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Les cancers du sein triple négatif

Publié le 27 juin 2023
Par Christine Julien
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Des femmes jeunes comme cibles, un taux de récidive important, une médiane de survie faible quand il est métastatique et des traitements contraignants, le cancer triple négatif est une épreuve difficile. Le collectif Triplettes roses se bat pour faire avancer la recherche.

Élodie avait 35 ans et Juliette, 30 ans, quand le diagnostic de cancer du sein est tombé. Toutes les deux sont des « triplettes » car leur cancer est dit triple négatif. Leurs cellules tumorales ne portent pas de récepteurs aux estrogènes ni à la progestérone et ne surexpriment pas la protéine HER2 (voir interview). Ces « triples négatifs » représentent de 14 à 16 % des cancers du sein diagnostiqués en 2018(1), soit environ 9 000 cas. 80 % des cancers du sein se développent après 50 ans(2), le triple négatif préfère les jeunes…

Il n’y a pas de problème…

« Ne vous inquiétez pas, je pense que c’est un fibroadénome, mais pour être plus tranquille, vous allez faire une mammographie », soutient la gynéco à Élodie Verger, qui « sent quelque chose dans son sein ». Rassérénée, elle se rend au rendez-vous mais quand la radiologue lui dit « C’est tumoral », elle s’exclame : « Vous n’êtes pas en train de dire que j’ai un cancer du sein ? » En 2017, son monde s’écroule.

Une douleur et une palpation de boule dans le sein gauche en mai 2018 incitent Juliette Gouénard à téléphoner à sa gynécologue, qui « ne peut pas recevoir toutes les femmes qui ont mal aux seins ». En juin, un frottis est prévu. La gynéco palpe ses seins mais ne sent rien. « C’est normal d’avoir mal aux seins. À 30 ans, on n’est pas concernée par le cancer du sein ». Juliette, toujours inquiète, consulte son médecin. Sa remplaçante et un interne sentent tout de suite la boule. La mammo est nickel, reste à passer l’échographie. « Puisque c’est prescrit, je vais la faire », dit le radiologue, mais pour lui, « il n’y a pas de problème ». À l’écho, sa tête change. Il voit « quelque chose » mais « ne peut pas dire si c’est bien ou pas ». La suite ? Une succession de traitements.

Des traitements en continu

Pour Juliette, ce sera un parcours de préservation des ovocytes avant mastectomie, chimio en novembre 2018 et radiothérapie qui la brûle. Elle apprend sa mutation BRCA1. Récidive précoce en novembre 2019, avec omoplate atteint et nodules pulmonaires. Elle combine immunothérapie et chimio. En décembre 2020, des métastases osseuses la conduisent vers la radiothérapie stéréotaxique et le talazoparib (voir encadré). En 2022, les nodules pulmonaires reviennent. Il est temps de changer, Juliette bénéficie du Trodelvy. Ce qui l’oblige à retourner à l’hôpital pour les injections « à J1, J8, pause en J14, et en J21, on redémarre, ce qui fait globalement une semaine de répit par mois ». Spasmes digestifs, nausées, diarrhée, cheveux, cils, sourcils et poils, plus rien ne repousse « tant qu’on est sous traitement ». Trimébutine, pinavérium, néfopam, dompéridone, métoclopramide, énergétiseur, homéopathie, Juliette gère les effets indésirables comme elle peut. Depuis août 2022, elle est en rémission métabolique, « avec plus rien au PET scan ».

Tumorectomie, chimio, radiothérapie puis bonne nouvelle pour Elodie : la rémission ! Juin 2020, elle insiste pour revoir son oncologue. Elle a un pressentiment, le cancer est revenu. Elle a encore droit à « Il n’y a pas de raison, tout va bien ! » avant de passer le PET scan. Rebelote. Récidive, avec métastases aux poumons. Depuis, Elodie est en traitement avec en tête « on ne peut pas vous guérir » mais elle y croit car la recherche avance ! Nouvelle tumorectomie, chimio avec deuxième perte de cheveux, radiothérapie, Avastin (bévacizumab), Xeloda (capécitabine), la maladie progresse plus lentement. Elle a refusé pour l’instant le Trodelvy et débute l’essai clinique Agadir avec une double immunothérapie et de la radiothérapie.

Une bataille fructueuse

Élodie et Juliette sont très actives au sein du collectif Triplettes roses. Il s’est battu en 2021 afin de bénéficier plus largement du Trodelvy en France. Le laboratoire Gilead n’avait pas assez de traitements pour l’Europe, mais le collectif, né d’un groupe d’échanges sur les réseaux sociaux, a bataillé pour se faire entendre des autorités sanitaires et du labo. « Nous avons obtenu en juin 2021, le Trodelvy en accès compationnel pour 78 patientes et le 1er novembre 2021, le Trodelvy sans limite de dose », raconte Juliette.

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Le collectif poursuit sa mobilisation pour améliorer l’accès à l’innovation. Il a co-construit avec la start-up Klinéo une plateforme accessible aux patients et aux professionnels de santé pour rechercher des essais cliniques. « On a obtenu deux lignes de traitements supplémentaires : l’immunothérapie – le pembrolizumab en néoadjuvant – et le Trodelvy après deux lignes de traitements », se félicite Juliette. Juliette et Élodie souhaitent des professionnels de santé informés sur le triple négatif, des officinaux « humains » qui les conseillent en toute discrétion sur la gestion des effets indésirables, les perruques de cheveux naturels – celle de Juliette lui a coûté 3 500 € -, les franges des Franjynes, la lingerie et les maillots de bain adaptés aux trentenaires, telles les marques Rouge gorge ou Princesse Tam Tam. Elles ne veulent plus entendre « Un cancer du sein se soigne bien aujourd’hui », parce que ce n’est pas le cas du triple négatif métastasé. Juliette, responsable adjointe d’exploitation dans les transports, est en arrêt depuis un an. Élodie, gestionnaire dans une caisse de prévoyance, l’est depuis trois ans. Ses trois filles grandissent avec une maman « qui ne doit pas être résumée à sa maladie ». Juliette ne veut pas être vue « comme malade. On a juste envie d’être comme tout le monde ».

(1) Trodelvy, avis de la Commission de transparence, Haute Autorité de santé, avril 2022.

(2) Panorama des cancers en France, 2022, Institut national du cancer (Inca).

Élodie Verger, 41 ans, secrétaire adjointe et ambassadrice Bretagne pour le collectif Triplettes roses.

Juliette Gouénard, 35 ans, vice-présidente et cofondatrice du collectif Triplettes roses (collectiftriplettesroses.com).

Les thérapies ciblées dans le triple négatif

→ Les inhibiteurs de PARP, olaparib (Lynparza), talazoparib (Talzenna), empêchent la cellule cancéreuse d’utiliser le mécanisme de réparation lié aux PARP (poly-ADP-ribose-polymérases, enzymes impliquées dans les mécanismes de réparation de cassures simple brin de l’ADN). Ils sont actifs sur les cellules tumorales déficitaires pour BRCA* (chez les porteuses d’une mutation BRCA).

→ Les anticorps conjugués, ou ADC (antibody-drug conjugate), associent anticorps monoclonal et cytotoxique, tel Trodelvy (sacituzumab govitecan). Le govitecan cible le trophoblast cell-surface antigen 2 surexprimé dans les cellules tumorales.

→ Les anticorps à visée immunomodulatrice lèvent l’inhibition du système immunitaire induite par les cellules cancéreuses pour restaurer l’auto-immunité antitumorale. Le pembrolizumab (Keytruda) cible le récepteur PD-1 des lymphocytes T, potentialisant la réponse anti-tumorale.

(*) BRCA1 et BRCA2 sont des gènes réparateurs des erreurs/cassures de l’ADN.

Interview

“Il faut toujours différencier cancers localisés et métastatiques”

Dr Thomas Bachelot, cancérologue au centre Léon-Bérard de Lyon (69), président du French Breast Cancer Intergroup Unicancer (UCBG), groupe de recherche sur le cancer du sein.

Qu’est-ce qu’un cancer du sein triple négatif ?

Les cancers du sein ne sont pas tous identiques. Certains expriment des récepteurs aux hormones ER (estrogènes) et PR (progestérone), d’autres non. 76-80 % sont des ER+. On a mis en évidence une autre protéine, un oncogène appelé HER2, exprimé dans 15 % des cancers du sein. Il existe quatre types de cancers : ER+ HER2-, ER+ HER2+, ER- HER2+ et ER- HER2-. Les ER- HER2- sont appelés triple négatif parce que les cellules tumorales ne portent pas de récepteurs à la progestérone.

Quelles sont les caractéristiques des cancers triple négatif ?

Ils s’observent assez facilement chez les femmes jeunes. Ils sont un peu plus liés à des mutations germinales du BRCA et un peu plus agressifs. Leur risque de rechute est un peu plus important et ils se traitent moins facilement que les cancers ER+ HER2+.

Existe-t-il un traitement classique ?

Il faut toujours différencier les cancers localisés et métastatiques car ils n’ont rien à voir. Localisé, le traitement est une chimiothérapie néo-adjuvante (avant chirurgie), avec chimiothérapie et pembrolizumab, anticorps anti-PD1 (voir encadré) si la tumeur est supérieure à 2 cm. Chirurgie, radiothérapie et on poursuit l’immunothérapie ou autre si la réponse est insuffisante, tel Xeloda. En cas de mutation BRCA1 (voir encadré), on peut recourir ensuite à l’olaparib. On a 80 % de chances de guérir un cancer localisé avec quasi 80 % sans progression à cinq ans. Pour les cancers métastatiques, c’est très différent. On en guérit 0 %, 1 % ou 2 %. Métastatique ou rechute, la médiane de survie est de dix-huit mois (la moitié des patientes est en vie). Cela s’est un petit peu amélioré grâce au pembrolizumab. Pour la moitié des patientes, celles sensibles au pembrolizumab, on est à vingt-trois mois. Pour celles qui ne le sont pas, on ne fait que de la chimiothérapie et on prescrit du Trodelvy (voir encadré). Ça marche bien. Quand on débute Trodelvy chez les patientes qui ont progressé après une première ligne de chimiothérapie, la survie médiane est d’un an ; sans Trodelvy, la survie globale est de six mois.

C’est bien de gagner six mois ?

Oui. À 20 mois, 23 % des patientes sous Trodelvy sont encore en vie, contre 5 % sans. On ne sait pas combien de temps on va accorder à une patiente donnée, mais elles vont pouvoir faire ce qu’elles ont à faire…

Les femmes sont-elles soignées partout pareil ?

Il y a un problème d’égalité des chances car les prises en charge sont complexes. L’Inca nous a financés pour créer des réseaux d’excellence avec Isabelle Ray-Coquard, présidente du groupe gynécologique d’essais cliniques. Nous avons créé Fem-Net pour structurer la prise en charge. Et nous travaillons avec le collectif Triplettes roses pour un accès plus aisé aux essais cliniques.