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Les antalgiques opiacés

Publié le 10 juin 2023
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Coraline A., 64 ans, est suivie pour un cancer du sein compliqué de métastases osseuses. Un traitement cytotoxique à base de vinorelbine a été récemment mis en place. Souffrant de douleurs osseuses, elle a été hospitalisée quelques jours et une titration morphinique a été réalisée à l’hôpital. Elle en sort aujourd’hui et présente une ordonnance sécurisée pour 28 jours rédigée ainsi : oxycodone LP 40 mg (1 comprimé toutes les 12 heures), oxycodone LI 10 mg (1 gélule si besoin toutes les 4 à 6 heures) et fentanyl 200 mg (Effentora, 1 comprimé en cas d’accès paroxystiques douloureux, sans dépasser le traitement de 4 pics douloureux par jour). Elle a également une ordonnance de Navelbine orale (2 capsules à 30 mg et 1 capsule à 20 mg en 1 prise unique hebdomadaire). A la lecture des documents, la pharmacienne s’interroge.

 

EFFETS INDÉSIRABLES

Une ordonnance incomplète

ANALYSE DU CAS

Effentora (fentanyl perlingual) est utilisé pour traiter les accès paroxystiques douloureux chez des patients adultes recevant déjà un traitement de fond opioïde pour des douleurs chroniques d’origine cancéreuse. C’est bien le cas ici chez Mme A. qui souffre de métastases osseuses dont les douleurs sont traitées par oxycodone (agoniste µ entier). Cependant, l’ordonnance ne paraît pas complète.

En effet, du fait de leur action sur la musculature lisse (diminution du péristaltisme des fibres longitudinales mais augmentation du tonus des fibres circulaires avec contraction des sphincters), les morphiniques peuvent être très fréquemment responsables de constipation, Concernant 51 à 87 % des patients recevant un opiacé dans un contexte cancéreux, celle-ci « doit systématiquement être prévenue par des mesures hygiénodiététiques éventuellement associées à un traitement laxatif, souvent nécessaire dans le contexte d’une prise chronique », d’après les recommandations de bonnes pratiques sur l’utilisation des médicaments opioïdes de la Haute Autorité de santé (HAS) publiées en 2022. La coprescription d’un laxatif semble ici d’autant plus indispensable que Mme A. est traitée par vinorelbine (un vinca-alcaloïde).

Les vinca-alcaloïdes sont potentiellement responsables de neurotoxicité qui se manifeste par des crampes, des polynévrites, des paresthésies mais aussi par une constipation, qui est l’un des effets indésirables le plus fréquemment rapportés sous Navelbine et qui peut plus rarement évoluer en un iléus paralytique. Le risque de constipation est majoré en cas de traitement concomitant par morphinique.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne décide d’appeler le service hospitalier pour discuter de la pertinence d’ajouter un laxatif à la prescription. L’interne qui a rédigé l’ordonnance admet qu’un laxatif est ici particulièrement adapté. Il ajoute du macrogol 4000 (1 ou 2 sachets/jour).

La pharmacienne prend bien soin de prodiguer également à Mme A. des conseils hygiénodiététiques pour prévenir et traiter une constipation : assurer un apport hydrique suffisant, enrichir l’alimentation en fibres, tout en faisant attention à bien laver les fruits et les légumes consommés crus du fait de sa chimiothérapie potentiellement neutropéniante. Elle s’assure d’ailleurs qu’une ordonnance a été fournie à Mme A. pour pratiquer un bilan sanguin hebdomadaire.

À RETENIR

Les morphiniques sont très fréquemment responsables d’une constipation qui doit être prévenue par certaines mesures hygiénodiététiques et un laxatif osmotique.

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Des hypoglycémies incompréhensibles

Robert B., 69 ans, est traité par Glucovance (metformine et glibenclamide) et Lantus (insuline glargine). Sa femme, visiblement inquiète, rapporte que, depuis quelques jours, M. B. souffre de fréquentes hypoglycémies : « Pourtant, il mange suffisamment. C’est incompréhensible. J’ai peur qu’il fasse un malaise grave ! » Le pharmacien, qui se souvient avoir dispensé récemment Ixprim (tramadol et paracétamol), prescrit par le médecin traitant de M. B., suspecte une origine iatrogène.

ANALYSE DU CAS

La consultation de la monographie d’Ixprim révèle qu’effectivement le tramadol est incriminé dans la survenue d’hypoglycémies, avec une fréquence indéterminée.

Le tramadol est un agoniste µ qui inhibe la recapture présynaptique de la sérotonine et de la noradrénaline. Le mécanisme de survenue d’hypoglycémies sous tramadol est mal élucidé, mais pourrait être en lien avec son action monoaminergique ; des expériences menées chez la souris ont en effet montré que la sérotonine intervenait sur le métabolisme du glucose en augmentant les concentrations d’insuline.

Selon certaines études, en comparaison à la codéine, la fréquence d’hypoglycémie sous tramadol est 3 fois supérieure et le risque d’hospitalisation pour hypoglycémie 2 fois plus important, plus particulièrement en début de traitement.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien explique à Mme B. que le tramadol peut être à l’origine des hypoglycémies. Il oriente M. B. vers une consultation médicale rapide en vue d’une réévaluation du traitement antalgique (prescription de paracétamol seul ou remplacement du tramadol par de la codéine si un antalgique de palier 2 est toujours nécessaire).

En attendant, il conseille d’augmenter la fréquence des glycémies capillaires. Il s’assure également que M. B. connaisse bien les méthodes de resucrage oral.

À RETENIR

Le tramadol est susceptible d’induire des hypoglycémies. Il faut y prêter attention chez les diabétiques, notamment en début de traitement antalgique.

M. V. a des nausées

Marc V., 59 ans, souffre de douleurs chroniques liées à une lomboradiculalgie. Il est suivi par un rhumatologue. L’échec de différentes thérapies antalgiques et non médicamenteuses a conduit ce dernier à prescrire en dernier recours à M. V. Moscontin 30 mg 2 fois par jour et Actiskenan 5 mg en interdoses. Cela fait 2 jours que M. V. a commencé ce traitement mais, indisposé par des nausées, il téléphone à la pharmacie.

ANALYSE DU CAS

D’intensité variable selon les patients, les nausées et les vomissements sont des effets indésirables très fréquents avec les morphiniques. D’après certaines études, ils surviennent chez environ 40 % des malades. Ils sont liés à la stimulation de la zone chémoréceptrice (zone du cerveau reliée au centre du vomissement), mais aussi à une stimulation vestibulaire ainsi qu’à la diminution de la vidange gastrique induites par la morphine. Ils peuvent également être aggravés par une constipation sévère liée au morphinique.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne interroge M. V. pour rechercher non seulement une constipation, mais aussi des diarrhées associées évocatrices d’une gastroentérite. Comme M. V. affirme ne pas avoir de problèmes de transit, elle se montre rassurante : les nausées sont vraisemblablement liées à la morphine et se manifestent essentiellement dans la première semaine de traitement puis régressent avec la poursuite de celui-ci.

Si M. V. était gêné par des vomissements, il faudrait les signaler au prescripteur qui pourrait instaurer un traitement antiémétique antagoniste dopaminergique (métoclopramide, métopimazine). Si les nausées et les vomissements persistaient, un changement d’opioïde, appelé rotation, pourrait être envisagé. En revanche, la réduction des doses n’est pas appropriée pour contrôler cet effet indésirable.

À RETENIR

Les nausées et les vomissements sont un effet indésirable très fréquent des morphiniques. Ils surviennent généralement en début de traitement et s’améliorent en quelques jours. Ils peuvent être corrigés par le métoclopramide ou la métopimazine.

« Ma mère est très agitée ! »

Huguette F., 90 ans, vit au domicile de sa fille, Laure, depuis le décès de son mari. Elle suit une hormonothérapie pour un cancer du sein et est également traitée pour une ostéoporose. Elle souffre de tassements vertébraux, d’arthrose du genou et de la hanche. Elle se déplace difficilement à l’aide d’un déambulateur. Après une titration avec des formes orales, son médecin lui a finalement prescrit des patchs de fentanyl dont le dosage a été récemment augmenté de 50 à 75 µg par 24 heures. « Ma mère est très agitée et dit des choses incohérentes, je ne la reconnais plus ! Et quand je l’accompagne aux toilettes, c’est tout un cirque, j’ai l’impression qu’elle a du mal à uriner. »

ANALYSE DU CAS

Les troubles récents de la miction et l’état d’agitation inexpliqué de Mme F. sont évocateurs d’une rétention urinaire liée au fentanyl. En effet, les morphiniques en augmentant le tonus du sphincter urétral peuvent être responsables de dysurie, plus fréquente chez le sujet âgé et/ou en présence de facteurs de risque associés (fécalome morphinique, adénome de prostate ou traitement anticholinergique).

La dysurie, en induisant un défaut de vidange de la vessie et une rétention aiguë d’urine, peut mener à un globe vésical (distension de la vessie) potentiellement responsable d’un claquage du muscle contractile de la vessie, le détrusor. Les symptômes évocateurs sont l’absence de miction et des douleurs pelviennes, mais, chez les personnes âgées, le tableau peut être atypique avec une confusion et une agitation liées à une douleur (due au globe) et à une envie constante d’uriner sans y parvenir.

ATTITUDE À ADOPTER

Il convient d’orienter très rapidement Mme F. vers une consultation médicale pour rechercher un éventuel globe vésical, revoir à la baisse les posologies morphiniques et mettre en œuvre, si nécessaire, un sondage urinaire.

À RETENIR

Tout état d’agitation ou de confusion survenant chez un sujet âgé traité par morphinique doit faire suspecter un globe vésical et mener à une consultation urgente.

MÉSUSAGE

« J’espère être rapidement soulagé ! »

Olivier R., 49 ans, est très invalidé par des douleurs liées à une colique néphrétique. Insuffisamment soulagé par un traitement par naproxène et paracétamol qui lui avait été initialement prescrit, il est retourné voir son généraliste. Il présente à l’officine une ordonnance sécurisée pour Abstral 100 mg (fentanyl transmuqueux), 1 comprimé sublingual à prendre 3 fois par jour pendant 7 jours. « Le médecin m’a dit que cela devrait rapidement me soulager. J’espère que ce sera le cas ! », insiste M. R., visiblement algique. Le pharmacien semble perplexe.

ANALYSE DU CAS

Cette prescription est non conforme à l’autorisation de mise sur le marché (AMM). En effet, deux opiacés sont réservés au traitement des douleurs sévères d’origine cancéreuse : l’hydromorphone et le fentanyl transmuqueux. Ce dernier ne peut être utilisé que dans le traitement des accès douloureux paroxystiques chez les patients cancéreux traités par un traitement de fond morphinique. Or, l’usage hors AMM majore le risque de toxicité et de dépendance.

En effet, le fentanyl transmuqueux, dit encore fentanyl d’action rapide, est fortement absorbé, son délai d’action est court (environ 15 minutes pour les formes buccales et 10 minutes pour les formes nasales), et son action est brève (2 heures pour les formes buccales et 1 heure pour les formes nasales). Cette cinétique est adaptée au traitement des accès paroxystiques douloureux en cas de cancer, mais expose au risque d’administration répétée abusivement, notamment dans le cadre d’une prescription inappropriée chez un patient naïf de morphine.

Selon des données de pharmacovigilance de 2017, on retrouve, dans 70 % de cas d’utilisation inappropriée de fentanyl transmuqueux, une prescription chez des patients non traités dans le cadre d’un cancer et, dans 28 % des cas, une prescription avec un traitement de fond morphinique absent ou insuffisant. Les principales prescriptions hors AMM visent le soulagement de douleurs rhumatologiques, neuropathiques ou liées aux soins. Elles émanent pour la plupart de médecins généralistes.

Par ailleurs, selon l’état des lieux de la consommation d’opioïdes en France, publié par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en 2019, l’analyse des notifications d’abus et de dépendance rapportées au réseau d’addictovigilance met en exergue des cas de dépendance chez des patients qui n’auraient pas dû être exposés au fentanyl.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien décide d’appeler le médecin pour discuter de la pertinence de cette prescription et de son risque. Il souligne le cadre hors AMM de la prescription. Le médecin argumente sa prescription au regard de l’intensité des douleurs de M. R. évaluée à 8 sur une échelle numérique de 0 à 10.

Dans le traitement des douleurs aiguës, même sévères (score à l’échelle numérique ≥ 6/10), liées à une crise de colique néphrétique, les opiacés ne sont pas préconisés en première intention, mais peuvent être envisagés en cas d’échec du paracétamol et des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). C’est bien le cas de M. R. dont le traitement par paracétamol et naproxène s’est révélé insuffisant. Le pharmacien suggère donc un traitement par opiacé faible. Le médecin opte pour du tramadol avec lequel les cas de dysurie et de rétention urinaire sont très rarement rapportés selon la monographie. Il fait une prescription de Topalgic 50 mg : 2 gélules lors de la première prise puis 1 gélule toutes les 4 à 6 heures. Il demande à revoir le patient d’ici à la fin de la semaine.

À RETENIR

Les formes transmuqueuses de fentanyl ne sont indiquées que dans les accès paroxystiques douloureux chez des patients contrôlés par un traitement de fond morphinique pour des douleurs chroniques d’origine cancéreuse. L’usage hors AMM favorise la dépendance.

Un changement de forme galénique

Eric T. est atteint d’un cancer de la prostate métastasé aux os, traité à l’hôpital par du docétaxel. Les douleurs osseuses liées aux métastases sont traitées par Skenan LP 60 mg et les accès paroxystiques douloureux par Actiq 400 µg. Ces derniers temps, il se plaignait de lésions buccales douloureuses et le pharmacien l’avait incité à consulter. Il sort aujourd’hui de chez son médecin traitant et explique qu’en raison de ses ulcérations buccales, le généraliste modifie son traitement antalgique et remplace Actiq par une forme nasale. M. T. présente une ordonnance sécurisée de 14 jours rédigée ainsi : Skenan LP 60 mg, 1 gélule toutes les 12 heures, et Pecfent 400 μg si accès douloureux. Le dosage de Pecfent retient l’attention du pharmacien.

ANALYSE DU CAS

Actiq et Pecfent sont des formes de fentanyl à action rapide, indiquées dans le traitement d’accès paroxystiques douloureux chez des patients recevant un traitement de fond morphinique pour des douleurs cancéreuses.

Actiq se présente sous la forme d’une matrice de principe actif (que la monographie appelle comprimé) et s’administre par voie perlinguale à l’aide d’un bâtonnet applicateur permettant de frotter le comprimé sur la muqueuse de la face interne des joues. Actiq peut fréquemment induire une sécheresse buccale et une stomatite et, moins fréquemment, des ulcérations buccales.

Pecfent s’administre en pulvérisation nasale. Il peut aussi induire une sécheresse buccale et une stomatite, mais peu fréquemment. Sa voie d’administration est de toute façon intéressante en cas de lésions buccales ou de mucites qui rendent douloureuses l’application perlinguale.

Cependant les différentes formes galéniques de fentanyl d’action rapide ne sont pas interchangeables sur la base d’une équivalence de doses, car leurs profils pharmacocinétiques sont significativement différents. Ainsi, il n’y a pas de corrélation entre la dose de fentanyl nasal et celle administrée par voie perlinguale que le patient prenait jusqu’à maintenant. Une nouvelle titration est nécessaire pour déterminer la dose optimale de Pecfent pour M. T., permettant d’obtenir un effet antalgique approprié avec le minimum d’effets indésirables. Il faut commencer par le dosage le plus faible possible, soit 100 µg de Pecfent. Si au bout de 30 minutes, le soulagement n’est pas suffisant, le prochain accès douloureux devra être soulagé par 2 doses de PecFent 100 µg (1 dans chaque narine). La dose sera ainsi augmentée jusqu’à trouver la dose efficace.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien appelle le médecin généraliste pour discuter de la titration. Celui-ci remplace Pecfent 400 µg par Pecfent 100 µg. Le médecin prévoit une durée de prescription de 2 jours au terme desquels il reverra M. T. pour faire le point.

Le pharmacien enregistre son intervention dans l’outil de recueil en ligne des interventions pharmaceutiques Act-IP Officine. Il explique les modalités d’administration de Pecfent à M. T et précise d’attendre au moins 4 heures entre 2 administrations.

ATTENTION !

Il n’y a pas d’équivalence entre les formes transmuqueuses de fentanyl. En cas de substitution d’une spécialité par une autre, il faut recommencer la procédure de titration.

INTERACTIONS

Antalgie et substitution

Jordan D., 24 ans, est un jeune homme bien connu de l’officine. Consommateur d’héroïne depuis ses 19 ans, il a finalement accepté, sur l’insistance de sa mère et de sa petite amie, Léa, de se faire soigner pour sa dépendance. Il est suivi depuis un an par un addictologue et traité par un médicament de substitution aux opiacés (MSO), de la buprénorphine sublinguale, à la dose actuelle de 6 mg par jour. Venant chercher le renouvellement de sa pilule contraceptive, Léa, visiblement préoccupée, rapporte qu’avant-hier Jordan s’est fracturé le poignet. Il est à l’hôpital. « Je ne sais pas si Jordan a bien compris ce que lui ont dit les infirmiers, mais apparemment on lui a arrêté la buprénorphine ! Est-ce normal ? »

ANALYSE DU CAS

La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs µ aux opiacés, 30 fois plus puissant que la morphine. Un agoniste partiel se comporte comme un agoniste-antagoniste :

– lorsque le ligand endogène du récepteur ou un agoniste entier sont absents (ou présents en faible quantité), l’agoniste partiel exerce un effet agoniste sur le récepteur ;

– en revanche, en présence d’un agoniste entier, un agoniste partiel se comporte comme un antagoniste empêchant l’agoniste entier de se fixer.

C’est pourquoi l’association de buprénorphine avec les antalgiques de palier 2 est déconseillée et celle aux antalgiques de palier 3 contre-indiquée, car elle peut soit en diminuer l’efficacité par blocage compétitif des récepteurs opiacés, soit induire un syndrome de sevrage.

Le traitement des douleurs modérées à sévères des patients sous traitement substitutif aux opiacés s’avère donc délicat.

La Haute Autorité de santé (HAS), dans des recommandations de mars 2022, a publié un arbre décisionnel de prise en charge d’une douleur aiguë par traitement antalgique opioïde chez les patients traités par médicament de substitution aux opiacés.

En cas traumatisme aigu entraînant une douleur sévère chez des patients sous buprénorphine, il est recommandé de ne pas poursuivre la buprénorphine, de commencer (idéalement 8 à 12 heures après l’arrêt de la buprénorphine) un traitement par opioïde agoniste complet avec titration progressive. Les doses analgésiques nécessaires peuvent s’avérer plus élevées que classiquement chez les patients traités par des médicaments de substitution aux opiacés. Le traitement antalgique est réévalué quotidiennement.

Après disparition de la douleur, la buprénorphine sera reprise, à distance de la dernière prise d’antalgiques opiacés (au moins 24 heures) afin d’éviter un syndrome de sevrage brutal, sous la surveillance rapprochée de l’addictologue.

ATTITUDE À ADOPTER

Le pharmacien explique à Léa que le traitement substitutif de Jordan a été arrêté parce que son état nécessite un traitement antalgique incompatible avec la buprénorphine. Cependant il la rassure : l’antalgique va permettre d’éviter un état de manque et, quand Jordan n’aura plus mal, il pourra alors reprendre son traitement habituel, sous l’encadrement de l’équipe médicale.

ATTENTION !

L’association de la buprénorphine avec les antalgiques de paliers 2 et 3 est respectivement déconseillée et contre-indiquée. L’antalgie des patients sous médicaments de substitution aux opiacés requiert un avis et un protocole spécialisés.

« Ma fille tousse la nuit »

Rosa K. demande à Audrey, l’étudiante en pharmacie, un sirop Toplexil (oxomémazine). Elle explique que c’est pour sa fille âgée de 17 ans : « Claire tousse beaucoup, surtout la nuit. Et cette toux n’arrange pas son mal de dos ! » La pharmacienne, qui a prêté l’oreille, se souvient effectivement avoir délivré il y a quelques jours Klipal 600 mg/50 mg (paracétamol/codéine), prescrit par un urgentiste pour des douleurs dorsales consécutives à une mauvaise chute de Claire dans ses escaliers.

ANALYSE DU CAS

L’oxomémazine est un antihistaminique de type phénothiazine qui se caractérise par un effet sédatif marqué aux doses usuelles, lié à son effet anti-H1 mais aussi adrénolytique central. D’après la monographie, son association à d’autres médicaments sédatifs est déconseillée du fait d’un risque majoré d’altération de la vigilance et de sédation par addition des effets dépresseurs du système nerveux central.

L’oxomémazine exerce en outre une action anticholinergique potentiellement responsable de sécheresse buccale, de constipation et de rétention urinaire, qui peut aggraver les effets indésirables de ce même type liés à la codéine.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne déconseille l’achat du sirop à base d’oxomémazine et suggère à la place un médicament antitussif sans propriétés sédatives de type Hélicidine (mucoglycoprotéine extraite de l’escargot) ou un produit à base de plantes, comme Phytoxil.

Elle s’enquiert de l’évolution des douleurs de Claire et met en garde Mme K. sur les risques liés à une consommation prolongée de codéine.

À RETENIR

L’association d’opiacés à d’autres médicaments sédatifs ou aux propriétés anticholinergiques est à éviter, en raison d’un risque d’addition d’effets indésirables.

Réginald n’a pas tout dit

En ce dimanche, Mme O. présente à la pharmacie de garde une ordonnance d’Oravir 500 mg (famciclovir) et de l’association tramadol/paracétamol (37,5 mg/325 mg) pour son mari Réginald. Elle explique que ce dernier présente un zona intercostal et qu’ils ont fait venir à domicile un médecin de garde. Lorsque le pharmacien consulte le dossier pharmaceutique du patient qu’il ne connaît pas, il s’aperçoit qu’une autre pharmacie dispense régulièrement du citalopram à Réginald.

ANALYSE DU CAS

L’efficacité antalgique du tramadol est due à la synergie d’un effet agoniste sur les récepteurs opioïdes de type µ et à un effet inhibiteur de la recapture de la sérotonine, neuromédiateur impliqué dans le contrôle de la transmission nociceptive centrale.

Du fait de son action monoaminergique centrale, le tramadol est impliqué dans la survenue d’effets indésirables (comme de potentielles convulsions) et dans certaines interactions médicamenteuses qui lui sont propres, notamment avec les médicaments antidépresseurs, en raison d’un risque de survenue de syndrome sérotoninergique. Celui-ci se manifeste par des sueurs, des tremblements, des troubles tensionnels, des diarrhées, une confusion.

Comme le citalopram est un antidépresseur inhibiteur puissant – et le plus sélectif connu à ce jour – de la recapture de la sérotonine (IRS), le pharmacien vérifie dans la monographie et le thésaurus des interactions médicamenteuses de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) le grade de sévérité de l’interaction. Elle apparaît comme association devant prendre en compte un risque majoré de convulsions (car les IRS abaissent le seuil épileptogène) et/ou de syndrome sérotoninergique.

ATTITUDE À ADOPTER

L’interaction n’est certes classée qu’en association à prendre en compte, mais puisqu’un syndrome sérotoninergique peut donner lieu à des complications parfois fatales (hyperthermie sévère, convulsions, coma), le pharmacien juge plus prudent d’appeler le prescripteur. Mme O. avait apparemment omis de lui signaler le traitement antidépresseur de son mari. Il remplace l’antalgique par Izalgi 500 mg/25 mg (paracétamol/opium).

ATTENTION !

Du fait de son action monaminergique, le tramadol interagit avec les antidépresseurs, par addition de risque de survenue de syndrome sérotoninergique.

PROFILS PARTICULIERS

Une patiente ultrarapide ?

Avant-hier, Houleymatou S., 28 ans, a chuté au cours de son footing en forêt en trébuchant contre les racines d’un arbre. Elle a été conduite aux urgences par son mari, et la radiographie a mis en évidence une entorse avec arrachements osseux. À sa sortie des urgences, accompagnée de son époux, elle est venue à la pharmacie chercher des béquilles et une botte de décharge. Elle a présenté une ordonnance d’Antarène codéiné (ibuprofène/codéine) 400 mg/60 mg, 1 comprimé toutes les 6 heures sans dépasser 3 comprimés par jour, 1 boîte à renouveler si besoin. Aujourd’hui, M. S. vient demander conseil à la pharmacienne : sa femme a moins mal mais est très somnolente, elle a la tête qui tourne et des nausées.

ANALYSE DU CAS

Les symptômes décrits par M. S. peuvent évoquer une intoxication aux opiacés, dont il convient de rechercher l’étiologie.

La dose totale quotidienne maximale de codéine ne doit pas dépasser 240 mg. Les posologies prescrites étaient conformes. Interrogé par la pharmacienne, M. S. assure que sa femme a bien respecté l’ordonnance et n’a pas pris de comprimés en plus, ni aucun autre traitement contenant des opiacés.

La pharmacienne suspecte alors une sensibilité particulière de Mme S. aux effets de la codéine en raison d’une prédisposition génétique.

En effet, la codéine est une prodrogue, métabolisée en morphine par réaction d’O-déméthylation, catalysée par le cytochrome P450 (CYP) 2D6. Or, l’activité enzymatique du CYP2D6 est génétiquement déterminée. En effet, au moins 74 variants alléliques du gène codant pour ce cytochrome ont été identifiés. On distingue ainsi quatre types de patients : les métaboliseurs ultrarapides, rapides, intermédiaires et lents.

Chez les métaboliseurs lents, qui transforment mal la codéine en morphine, la codéine peut s’avérer inefficace. En revanche, chez les métaboliseurs rapides et a fortiori ultrarapides, il y a un risque majoré de développer des effets toxiques (confusion, somnolence, respiration superficielle, myosis, nausée, vomissements, constipation), même aux doses thérapeutiques. Dans les cas graves, une hospitalisation est nécessaire en vue d’une assistance respiratoire et d’un traitement antidote par naloxone (antagoniste µ), une dépression respiratoire et circulatoire potentiellement létale pouvant survenir.

ATTITUDE À ADOPTER

La pharmacienne conseille l’arrêt d’Antarène et encourage impérativement une consultation médicale rapide pour évaluer l’état clinique de Mme S., apprécier la gravité de l’intoxication et décider de la conduite à tenir.

À RETENIR

Face à un tableau clinique évocateur d’un surdosage en opiacé chez un patient traité par codéine, et en l’absence d’une explication évidente, il faut suspecter que le patient soit un métaboliseur ultrarapide.

Un pictogramme inquiétant !

Kleyna Z., 25 ans, est rayonniste dans une grande surface. Elle souffre fréquemment de lombalgie qu’elle a l’habitude de soulager ponctuellement, lorsque le paracétamol n’est pas suffisant, par du tramadol 50 mg prescrit par son médecin généraliste. Elle vient à l’officine acheter un test de grossesse et explique à la pharmacienne : « J’ai un retard de règles de 8 jours. Je suis inquiète car j’ai vu sur la boîte du tramadol un pictogramme alertant sur les dangers de ce médicament en cas de grossesse. »

ANALYSE DU CAS

Les données relatives à l’utilisation des opiacés faibles chez la femme enceinte sont quelque peu contrastées.

Dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), il est mentionné que le tramadol ne doit généralement pas être pris pendant la grossesse et qu’il est préférable de ne pas l’utiliser au 1er trimestre, qu’une administration ponctuelle au 2e trimestre est possible et qu’au 3e trimestre, il pourra induire un syndrome de sevrage (irritabilité, tremblements, hypertonie, cris stridents) chez le nouveau-né.

Concernant la codéine, selon le RCP, son administration ponctuelle paraît possible, mais certaines notices de spécialités contenant de la codéine précisent que cette dernière ne doit pas être utilisée dans les 3 derniers mois de grossesse.

Selon le Centre des agents tératogènes (Crat), le recours à la codéine et au tramadol est possible quel que soit le terme de la grossesse, tout en précisant que les données relatives à leur utilisation n’ont pas mis en évidence d’effet malformatif, ni pour la codéine d’effet néonatal aux conditions d’usage thérapeutique usuelles. En revanche, le Crat stipule que le tramadol passe le placenta avec des concentrations néonatales et maternelles équivalentes. De ce fait, un syndrome de sevrage est susceptible de survenir même aux doses usuelles, nécessitant un accueil adapté du nouveau-né.

Selon la Haute Autorité de santé (HAS, fiche « Spécificités concernant la femme enceinte ou allaitante – Bon usage des médicaments opioïdes »), les données sur l’utilisation ponctuelle ou prolongée des opioïdes chez la femme enceinte concernent essentiellement le 3e trimestre de la grossesse, et il y a peu d’informations sur leur risque tératogène. Ils doivent être pris avec précaution à proximité du terme, même à dose unique, en raison non seulement d’un risque de dépression respiratoire de la mère et du nouveau-né à l’accouchement, mais aussi de sevrage fœtal. Si un opiacé fort est nécessaire, il faut privilégier la morphine, pour laquelle les données sont nombreuses et rassurantes, quel que soit le terme de la grossesse.

ATTITUDE À ADOPTER

Si Mme Z. est effectivement enceinte, elle devra proscrire toute automédication antalgique. La pharmacienne l’informe par ailleurs que l’ibuprofène est déconseillé jusqu’au 5e mois puis contre-indiqué à partir du début du 6e mois de grossesse (risque de mort subite in utero). Elle lui enjoint, dans le cas où le test serait positif, à consulter rapidement un gynécologue pour discuter avec lui de son problème de lombalgie et décider de la prise en charge la mieux adaptée à la situation. Prendre contact avec la médecine du travail pour envisager un éventuel changement de poste ou une adaptation des conditions de travail peut également s’avérer utile.

En outre, la pharmacienne prend soin de rassurer la jeune femme quant au risque malformatif au cas où elle aurait consommé du tramadol dernièrement.

À RETENIR

Le tramadol ne doit pas être utilisé sans avis médical chez la femme enceinte. S’il n’est pas à proprement parler contre-indiqué, son administration ponctuelle ne doit être envisagée que si nécessaire et avec prudence à proximité de l’accouchement.

PRÉVENIR L’IATROGÉNIE

Les antalgiques opioïdes

LES QUESTIONS À SE POSER LORS DE LA DISPENSATION

Quels sont les principaux effets indésirables ?

Les morphiniques sont très fréquemment responsables d’une constipation qui doit être prévenue par des mesures hygiénodiététiques et par un laxatif osmotique dans un premier temps.

Les nausées et vomissements surviennent généralement en début de traitement et s’améliorent en quelques jours. Ils peuvent nécessiter une correction par la prescription de métoclopramide ou de métopimazine.

Des troubles mictionnels (dysurie, voire rétention urinaire) peuvent s’observer, notamment chez les personnes âgées. Toute agitation ou confusion doit faire suspecter un globe vésical et mener à une consultation urgente.

Le tramadol est susceptible d’induire des convulsions épileptiformes et des hypoglycémies (surtout en début de traitement, chez les patients âgées ou insuffisants rénaux).

Les antalgiques opiacés exposent fréquemment à un risque de somnolence diurne, de vertiges, d’altération de la vigilance, voire de confusion.

En cas d’utilisation prolongée à fortes doses, une pharmacodépendance peut s’observer avec un risque de syndrome de sevrage à l’arrêt brutal. Au cours d’un traitement, il est recommandé de dépister un trouble de l’usage grâce à l’échelle Prescription Opioide Misuse Index (Pomi).

Quelles précautions avec le fentanyl transmuqueux ?

Les formes transmuqueuses de fentanyl ne sont indiquées que dans les accès douloureux paroxystiques du cancer chez des patients contrôlés par un traitement opioïde de fond.

Il n’y a pas d’équivalence entre les formes transmuqueuses de fentanyl. En cas de changement de spécialité, il faut recommencer la procédure de titration.

Y a-t-il des interactions ?

L’antalgie des patients sous médicaments de substitution aux opiacés requiert un avis et un protocole spécialisés.

L’association d’opiacés à d’autres médicaments sédatifs ou anticholinergiques est à éviter, en raison d’un risque d’addition d’effets indésirables.

Le tramadol interagit avec les antidépresseurs, par addition de risque de survenue de syndrome sérotoninergique.

Quels conseils donner aux patients ?

Indiquer au patient de bien respecter la prescription (doses, modalité d’administration, horaires de prise et durée de traitement), et notamment de ne jamais augmenter de soi-même les doses ni la fréquence des prises.

Lui apprendre, ainsi qu’à son entourage, à reconnaître les signes de surdosage (dépression respiratoire principalement, altération de la vigilance, myosis).

Dire au patient de ne surtout pas donner son traitement à quelqu’un d’autre, même si les symptômes semblent identiques, de bien stocker les opiacés hors de portée des enfants et de rapporter ceux inutilisés à la pharmacie.

Attirer l’attention sur les risques liés à la conduite automobile ou à l’utilisation de machines dangereuses.

PHARMACOLOGIE

RAPPELS SUR LA DOULEUR

Définition de la douleur

Selon l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP), la douleur est définie comme « une expérience émotionnelle et sensorielle désagréable, associée à une lésion tissulaire, réelle ou potentielle, et/ou décrite dans des termes évoquant une telle lésion ».

Les douleurs avec lésion tissulaire réelle, appelées nociceptives, sont les plus fréquentes.

Mais la définition internationale tient compte du fait que la douleur puisse être présente sans lésion tissulaire objectivable. Outre la douleur nociceptive, il en existe deux autres types : les douleurs neuropathiques, qui surviennent en l’absence de stimulus nociceptif (stimulus à l’origine d’une lésion tissulaire, comme un traumatisme ou une coupure), avec pour origine une lésion ou un dysfonctionnement du système nerveux, et celles psychogènes dont les mécanismes d’apparition sont moins bien élucidés mais qui pourraient être dues à des désordres psychoaffectifs. Les douleurs mixtes (fréquentes dans un contexte de cancer) associent un mécanisme nociceptif et neuropathique.

Mécanisme de la douleur nociceptive

Les douleurs nociceptives naissent de la stimulation directe de nocicepteurs (terminaison amyélinique située au niveau de la peau, des tendons, des muscles, des articulations, des os et des viscères) par un stimulus nociceptif ou indirect via des médiateurs libérés par les tissus lésés (prostaglandines, histamine, etc.).

À la suite de la stimulation des nocicepteurs, un message nerveux se forme, relayé jusqu’à la corne postérieure de la moelle épinière puis transmis au thalamus et au cortex, au niveau duquel le message est analysé, interprété en douleur, qui peut alors être localisée par le patient.

Deux mécanismes physiologiques utilisant des neuromédiateurs différents permettent de contrôler la douleur :

– un contrôle faisant intervenir les enképhalines (opiacés physiologiques), qui, en se fixant sur leurs récepteurs µ situés au niveau de la moelle épinière et dans le cerveau, bloquent la remontée de l’influx nerveux douloureux jusqu’au cerveau.

– un contrôle faisant intervenir la sérotonine et la noradrénaline, qui permettent la libération d’enképhalines et inhibent la transmission nociceptive dans la corne postérieure de la moelle épinière.

Douleur aiguë et douleur chronique

La douleur aiguë est associée à un processus pathologique récent. Elle constitue un signal d’alarme.

La douleur chronique évolue depuis au moins 3 à 6 mois et a des conséquences délétères (troubles du sommeil, diminution de l’appétit et des défenses immunitaires, altération de la qualité de vie, isolement, dépression).

Traitement de la douleur

Le traitement des douleurs nociceptives fait appel aux antalgiques classiques :

– antalgiques de palier 1 (paracétamol, aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]) pour les douleurs légères à modérées (notées < 4/10 sur l’échelle numérique [EN]).

– antalgiques de palier 2 ou opiacés faibles (codéine, dihydrocodéine, tramadol, poudre d’opium) pour les douleurs modérées (4/10 ≤ EN < 6/10).

– antalgiques de palier 3 ou opiacés forts (morphine et dérivés) pour les douleurs intenses (EN ≥ 6/10).

Les douleurs neuropathiques répondent mal ou peu aux antalgiques classiques. Leur traitement fait appel à certains antidépresseurs ou antiépileptiques.

Le traitement des douleurs psychogènes nécessite une prise en charge spécialisée (psychiatre, kinésithérapeute), mais ne relève en aucun cas d’un traitement opiacé.

LES ANTALGIQUES OPIACÉS

Recommandations d’utilisation

Afin de prévenir un mésusage des opiacés, il faut d’abord s’assurer que la prescription est conforme aux recommandations concernant leurs indications.

Douleurs aiguës

Selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), du fait de leur balance bénéfice-risque défavorable, les opiacés ne sont pas recommandés en première intention, même en cas de douleurs sévères, pour soulager des douleurs dentaires, de lombalgie aiguë, liées à des traumatismes simples du rachis, à des entorses simples ou à une colique néphrétique.

Par ailleurs, ils ne sont pas recommandés, y compris en deuxième intention, dans les douleurs de migraine, quelle que soit leur intensité. Or, selon une enquête menée par OpinionWay pour l’Observatoire français des médicaments antalgiques (Ofma) en novembre 2021, le premier motif de consommation de codéine est le soulagement des migraines et céphalées.

Le fentanyl transmuqueux n’est pas recommandé et n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans la douleur aiguë, en raison d’un risque accru de détresse respiratoire et de mésusage.

L’utilisation de la codéine en post-amygdalectomie n’est pas recommandée chez les enfants (< 18 ans) en raison d’un risque majoré de complications et de décès.

Douleurs chroniques

Dans un contexte de cancer, la morphine constitue le traitement de référence en cas de douleur intense. Le traitement doit être instauré par titration progressive avec des formes à libération immédiate. Une fois la titration réalisée, les doses nécessaires peuvent être converties en forme à libération prolongée en 2 prises par jour. Des interdoses de la même molécule à libération immédiate (représentant 1/10 à 1/6 de la dose journalière) sont prévues en doses de secours. Les accès paroxystiques douloureux sont traités par le fentanyl transmuqueux.

Si la douleur chronique est non cancéreuse, les opiacés ne doivent être envisagés que lorsque les autres alternatives médicamenteuses ou non médicamenteuses sont insuffisantes. Le fentanyl transmuqueux et l’hydromorphone n’ont pas d’AMM dans ce cadre.

Mode d’action

Les antalgiques opiacés sont des agonistes des récepteurs µ enképhalinergiques. Ils renforcent donc le contrôle de la douleur en empêchant la remontée de l’influx nerveux douloureux au cerveau.

Antalgiques de palier 2

Les antalgiques de palier 2 sont des agonistes partiels des récepteurs µ : leur efficacité maximale est inférieure à celle des opiacés forts.

Outre son effet agoniste µ, le tramadol inhibe la recapture neuronale de la sérotonine et de la noradrénaline. Cette action monoaminergique contribue à l’effet analgésique en renforçant le contrôle de la douleur, mais implique de potentiels effets indésirables, interactions médicamenteuses et signes de sevrage qui lui sont propres (troubles du comportement et anxiété plus fréquemment retrouvés d’après les déclarations d’addictovigilance que les signes physiques, telles les sueurs et les douleurs), pouvant conduire à une prise persistante de tramadol, même à l’issue d’une durée de traitement initiale relativement courte.

Antalgiques de palier 3

La morphine, le fentanyl, l’hydromorphone, l’oxycodone et la péthidine (qui s’administre uniquement par voie injectable) sont des agonistes µ entiers (ou agonistes purs).

La buprénorphine et la nalbuphine (qui n’existe que sous forme injectable) sont des agonistes-antagonistes. Ces derniers sont moins efficaces que les agonistes entiers (induisant un effet moins intense), mais respectivement 30 fois et 2 fois plus puissants que la morphine (leur affinité pour les récepteurs µ est supérieure à celle de la morphine). Ils interagissent donc avec les morphiniques entiers en se fixant rapidement sur les récepteurs µ et en empêchant la fixation des morphiniques entiers, ce qui pose problème en cas de relais entre ces antalgiques.

Effets indésirables

Communs aux antalgiques opiacés

L’effet indésirable persistant le plus fréquent est la constipation, qui est liée à l’action des opiacés sur la musculature lisse. Avec les opiacés forts, la constipation doit être systématiquement prévenue par des mesures hygiénodiététiques éventuellement associées à un laxatif osmotique.

Des nausées et des vomissements peuvent survenir en début de traitement, mais régressent généralement à la poursuite de celui-ci. Les antalgiques opiacés peuvent nécessiter une correction par antiémétique antagoniste dopaminergique.

Des troubles mictionnels à type de dysurie voire de rétention urinaire, dus à une augmentation de la contraction du sphincter lisse, peuvent être observés, notamment chez les personnes âgées (prudence en cas d’adénome de la prostate).

Du fait de leur effet dépresseur sur le système nerveux central, les antalgiques opiacés exposent fréquemment à un risque de somnolence diurne, de vertiges, d’altération de la vigilance (déconseiller la conduite automobile sans l’accord d’un médecin), voire de confusion (notamment chez la personne âgée).

Ils peuvent également être responsables de bronchospasme et de détresse respiratoire, dont le risque est majoré par la prise concomitante d’alcool et de médicaments dépresseurs centraux, tels que les benzodiazépines.

En raison d’un effet histaminolibérateur, les opiacés peuvent provoquer des prurits et de l’urticaire.

Une hyperhidrose (augmentation de la sudation) est également fréquente mais généralement transitoire.

La consommation au long cours d’opiacés expose à des troubles endocriniens par effet sur l’axe hypothalamo-hypophysaire avec un risque d’hypogonadisme (anomalies du cycle menstruel voire aménorrhée, diminution de la libido et de la fertilité, troubles de l’érection).

En cas d’utilisation prolongée à fortes doses, une pharmacodépendance peut s’observer avec un risque de syndrome de sevrage à l’arrêt brutal (anxiété, nervosité, agitation, douleurs, tremblements, sueurs et troubles digestifs) et de dépendance primaire (sans antécédents de pharmacodépendance) ou secondaire.

Spécifiques au tramadol

Le tramadol peut être responsable de convulsions épileptiformes (surtout en cas de doses élevées ou d’association à des traitements abaissant le seuil épileptogène, comme certains antidépresseurs ou neuroleptiques) ; d’hypoglycémie (attention aux patients diabétiques traités par des médicaments pourvoyeurs d’hypoglycémie, tels que l’insuline, les sulfamides, le répaglinide), notamment lorsqu’il est utilisé à fortes doses, ou chez des patients âgés ou insuffisants rénaux ; d’hyponatrémie et de syndrome sérotoninergique (notamment dans un contexte d’interactions médicamenteuses avec les inhibiteurs de la monoamine oxydase [Imao], les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou la venlafaxine, par exemple). Des troubles neuropsychiques à type de confusion, hallucinations, délire sont également rapportés, principalement chez des personnes âgées.

Liés à la voie d’administration

Les formes transdermiques de fentanyl peuvent entraîner un prurit au site d’administration (bien varier les sites lors des changements de patchs). Les formes perlinguales ou buccales peuvent provoquer des lésions buccales (douleurs, irritation, ulcération) et dentaires (caries) devant faire orienter le patient vers le prescripteur et un dentiste. Les formes nasales peuvent être responsables d’épistaxis (si les épisodes sont récurrents, les signaler au médecin).

Principales contre-indications

Les opiacés sont contre-indiqués en cas d’insuffisance respiratoire décompensée ou sévère. De même, la codéine, la dihydrocodéine et la poudre d’opium chez l’asthmatique ; l’oxycodone en cas d’asthme ou de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) sévères.

Les opiacés sont contre-indiqués en cas d’insuffisance hépatique sévère.

Le tramadol, la morphine, l’hydromorphone et la péthidine sont déconseillés chez les épileptiques non contrôlés par un traitement.

Les opiacés forts sont contre-indiqués en cas de traumatisme crânien et d’hypertension intracrânienne et d’intoxication alcoolique aiguë.

Contre-indications pédiatriques : la morphine est contre-indiquée chez le nourrisson de moins 6 mois, la nalbuphine chez celui de moins de 18 mois, le fentanyl transdermique chez l’enfant de moins de 2 ans, le tramadol chez celui de moins de 3 ans, la buprénorphine et l’hydromorphone chez celui de moins de 7 ans, la codéine chez l’enfant de moins de 12 ans, la dihydrocodéine et la poudre d’opium chez celui de moins de 15 ans. L’oxycodone et le fentanyl transmuqueux sont réservés à l’adulte.

Principales interactions

Interactions pharmacodynamiques

Du fait d’une diminution de l’effet antalgique et d’un risque de syndrome de sevrage, les antalgiques agonistes µ entier de palier 3 sont contre-indiqués avec les antagonistes µ partiels (naltrexone, nalméfène) et avec les agonistes-antagonistes (buprénorphine, nalbuphine). Pour la même raison, l’association des antalgiques de palier 2 aux antagonistes µ partiels ou aux agonistes-antagonistes est déconseillée.

Les agonistes-antagonistes (buprénorphine, nalbuphine) sont en outre contre-indiqués avec la méthadone (diminution de son effet) et les antagonistes µ partiels (diminution de l’effet antalgique).

Le tramadol et la péthidine sont contre-indiqués avec les Imao en raison d’un risque de syndrome sérotoninergique.

L’association d’opiacés aux autres dépresseurs du système nerveux (anxiolytiques, hypnotiques, antidépresseurs sédatifs, certains antihistaminiques anti-H1, alcool, etc.) majore le risque de dépression du système nerveux central ou respiratoire.

Interactions pharmacocinétiques

L’association de l’oxycodone aux inhibiteurs puissants du CYP 3A4 (fluconazole, ritonavir, certains macrolides, etc.) est déconseillée (risque de majoration des effets indésirables opioïdes du fait d’une diminution du métabolisme de l’oxycodone).

La codéine et le tramadol sont des prodrogues transformées respectivement par le CYP 2D6 en morphine et en O-desméthyltramadol, métabolite dont l’effet opioïde est plus puissant que le tramadol. Leur association aux inhibiteurs du CYP 2D6 (comme la duloxétine, la paroxétine ou la terbinafine) expose au risque de diminuer leur efficacité antalgique.

Focus sur le cannabis médical

L’usage du cannabis médical est proposé en expérimentation dans 5 indications, notamment en oncologie, pour soulager certains symptômes rebelles dont la douleur associée au cancer ou aux traitements anticancéreux.

Le traitement par cannabis est mis en place en seconde intention, en cas de soulagement insuffisant ou d’intolérance aux autres alternatives médicamenteuses ou non, et en dehors de la période d’interaction potentielle avec les anticancéreux.

Cependant, en avril 2022, les critères d’inclusion ont évolué : désormais, les patients en cours d’hormonothérapie dans le cadre d’un cancer du sein ou de la prostate peuvent être inclus dans l’expérimentation.

Le cannabis médical est contre-indiqué chez la femme enceinte ou allaitante, en cas d’antécédents de troubles psychotiques et d’insuffisance hépatique, rénale ou cardiaque grave.

Dans les officines volontaires pour participer à l’expérimentation (sous condition obligatoire préalable d’une formation e-learning sous l’égide de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), le cannabis médical doit être stocké dans l’espace réservé aux stupéfiants. Il est prescrit sur ordonnance sécurisée pour une durée maximale de 28 jours par un médecin inscrit au registre des volontaires.

L’expérimentation, commencée en mars 2021, se prolongera jusqu’en mars 2024.

Prévenir la constipation liée aux morphiniques

Une constipation apparaît de façon quasi constante lors d’un traitement morphinique. Elle doit être prévenue par des mesures hygiénodiététiques et la prise d’un laxatif osmotique.

Mesures hygiénodiététiques

– Maintenir une activité physique régulière dans la mesure des capacités du patient. Si le patient est alité ou grabataire, essayer tant que possible de le mettre au fauteuil ou de le verticaliser.

– Enrichir l’alimentation en fibres (crudités, légumes verts, fruits frais, céréales complètes) et limiter la consommation d’aliments ralentissant le transit, tels le riz ou le chocolat.

– Assurer un apport hydrique suffisant en buvant au moins 1,5 litre par jour sous forme d’eau, de jus de fruits, de tisanes, de bouillons ou de soupes.

– Prévoir un environnement propice et des conditions confortables d’exonération adaptées à l’état du patient (toilettes aménagées de façon sécurisée si besoin, chaise garde-robe, bassin, etc.).

Bon usage du laxatif

Il doit être pris de façon systématique et quotidienne sans attendre d’être constipé. En cas d’efficacité (jusqu’à 1 ou 2 selles par jour), il ne doit pas être arrêté tant que le traitement morphinique se poursuit. Il sera momentanément interrompu en cas de survenue de selles liquides ou d’un nombre de selles supérieur à 3 par jour. En cas de constipation malgré le traitement préventif par laxatif osmotique, le patient doit consulter un médecin en vue d’une prescription d’un laxatif stimulant et/ou d’un laxatif administré par voie rectale. Dans le cas de constipation opiniâtre liée aux opioïdes, les antagonistes µ périphériques, comme le naloxegol (Moventig administré per os) ou la méthylnaltrexone (Relistor, en injection), peuvent être utilisés en traitement de deuxième intention. L’association orale fixe de naloxone (antagoniste µ dont la biodisponibilité orale est très faible) et d’oxycodone (Oxsynia, Oxypronal) permet également de neutraliser la constipation induite par l’oxycodone en bloquant son effet au niveau des récepteurs intestinaux.

Prévention et dépistage du trouble de l’usage aux opioïdes : les outils pratiques

D’après le rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur la consommation d’opioïdes en France, la prescription d’opiacés forts a augmenté de 150 % entre 2006 et 2017. Or, cette consommation d’opiacés peut s’accompagner d’effets indésirables mais aussi de risque, comme le détournement d’indication et/ou la pharmacodépendance, avec des conséquences graves, notamment en cas de surdosage. Il est à souligner que le nombre d’hospitalisations liées aux opiacés (obtenus sur ordonnance) a augmenté de 167 % entre 2000 et 2017, et le nombre de décès de 146 %.

Dans un tel contexte, la prévention d’un trouble de l’usage aux opioïdes apparaît un enjeu majeur pour diminuer l’iatrogénie.

Les facteurs de risque d’un trouble de l’usage aux opioïdes sont les antécédents personnels ou familiaux de dépendance, le sexe masculin, l’âge (le risque est plus faible chez les personnes âgées), les comorbidités psychiatriques.

Avant la prescription, le repérage des patients à risque de mésusage peut être facilité par des échelles, comme le questionnaire Opioid Risk Tool (ORT). Un traitement non opiacé est recommandé chez les patients considérés à risque élevé. Dans le cas d’une prise en charge de douleur chronique, une consultation spécialisée est nécessaire (spécialiste de la douleur, psychiatre ou addictologue).

Lors de l’instauration du traitement, il convient d’informer le patient et son entourage sur les bénéfices et les risques (effets indésirables mais aussi conséquences d’un mésusage et d’un surdosage). La prescription doit se faire sur la durée la plus courte possible (notamment dans le cadre d’une douleur aiguë), avec une dose adaptée (un soulagement insuffisant de la douleur pouvant favoriser un trouble de l’usage) et réévaluée systématiquement et régulièrement selon la tolérance et l’efficacité.

Au cours d’un traitement, il est recommandé de dépister un trouble de l’usage grâce à l’échelle Prescription Opioid Misuse Index (Pomi). Développée en 2008 aux Etats-Unis dans un contexte de mésusage de l’oxycodone puis adaptée en version française, cette échelle est un outil simple à disposition des médecins, des pharmaciens et des soignants pour aborder l’éventuel problème de mésusage. Selon certains experts, l’échelle Pomi doit systématiquement être utilisée dans le cadre d’un traitement par oxycodone en particulier (risque de dépendance élevé). De même un craving (envie irrépressible de consommer), signant une dépendance psychologique, peut être détecté par la question suivante : « Avez-vous déjà ressenti une envie non contrôlable de prendre votre ou vos antalgiques dans un contexte non douloureux ? » A l’officine, cette simple question peut être un point de départ pour inciter le patient à ouvrir le dialogue avec son médecin.

Dans le cadre d’un traitement chronique notamment, il est recommandé d’évaluer le risque d’un surdosage et la pertinence de la prescription de naloxone prête à l’emploi (Nyxoid ou Prenoxad).

Utilisation antalgique de la méthadone

La spécialité Zoryon à base de méthadone est indiquée chez les adultes et adolescents à partir de 15 ans dans le traitement de fond des douleurs d’origine cancéreuse chez les patients insuffisamment soulagés par les autres antalgiques de palier 3. Elle est contre-indiquée dans les douleurs chroniques non cancéreuses, les douleurs aiguës et en cas de détresse respiratoire sévère décompensée.

L’instauration du traitement, et sa titration, nécessite l’hospitalisation du patient. Une fois la posologie optimale déterminée, le traitement est poursuivi à domicile.

La méthadone est un agoniste µ entier qui partage les mêmes effets indésirables que les autres antalgiques de palier 3, avec un risque élevé de dépression respiratoire, de somnolence et de confusion, notamment dans les premiers jours de traitement. Elle expose également au risque d’allongement de l’intervalle QT, ce qui impose une surveillance régulière de l’électrocardiogramme (ECG) pendant le traitement.

Son association avec le citalopram, l’escitalopram, la dompéridone ou l’hydroxyzine est contre-indiquée en raison d’un risque de torsade de pointe. L’association avec les autres substances susceptibles de provoquer des torsades de pointe (antiarythmique de classes Ia et III, chloroquine, érythromycine, spiramycine, certains neuroleptiques notamment) est déconseillée.

Comme les autres antalgiques de palier 3 agonistes µ entiers, son association avec les agonistes-antagonistes µ (buprénorphine, nalbuphine) ou celle aux antagonistes µ partiel (naltrexone, nalméfène) est contre-indiquée.

La méthadone est enfin contre-indiquée avec le millepertuis (risque de syndrome de sevrage en méthadone du fait d’une induction de son métabolisme hépatique).

Voies métaboliques de la codéine

La codéine est métabolisée en différents composants : la morphine, qui est le composé actif, ainsi que le codéine-6-glucuronide et la norcodéine qui présentent une faible activité analgésique.

Le métabolisme de la codéine diffère selon les patients, car l’activité du cytochrome P450 (CYP) 2D6 est modifiée par le polymorphisme génétique.

La prévalence de métaboliseurs ultrarapides est surtout élevée chez les patients africains (29 %). De 3,6 à 6,5 % des populations caucasiennes sont des métaboliseurs ultrarapides. Chez ces personnes, la transformation excessive de codéine en morphine peut entraîner un surdosage, même aux posologies usuelles.

A contrario, 7 % des Caucasiens sont des métaboliseurs lents, et peuvent ne pas répondre du tout à la codéine.

Le métabolisme de la codéine est également modifié par les interactions médicamenteuses. Les médicaments inhibiteurs du CYP3A4 (antifongiques imidazolés, macrolides, etc.) promeuvent le métabolisme via le CYP2D6 et peuvent majorer le risque d’apparition d’effets toxiques.

Inversement, les inhibiteurs du CYP2D6 (fluoxétine, paroxétine, terbinafine, etc.) diminuent l’efficacité de la codéine.

Antalgiques opiacés et allaitement

Dans tous les cas, si un traitement prolongé est envisagé, l’allaitement doit être interrompu.

Traitement ponctuel par tramadol : d’après le RCP, une utilisation ponctuelle de tramadol est possible. La HAS et le Crat confortent cette notion : si un traitement antalgique opiacé est nécessaire chez une femme allaitante, la prise ponctuelle de tramadol est envisageable à condition que le traitement soit bref (2 ou 3 jours) et à la posologie la plus faible possible.

Traitement ponctuel par codéine : selon le RCP, la codéine est contre-indiquée pendant l’allaitement (car elle passe dans le lait maternel, ainsi que son métabolite actif, avec un risque de présence importante de morphine dans le lait si la mère est métaboliseur ultrarapide). En revanche, d’après la HAS et le Crat, à l’exception des deux premières semaines post-accouchement où les effets indésirables seraient plus fréquents chez le nouveau-né, la codéine est envisageable chez la femme allaitante à condition que le traitement soit bref (2 ou 3 jours) et à la posologie la plus faible possible.

Traitement ponctuel par opiacés forts : dans les 3 jours qui suivent l’accouchement, l’utilisation de nalbuphine et de morphine est possible chez la femme allaitante (les données issues d’une utilisation recueillies dans le cadre d’une analgésie post-césarienne sont rassurantes). Par la suite, si un antalgique de palier 3 est nécessaire, l’allaitement sera suspendu faute de données sur un usage prolongé.

Dans le cas d’un traitement opiacé pendant l’allaitement, la mère doit être vigilante à un changement de comportement de l’enfant (baisse de l’attention, diminution du tonus musculaire, somnolence, etc.) qui doit amener à une consultation médicale rapide.

Surdosage aux opiacés et conduite à tenir

Il est important, notamment lorsqu’un trouble de l’usage aux opiacés est décelé, d’éduquer le patient et son entourage à reconnaître un surdosage et de savoir le gérer.

Un surdosage aux opiacés se manifeste par une altération de la vigilance, une dépression respiratoire et un myosis (forte diminution du diamètre de la pupille). Un myosis isolé, non associé à une somnolence ou à une dépression respiratoire, n’est toutefois pas un signe de surdosage mais un signe d’imprégnation opioïde. La somnolence peut également être due à une dette de sommeil liée à la douleur. Le signe qui doit donc avant tout alerter est la dépression respiratoire (diminution de la fréquence respiratoire en dessous de 10 cycles/minute) car elle peut mener à l’arrêt respiratoire et au décès.

En cas de suspicion de surdosage, il convient d’allonger la victime sur le dos et de libérer les voies respiratoires. Appeler les secours (15 ou 112). Si on en dispose, administrer la naloxone prête à l’emploi, même si on n’est pas certain du surdosage. Deux spécialités sont indiquées dans le traitement des surdosages aux opiacés se manifestant par dépression respiratoire, dans l’attente des secours : Nyxoid (forme nasale, sur liste I) et Prenoxad (forme intramusculaire, disponible sans ordonnance).

À ne surtout pas faire : laisser la personne seule, la faire marcher, la doucher pour tenter de la réveiller.