudre ou gélule se mélangent à un liquide ou aliment froid ou tiède mais pas chaud pour ne pas inactiver la souche microbienne.

Quelles précautions ?

Déconseiller les probiotiques aux personnes immunodéprimées. S. boulardii est contre-indiquée chez les porteurs d’une chambre implantable ou immunodéficients en raison d’un risque de fongémie (= présence de champignons/levures dans le sang).

Quelles alternatives ?

Deux composants ciblant la perméabilité intestinale ont montré un intérêt en cas de SII-D.

• La glutamine a été étudiée chez des patients présentant un SII-D après une gastroentérite aiguë(5). À raison de 5 g trois fois par jour durant huit semaines, elle a diminué le nombre de selles et amélioré leur consistance versus placebo. Elle est présente dans les compléments alimentaires ciblant l’hyperperméabilité intestinale, mais en général à des doses inférieures, et parfois associée à des vitamines, minéraux et/ ou plantes tels curcuma, thé vert… : Bioprotus Permactiv’, Dayang L-Glutamine, Ergyprotect Confort, Glutaform, Glutavance, Permea-Regen…

• Le xyloglucane associé à des protéines végétales, des tanins – extraits de pépins de raisin – et des prébiotiques (Gelsectan) a été testé versus placebo chez 60 patients. Cette association a montré un intérêt pour réduire la diarrhée, les douleurs et les ballonnements après 4 semaines.

• En pratique. L’un ou l’autre peut être testé sur un mois, à prolonger ou renouveler plusieurs fois dans l’année en cas de bénéfice.

Quels conseils ?

• Des conseils de bon sens limitent douleurs et ballonnements : trois repas par jour à heures régulières, manger lentement. Limiter aliments gras, épicés, boissons gazeuses, alcool, oignons, choux, chewing-gums et confiseries. Répartir les fibres (fruits, céréales complètes.) sur la journée.

• Une activité physique régulière peut être bénéfique sur le stress et l’anxiété et, selon quelques études, diminuerait la sévérité de la maladie.

• L’hypnose est une thérapie complémentaire validée et citée dans les recommandations françaises, britanniques et américaines dans le SII. Son efficacité est prouvée sur les ballonnements et l’inconfort abdominal, quelle que soit la forme du SII. Méditation pleine conscience, yoga, gi gong et sophrologie peuvent aider à gérer le stress et l’anxiété.

(1) apsii.org, onglet La maladie/Causes et mécanismes.

(2) Probiotics and prebiotics. World Gastroenterology Organisation Global Guidelines February 2023.

(3) Ait Abdellah S, Scanzi J Gal C Martin M, Beck M, Ojetti V Lactobacillus gasseri LA806 Supplementation in Patients with Irritable Bowel Syndrome: A Multicenter Study J Clin Med. 2022 Dec 15;11 (24):7446. doi: 10.3390/jcm11247446. PMID: 36556059; PMCID: PMC9787120.

(4) 1.31, a new combination of probiotics, improves irritable bowel syndrome-related quality of life. World J Gastroenterol 2014.

(5) Zhou et al. Randomised placebo-controlled trial of dietary glutamine supplements for postinfectious irritable bowel syndrome. Gut, 2019.

La dysbiose et perméabilité intestinale

→ Une dysbiose intestinale correspond à des anomalies quantitatives et/ou qualitatives du microbiote intestinal par rapport à ce qui est habituellement observé chez des individus sains. Chez ces derniers, deux grands groupes de bactéries bénéfiques dominent : les bacteroïdetes et les firmicutes(6). Une dysbiose s’accompagnant d’une diminution de la diversité ou du nombre de ces bactéries est observée dans nombre de pathologies : maladies chroniques inflammatoires de l’intestin (Crohn et rectocolite hémorragique), polyarthrite rhumatoïde, obésité, SII.

→ Dans le SII, cette dysbiose aurait plusieurs conséquences : augmentation de la synthèse de composés délétères dont des gaz, modification de la perméabilité intestinale favorisant le passage de substances délétères dans la paroi intestinale puis le sang, modulation de l’inflammation par diminution de l’absorption de nutriments bénéfiques et par pénétration de molécules proinflammatoires, perturbation du système nerveux autonome…

(6) https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2021/06/msc200310/msc200310.html