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La PrEP, outil de réduction du risque contre le VIH

Publié le 1 novembre 2018
Par Christine Julien
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La « prophylaxie pré-exposition » au VIH (PrEP) est une stratégie de prévention de l’infection chez des personnes à haut risque de contamination basée sur la prise d’un médicament antirétroviral.

Qu’est-ce que la PrEP ?

• La PrEP, pour « prophylaxie pré-exposition », consiste à proposer un traitement antirétroviral de manière préventive à des personnes non infectées par le VIH. « La PrEP, c’est détourner un traitement utilisé pour le sida, dans la prévention de l’infection par le VIH », explique le Pr Jean-Michel Molina, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Louis à Paris et coordonnateur de plusieurs études sur la PrEP (voir encadré).

• C’est une stratégie de réduction des risques et un moyen de plus pour prévenir le VIH à côté du préservatif ou de l’abstinence ! « Le gros avantage de la PrEP est de se protéger indépendamment de ce que fait le partenaire. Par exemple, lorsqu’il faut négocier l’usage du préservatif au moment de l’acte sexuel. » La PrEP est accompagnée d’autres mesures préventives : information sur la prévention, le préservatif, dépistages des autres infections sexuellement transmissibles, le recours aux TasP et PEP (voir encadré p. 42), etc.

Qui est concerné ?

• Il s’agit des « sujets à haut risque d’acquisition du VIH » : selon la fiche Médecin sur la PrEP de l’ANSM, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) ou des personnes transgenres, avec des rapports sexuels anaux pas toujours protégés, des épisodes d’infections sexuellement transmissibles, ayant recouru plusieurs fois à des traitements post-exposition ou adeptes du « chemsex » (pratiques sexuelles intensives sous l’emprise de psychotropes)…

• Il ne s’agit pas de les stigmatiser, mais les HSH et les hétérosexuels nés à l’étranger – 3/4 en Afrique subsaharienne – restent les plus touchés, avec respectivement 44 % et 39 % des découvertes de séropositivité en 2016. Les hétérosexuels nés en France et les usagers de drogues injectables représentent 15 % et 1 % des nouveaux diagnostics d’infections par le VIH.

• Les personnes en situation de vulnérabilité concernées par la PrEP peuvent être identifiées lors d’une consultation hospitalière ou en Cegidd(1) : HSH, travailleurs du sexe, usagers de drogues injectables… Ou encore les femmes les plus à risque au vu de leurs pratiques sexuelles, par exemple « celles qui ont des rapports avec des hommes gays ou originaires de régions de forte endémie comme l’Afrique, l’Asie du Sud-Est ou l’Amérique du Sud », précise le Pr Molina. La grossesse n’est pas une contre-indication.

Quel est le médicament utilisé ?

• Une association fixe de deux antirétroviraux : un analogue nucléosidique, l’emtricitabine (FTC) à 200 mg, et un analogue nucléotidique, le ténofovir disoproxil fumarate (TDF) à 245 mg, réunis dans le Truvada. Le médicament, utilisé depuis 2005 dans le traitement de l’infection au VIH, a eu l’AMM dans la PrEP en 2016, mais « ce sont les génériques du Truvada qui sont les plus prescrits aujourd’hui », rapporte le Pr Molina.

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• Pourquoi ce choix ? « C’est la combinaison la plus efficace et la mieux tolérée dans le traitement de l’infection à VIH. Elle est utilisée depuis près de 15 ans avec une grande puissance antivirale et une très bonne tolérance ».

• Avec quelle efficacité ? Les études menées sur de nombreux modèles cellulaires avaient déjà montré que l’infection par le VIH est bloquée avec un traitement antirétroviral préventif in vitro. « La question était alors de déterminer le bon moment et la bonne façon d’utiliser le traitement préventif chez l’homme. Et comment démontrer son efficacité. » Ce sont les études cliniques menées dans le monde depuis 2007, et notamment ANRS IPERGAY menée en France de 2012 à 2016, qui ont démontré la grande efficacité de la PrEP, « proche de 97 %, voisine de celle du préservatif. Aucune contamination n’a été observée chez les personnes qui prenaient régulièrement la PrEP ».

Zéro risque avec la PrEP ?

« Le niveau de risque n’est jamais égal à zéro car la PrEP peut parfois être mal absorbée ou régurgitée en cas de vomissement, comme avec un préservatif qui peut craquer ». Quelques rares cas de contaminations sont rapportés dans les études, peut-être dues « à la présence d’un virus multirésistant ou au fait que les personnes étaient déjà contaminées avant le début de la PrEP ». D’où l’intérêt de la consultation avant prescription, et de l’observance. Car, comme tout traitement, « la PrEP ne protège très bien que si elle est prise correctement ! », souligne le Pr Molina.

Quels examens sont réalisés ?

• La consultation avant de débuter la PrEP détermine si la personne est à haut risque de contracter l’infection et si elle n’est pas déjà contaminée. Pour cela, un test de dépistage du VIH Elisa de 4e génération est réalisé avant la prescription. Ce test se « positive » 2 à 3 semaines après une contamination alors que les autres tests ne sont fiables que 3 mois après. « Même si la sérologie initiale est négative, la personne peut être encore au stade de la primo-infection Elle est donc revue un mois plus tard pour vérifier l’absence de séroconversion entre-temps » par un nouveau test de dépistage, renouvelé ensuite tous les 3 mois (Info+). En pratique, le bilan sérologique est souvent fait en amont de la visite afin de ne pas retarder la prise du traitement.

• L’autotest VIH n’est pas indiqué pour le suivi trimestriel « parce qu’il ne détecte pas les primoinfections alors que les sujets concernés sont à haut risque de contamination ».

• La visite trimestrielle permet aussi le suivi des fonctions rénale et osseuse pouvant être perturbées par la PrEP, ainsi que le dépistage d’autres infections sexuellement transmissibles.

Qui prescrit ?

La prescription initiale valable un an est établie à l’hôpital par un médecin spécialiste du VIH, ou dans un Cegidd(1). Un généraliste peut renouveler le traitement durant cette période.

Comment le prendre ?

• Deux schémas de prise : en continu ou en discontinu (à la demande). La prise de la PrEP en discontinu testée dans l’étude IPERGAY s’est révélée très efficace.

→ en continu : 1 comprimé par jour, si possible à peu près à la même heure.

→ en discontinu, à la demande : 2 comprimés entre 2 heures minimum et 24 heures avant le premier rapport sexuel à risque, puis 1 comprimé après le rapport 24 heures après la première prise, et enfin un dernier comprimé 48 heures après la première prise. Des associations (AIDES, TRT-5…) donnent des infos pratiques en cas de rapports continus. À savoir : ce mode de prise à la demande n’a été testé que chez les HSH et les personnes transgenres ayant des rapports anaux avec des hommes. Il n’est pas recommandé en cas d’hépatite B à cause du risque d’exacerbation de l’hépatite à l’arrêt de la PrEP. Et l’AMM indique seulement la prise en continu, mais « un document de la HAS précise et valide le schéma en discontinu(2). Et nous prescrivons un comprimé par jour en expliquant comment le prendre », indique le Pr Molina. Donc pas de souci pour le remboursement à 100 % dans ce cadre, « d’autant que ce schéma est validé par le rapport des experts français sur le VIH mais aussi européens, australiens, canadiens, etc. »

• Le comprimé se prend avec de la nourriture dans la mesure du possible pour optimiser l’absorption et limiter les effets indésirables à type de nausées, douleurs abdominales, vomissements, diarrhées, « même si cela n’a jamais été un motif d’arrêt ».

• En cas d’oubli dans les 12 heures, prendre le comprimé oublié avec de la nourriture, puis prendre la dose suivante à l’heure habituelle. Si la personne s’en rend compte 12 heures ou plus après l’heure habituelle de prise, attendre et prendre la dose suivante à l’heure habituelle.

• En cas de vomissement moins d’une heure après la prise, reprendre un autre comprimé. Pas de nouvelle prise en cas de vomissement plus d’une heure après la première prise.

Quel schéma choisir ?

« Les 2 schémas, en continu ou discontinu, sont efficaces à condition d’être pris correctement. Aujourd’hui, les personnes ont le choix en fonction de leurs pratiques, de leur mode de vie, et passent parfois d’un schéma à l’autre. La PrEP n’est pas destinée à un usage à long terme. Elle est surtout utilisée pendant des périodes de vulnérabilité. Certaines personnes nous disent ne plus en avoir besoin parce qu’elles se sont mises en couple… »

C’est efficace tout de suite ?

Le traitement est réputé efficace au bout de sept jours de prise pour les rapports anaux et après 7 à 21 jours pour les rapports vaginaux en cas de prise continue. C’est le temps nécessaire à une bonne imprégnation des tissus du corps par l’association TDF/FTC, le médicament pénétrant plus difficilement dans la paroi vaginale. « En revanche, avec une dose de charge de 2 comprimés en prise à la demande, la protection est assurée quelques heures plus tard. »

Que dire aux opposants ?

« Pourquoi la collectivité rembourserait ce traitement ? Ils n’ont qu’à mettre un préservatif ! » avancent certains opposants à la prise en charge de la PrEP. Pour le Pr Molina, cela revient à se demander pourquoi la pilule est remboursée alors qu’il existe des préservatifs. « Les études coût/efficacité montrent que si on traite 15 à 17 personnes à risque pendant un an avec la PrEP, on évite une infection dont le traitement par trithérapie aura un coût économique largement supérieur pour le système de santé. » D’autre part, le non-remboursement de la PrEP créerait « une inégalité d’accès entre ceux qui pourraient se la payer et les autres ». Enfin, « même si l’épidémie reste concentrée, il y a toujours un risque de contamination pour les populations moins à risque. L’objectif de la PrEP est de réduire le nombre de personnes nouvellement contaminées par le virus du sida. C’est un objectif de santé publique ! », explique le Pr Molina. « La promotion de l’usage du préservatif seul ne suffit pas à éteindre l’épidémie de sida. C’est pourquoi une multitude d’outils de PrEP sont développés pour proposer de plus en plus de moyens de protection ». Qu’il s’agisse de nouvelles molécules, des anneaux ou des gels vaginaux, des implants ou de la PrEP… « et bien sûr des recherches qui se poursuivent pour mettre au point un vaccin ».

Quel rôle pour les officinaux ?

« Demander à une personne qui vient pour le traitement d’une infection sexuellement transmissible si elle a entendu parler de la PrEP ? », suggère le Professeur Molina. En rappelant « qu’il n’y a pas que la syphilis, les chlamydiae et les gonocoques. Il y a aussi le sida qui est une maladie grave ». Orienter ensuite vers un Cegidd ou un service hospitalier où il y a des consultations PrEP ou sur le site du ministère de la Santé www.sexosafe.fr« Il va y avoir de plus en plus de gens sous PrEP et il faudra expliquer les schémas de prise. Aujourd’hui, on n’est pas loin des 10 000 personnes sous PrEP. Les officinaux peuvent d’ores et déjà s’informer sur la PrEP, dont il faudra expliquer les schémas de prise ». Cet outil de plus dans l’arsenal préventif nécessite de se former. Un ensemble de documents très clairs est déjà disponible. Ne pas hésiter à les consulter (voir En savoir+ p. 42).

(1) Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par les virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles.

(2) « La prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH », Fiche de bon usage des médicaments, Haute autorité de santé, mars 2017.

Une étude Prévenir prometteuse

→ L’étude ANRS Prévenir lancée en mai 2017 par le Pr Jean-Michel Molina, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Louis avec l’hôpital Hôtel-Dieu et l’association AIDES, va évaluer jusqu’en 2020 l’impact du déploiement de la PrEP sur l’épidémie de VIH en Île-de-France auprès de personnes séronégatives à haut risque de contamination. Seront aussi évalués l’accompagnement personnalisé par des acteurs communautaires, et la prévention ainsi que le traitement des autres infections sexuellement transmissibles (IST). Pour l’instant, seuls des hommes ayant des relations avec des hommes ont été inclus, dont la moitié environ prend la PrEP à la demande. « Sur 1 600 patients suivis durant presque un an, il n’y a eu aucune infection par le VIH chez ceux qui ont pris le traitement », souligne le Pr Molina qui a présenté ces premiers résultats au congrès de AIDS à Amsterdam en juillet 2018.

→ Pour en savoir plus : www.anrs.fr et http://prevenir.anrs.fr/

Info +

→ Les antirétroviraux sont utilisées en prévention depuis 1994 pour éviter la transmission maternofoetale. « Ils diminuent la charge virale de la mère, et leur passage transplacentaire protège l’enfant de l’infection », précise le Pr Molina ; mais aussi depuis 2008 chez les couples sérodiscordants, après un accident d’exposition au sang ou un rapport sexuel à risque.

→ On parle de TasP pour Treatment as prevention (traitement comme prévention) et de TPE ou PEP pour traitement ou prophylaxie postexposition.

En savoir +

→ Pour s’informer sur la PrEP et les services spécialisés, consulter www.sexosafe.fr, prep-info.fr, www.sida-info-service.org, la brochure du Cespharm…

Info +

→ La primo-infection correspond aux 12 semaines suivant la contamination avec un risque élevé de transmission sexuelle.

→ La séroconversion est le passage à la séropositivité :

–  le VIH n’est pas détecté juste après la contamination ;

– après 10 jours : la PCR ou la charge virale détecte le virus ;

– après 14-15 jours : les tests Elisa détectent la protéine p24 du VIH ;

– après 14 jours : les anticorps sont détectés.