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Les jambes lourdes

Publié le 1 juillet 2024
Par Nathalie Belin
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Signe d’une stase veineuse chronique, la sensation de jambes lourdes est fréquente et accentuée en période estivale. En comprendre la physiopathologie permet de bien en expliquer les principes de prise en charge.

De quoi parle-t-on ?

• La sensation de jambes lourdes est un symptôme de l’insuffisance veineuse chronique qui affecterait 18 millions de personnes en France(1). Celle-ci regroupe l’ensemble des manifestations secondaires à une stase veineuse au niveau des membres inférieurs.

• Pour comprendre. Au niveau des membres inférieurs, le retour veineux, c’est-à-dire la circulation du sang appauvri en oxygène vers le cœur et les poumons, est assuré à 90 % par le réseau veineux profond et à 10 % par le réseau veineux superficiel (grande saphène, petite saphène et leurs affluents). Ce dernier se draine dans le réseau profond via des veines perforantes et des crosses saphéniennes. Dans ce réseau, les veines possèdent des valvules qui imposent une circulation du sang vers le cœur (malgré la gravité ou les contractions musculaires) en empêchant le sang de refluer.

En position debout statique, la pression veineuse au niveau de la cheville est élevée. Lors de la marche, la contraction musculaire au niveau de la semelle plantaire, du mollet et du système abdomino-diaphragmatique (ou « pompe respiratoire ») fait baisser cette pression. Du fait d’une altération des veines ou de leurs valves, ou encore d’un dysfonctionnement de la pompe veino-musculaire (liée à l’action des muscles du mollet), le sang stagne dans les veines et une hyperpression veineuse prolongée apparaît, à l’origine des signes de l’insuffisance veineuse. Cette hyperpression est responsable d’une inflammation chronique pouvant sur le long terme favoriser la survenue de troubles trophiques (résultant d’une mauvaise oxygénation et nutrition des organes).

Quels sont les facteurs de risque ?

Les principaux facteurs de risque sont l’âge, les antécédents familiaux, l’obésité ou le surpoids, la grossesse et la station debout prolongée. L’insuffisance veineuse chronique touche les deux sexes avec néanmoins une prédominance féminine pour les symptômes (mais pas les varices) qui pourrait être liée à un biais de recrutement (les femmes consultant plus facilement).

Quels sont les principaux mécanismes en cause ?

• L’insuffisance veineuse fonctionnelle est la conséquence d’un retour veineux défaillant, malgré des veines « normales ». Une diminution de la fonction musculaire est en jeu : défaut de marche, dysfonction de la pompe du mollet, altération de la dynamique respiratoire…

• La maladie variqueuse se caractérise par la formation de varices (voir Dico+) dont le trajet devient tortueux et entrave la circulation sanguine. Les varices peuvent aussi être une conséquence d’une insuffisance veineuse fonctionnelle ou d’un syndrome post-thrombotique.

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• Le syndrome post-thrombotique est une insuffisance veineuse secondaire à une thrombose veineuse profonde. Il peut survenir jusqu’à plusieurs années après cette dernière.

Quelles sont les manifestations cliniques ?

Il peut s’agir de signes « subjectifs » ou, à un stade plus avancé, de signes physiques.

• Signes fonctionnels. Fréquents et peu spécifiques, ils se caractérisent classiquement par des sensations de jambes lourdes ou douloureuses, des crampes ou des démangeaisons. Ces symptômes peuvent se majorer au fil de la journée, après une station debout ou assise prolongée, en cas d’exposition à la chaleur, parfois en période prémenstruelle ou sous contraception oestroprogestative. Ils sont améliorés par l’exercice physique, la compression veineuse, la surélévation des membres inférieurs, l’exposition au froid (en hiver).

• Signes physiques. Ils s’installent progressivement avec l’ancienneté ou la sévérité de la dysfonction veineuse : œdème, initialement au niveau de la cheville, dû à un déficit de la perméabilité des veines fragilisées permettant le passage de l’eau contenue dans le sang dans les espaces intercellulaires (l’œdème n’étant pas lié à une rétention hydrosodée, il n’y a pas de prise de poids), varicosités voire varices, troubles trophiques tels qu’une dermite ocre (taches ocre, brunes sur les jambes, conséquence de l’infiltration des hématies dans le derme) ou un eczéma… voire, à un stade ultime, un ulcère variqueux.

Quelles sont les complications ?

Outre celles liées à l’évolution de la maladie veineuse chronique (voir Signes physiques plus haut), la présence de varices est un facteur de risque de thrombose veineuse superficielle ou profonde et de complications hémorragiques (rupture d’une varice).

Quelle est la prise en charge ?

L’objectif est de soulager les troubles fonctionnels et de prévenir l’apparition de troubles trophiques. Le traitement le plus efficace est la compression élastique, qui fait disparaître la stase veineuse et l’œdème, complété par des mesures d’hygiène de vie qui diminuent la symptomatologie.

L’hygiène de vie

• Exercice physique. Le fait de rester assis ou de piétiner favorise la stagnation du sang dans les veines des jambes. En marchant ou en bougeant, les muscles se contractent, appuient sur les veines et propulsent le sang vers le cœur. Les études manquent pour prouver les bénéfices de l’exercice physique car elles sont difficiles à mener et ne présentent pas d’enjeu économique. L’incitation à bouger est donc avant tout une recommandation de bon sens pour s’opposer à la stase veineuse. Vélo et natation sont des sports particulièrement intéressants car ils déchargent les jambes du poids du corps, donc diminuent la pression liée à la pesanteur qui s’y exerce.

• Autres. Perdre du poids le cas échéant, éviter l’exposition prolongée à la chaleur (dont le chauffage au sol) qui favorise la dilation des veines, surélever les pieds, notamment la nuit, lutter contre la constipation du fait des efforts de poussée responsables d’une augmentation de la pression veineuse qui aggravent la stase veineuse.

La compression médicale

• En comprimant les veines et les tissus, les dispositifs augmentent le flux veineux, empêchent le sang de refluer vers le bas, limitent la formation d’un œdème et améliorent l’efficacité de la pompe musculaire du mollet. Son efficacité est prouvée sur les symptômes (lourdeur, fourmillements, crampes, gonflement des chevilles) et la prévention de la phlébite à partir de la classe II (sur quatre classes de compression, la IV étant la plus forte). La compression ne prévient pas l’apparition de varices.

Le choix de la classe dépend de son indication mais aussi de sa tolérance. La classe II a notamment pour indication la présence de varices, la grossesse et le post-partum (6 semaines après l’accouchement) avec pour principal objectif la prévention de la phlébite. La classe III est notamment recommandée en cas d’œdème chronique ou de troubles trophiques. Toutefois, l’observance étant la priorité, un dispositif de classe II porté est préférable à une classe III non portée !

• En pratique. Chaussettes, bas ou collants ont la même efficacité (liée à la pression exercée sous le genou, depuis la cheville jusqu’au mollet) et relèvent du choix du patient. Pour déterminer la taille du dispositif, la prise de mesure doit se faire le matin, sur une jambe « fine » ! Le port débute dès le matin au lever ou après une douche fraîche sur les jambes, et se poursuit idéalement toute la journée (mais systématiquement en prévention d’une thrombose !). En été, un port au moins le matin pour soulager les jambes est mieux que rien !

Les veinotoniques

Flavonoïdes issus de plantes ou dérivés obtenus par synthèse, les produits veinotoniques augmentent (en laboratoire) le tonus des parois veineuses et exercent une action anti-inflammatoire locale. Plusieurs méta-analyses(2) montrent que certains veinotoniques (Daflon 500, Esberiven Fort, Cyclo 3 Fort, Veinamitol, extrait de marron d’Inde, extrait de feuilles de vigne rouge, etc.) diminuent, versus placebo, les lourdeurs, fourmillements, crampes dans les jambes et l’œdème des chevilles. Leurs effets restent toutefois modestes et sont plus lents à se mettre en place que la compression, immédiatement efficace. Déremboursés en raison d’une efficacité insuffisante et d’une surprescription, ils sont néanmoins recommandés par la Société européenne de chirurgie vasculaire(2) pour soulager les symptômes et l’œdème.

• En pratique. Classiquement, des cures de 2 à 3 mois sont recommandées, l’effet n’apparaissant qu’au bout de quelques jours à quelques semaines, à renouveler plusieurs fois dans l’année, notamment en été si le port de la compression est mal toléré. Attention, ils ne la remplacent pas : celle-ci est impérative en traitement ou prévention de la phlébite.

(1) « Thrombose veineuse (phlébite) », Dossier de l’Inserm, 2017 modifié en 2021.

(2) « Clinical practice guidelines on the management of chronic venous disease of the lower limbs », European society for vascular surgery (ESVS), 2022.

Gels et crèmes « anti-jambes lourdes »

Aucune étude ne montre vraiment un bénéfice des veinotoniques par voie cutanée. Ils procurent un effet froid, notamment grâce à la présence de menthol. Ils peuvent en revanche être intéressants en massage et bénéfiques pour la circulation veineuse. Une texture crème est dans ce cas plus appropriée. Elle permet en outre d’hydrater la peau, souvent sèche en cas d’insuffisance veineuse.

→ À noter : si certaines références revendiquent une application possible de gel veinotonique sur des collants de compression, certains laboratoires la déconseillent, au risque de détendre les fibres textiles.

Dico +

→ Varices : veines sous-cutanées dilatées, de diamètre supérieur ou égal à 4 mm en position debout.