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La neutropénie chimio-induite en 4 questions

Publié le 11 mars 2023
Par Bérangère Balaj, Maïtena Teknetzian et Stéphanie Satger
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La neutropénie chimio-induite est l’un des principaux effets secondaires des traitements anticancéreux. Conséquence directe du mode d’action des cytotoxiques, sa survenue nécessite une surveillance rapprochée et une prise en charge immédiate pour limiter les complications et préserver la réussite du protocole anticancéreux.

Les leucocytes (ou globules blancs) sont divisés en cinq types cellulaires. Les plus nombreux sont les polynucléaires neutrophiles (PNN) qui représentent 40 à 70 % des leucocytes. A l’hémogramme, les valeurs normales des PNN se situent entre 1 800 et 7 700/mm3 (ou 1,8 à 7,7 x 109/l). Ils interviennent en première ligne de défense de l’organisme, notamment en phagocytant les bactéries.

La neutropénie chimio-induite est une diminution du nombre des PNN, liée à l’action des cytotoxiques. Elle expose au risque d’infections principalement bactériennes, mais aussi fongiques, potentiellement létales dans les cas les plus graves.

Selon les critères définis par l’institut américain du cancer, National Cancer Institute’s common terminology criteria for adverse events (NCI-CTCAE), de novembre 2017, la neutropénie peut être classée, en fonction du nombre de PNN, en différents grades qui permettent d’établir sa sévérité en plus des symptômes observés :

 

– Grade 1 : entre 1 500 et 1 800 PNN/mm3 ;

 

– Grade 2 : entre 1 500 et 1 000 PNN/mm3 ;

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– Grade 3 : entre 1 000 et 500 PNN/mm3 ;

 

– Grade 4 : < 500 PNN/mm3.

 

Le risque infectieux est majeur lorsque les PNN se situent en dessous de 100/mm3.

On distingue par ailleurs deux entités : la neutropénie isolée (sans fièvre) et la neutropénie fébrile qui associe de la fièvre à une neutropénie de grade 4 (ou grade 3 avec évolution prévisible en grade 4 dans les 48 heures). 

 

Selon les critères de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO), la fièvre est définie par :

 

– une température supérieure ou égale à + 38,5 °C sur 1 seule mesure,

 

– ou une température supérieure ou égale à + 38 °C sur 2 mesures dans un intervalle de 2 heures.

 

A noter que, selon les référentiels, ces chiffres peuvent légèrement varier. En effet, d’après l’Infectious Diseases Society of America (IDSA), on retient dans ce contexte :

 

– une température supérieure ou égale à + 38,3 °C sur une seule mesure,

 

– ou une température supérieure ou égale à + 38 °C pendant une durée supérieure à 1 heure.

 

Facteurs liés au traitement

Certaines molécules utilisées en chimiothérapie sont plus susceptibles que d’autres d’entraîner une neutropénie importante tels que les anthracyclines, les agents alkylants, les nitroso-urées, les protocoles associant dérivés du platine et taxanes.

De même, les doses employées dans le protocole vont influer, ainsi que les doses cumulatives. Les traitements seront ainsi classés à haut, moyen ou bas risque.

Par ailleurs, l’absence de traitement prophylactique augmente le risque de survenue d’une neutropénie.

 

Facteurs liés au patient 

 

Certains facteurs ou comorbidités influencent le risque de neutropénie et d’infection comme : l’âge du patient (risque augmenté avec le vieillissement), un antécédent de neutropénie lors d’une précédente chimiothérapie, l’avancement de la pathologie, l’état global du patient et ses comorbidités cardiovasculaires, hépatiques ou rénales présentes, une lésion constituant une porte d’entrée infectieuse (mucite, escarres, problème dentaire, etc.).

La neutropénie chimio-induite peut être découverte à l’occasion d’un bilan biologique dans le cadre de la surveillance de la chimiothérapie ou recherchée du fait de signes cliniques d’appel infectieux (toux, brûlures mictionnelles, maux de gorge, fièvre, etc.) qui doivent amener le patient à consulter car ils peuvent révéler une neutropénie. Il est fondamental d’être particulièrement vigilant en cas de fièvre, même en l’absence d’autres symptômes. En effet, lors de neutropénie sévère, certains signes inflammatoires sont parfois atténués, voire absents, et le seul signe infectieux est souvent la fièvre. La présence d’une fièvre chez un patient neutropénique doit être considérée comme d’origine infectieuse. Une hypotension peut également être le signe d’une infection grave (choc septique) et constitue une urgence.

Devant une suspicion clinique, l’examen à pratiquer sans délai est un bilan sanguin avec numération formule sanguine (NFS). Celle-ci constitue l’examen clé pour le dépistage. Sur le bilan sanguin, une attention particulière est portée à la protéine C réactive [GLOSSAIRE] (ou CRP, pour C-reactive protein) et à la fonction rénale (une altération de fonction rénale est un facteur de risque aggravant et conditionne en outre le choix de l’antibiothérapie). 

Devant une NFS confirmant une neutropénie, une infection, même non visible, doit être systématiquement recherchée. Un examen clinique complet permet de contrôler les causes, lieux et/ou points d’entrée des infections les plus fréquents : poumons, voies urinaires, voies otorhinolaryngologies supérieures, dents et gencives, peau. Les sites de ponctions veineuses et cathéters intravasculaires sont également des points d’entrée potentiels.

Il est recommandé de réaliser au moins 3 hémocultures en 1 heure (même si le résultat est négatif dans 75 % des cas). Certains examens complémentaires peuvent être demandés en fonction des signes cliniques, mais ils ne doivent pas retarder une antibiothérapie.

 

Conséquences infectieuses

Chez un patient présentant une neutropénie chimio-induite, le risque infectieux est majeur. Une fois déclarée, l’infection peut évoluer vers la septicémie (état infectieux généralisé), un choc septique et être mortelle.

Le risque infectieux est corrélé à la sévérité, la rapidité d’installation et la durée de la neutropénie. Une neutropénie est considérée comme courte lorsqu’elle se poursuit sur une période inférieure à 7 jours et longue si elle est supérieure à 7 jours. Les neutropénies courtes prédisposent aux infections à partir de bactéries endogènes issues de la flore digestive buccale ou cutanée et les neutropénies supérieures à 10 jours prédisposent aux risques endogènes et exogènes (mycoses systémiques à champignons filamenteux dont Aspergillus).

Une période est particulièrement propice au risque infectieux. Il s’agit du nadir [GLOSSAIRE], en général 7 à 14 jours après le dernier jour de chimiothérapie. 

Le calcul du score de la Multinational Association for Supportive Care in Cancer (Mascc) permet d’établir si le patient est à faible ou haut risque de complications infectieuses sévères. Ce score est fondé sur la sévérité du tableau clinique initial, la présence ou non d’hypotension, l’absence ou non de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), sur l’état d’hydratation, l’âge du patient (les patients âgés étant plus à risque), à domicile ou non, l’absence d’infection fongique préalable. Un score inférieur à 21 détermine un patient à haut risque (voir encadré).

 

Conséquences sur le traitement anticancéreux

 

Outre un risque infectieux potentiellement létal, une neutropénie chimio-induite impose une réévaluation du protocole anticancéreux (éventuelle modification du traitement ou de sa dose, voire suspension transitoire de la chimiothérapie) qui peut influer sur l’efficacité de la prise en charge du cancer.

     

Protéine synthétisée par le foie qui joue un rôle lors de la réaction inflammatoire. La valeur normale est inférieure à 6 g/dl. Sa concentration élevée ou croissante dans le sang est en faveur d’une infection ou d’une inflammation aiguë.

 

Moment postcure de chimiothérapie où les polynucléaires neutrophiles ont le plus diminué et ont atteint leur taux le plus bas.

       

Physiopathologie de la neutropénie

La neutropénie chimio-induite est une neutropénie secondaire due à une myélosuppression liée directement au mode d’action des cytotoxiques, qui ne sont pas sélectifs des cellules tumorales, et qui bloquent aussi les divisions de cellules saines, avec un effet marqué sur toutes les cellules à renouvellement rapide, comme les polynucléaires neutrophiles.

Ces derniers sont produits au niveau de la moelle osseuse et sont issus d’un précurseur commun à toutes les cellules du sang : la cellule souche. La production médullaire des polynucléaires neutrophiles se fait en environ deux semaines et un polynucléaire neutrophile vit environ 1 à 3 jours. Ils sont donc renouvelés à un rythme rapide et sont particulièrement sensibles à l’effet des chimiothérapies. 

En cas de neutropénie, les défenses immunitaires sont amoindries et le risque infectieux est majoré, notamment le risque bactérien et fongique. Les cocci Gram + sont responsables de plus de 50 % des infections (Staphylococcus aureus, Enterococcus sp, Streptococcus pneumoniae, etc.). Certaines bacilles Gram – sont également impliquées, comme Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa. Les infections fongiques (Candida et Aspergillus le plus souvent) sont évoquées devant un tableau fébrile persistant et sont associées à une mortalité élevée.

Prise en charge de la neutropénie

La prévention et la correction des neutropénies fébriles reposent sur l’utilisation de la forme recombinante du facteur de croissance hématopoïétique G-CSF (granulocyte-colony stimulating factor), glycoprotéine naturellement secrétée en particulier par les macrophages, qui stimule la prolifération et la maturation des polynucléaires neutrophiles.

Les facteurs de croissance hématopoïétique granulocytaire (G-CSF : filgrastim, lénofilgrastim ; G-CSF de longue durée d’action : pegfilgrastim et lipegfilgrastim) se fixent sur les récepteurs au G-CSF (rG-CSF) présents sur les cellules de la lignée myéloblastiques et plus particulièrement sur les cellules myéloblastiques. Ils favorisent la différenciation, la maturation et la libération des polynucléaires neutrophiles.

L’adjonction d’une molécule inerte de polyéthylène glycol (dans pegfilgrastim et lipegfilgrastim) permet d’augmenter la taille de la molécule afin de ralentir son élimination rénale et de prolonger ainsi son effet pour espacer le rythme des administrations.

Pour prévenir le risque infectieux induit ou pour traiter une infection déjà présente, une antibiothérapie peut par ailleurs être mise en route. Elle doit tenir compte des traitements précédents administrés au patient, de ses antécédents infectieux et des signes cliniques infectieux, s’ils sont présents.

STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE

Objectif du traitement

Le traitement préventif sert à empêcher un premier épisode de neutropénie fébrile (prophylaxie primaire) ou une récidive (prophylaxie secondaire).

Le traitement curatif permet d’éviter la survenue d’infections sévères et de compromettre le protocole anticancéreux.

En cas de neutropénie fébrile, le traitement antibiotique doit permettre de se prémunir d’une évolution grave des infections.

Prévention des neutropénies et du risque infectieux

Le respect des dernières recommandations internationales de la Société américaine d’oncologie clinique (Asco), de 2015, et de la Société européenne d’oncologie médicale (Esmo), de 2016, permet de limiter la morbidité et la mortalité des neutropénies chimio-induites.

La prévention repose sur l’administration de facteurs de croissance granulocytaire ou granulocyste-colony stimulating factors (G-CSF), chez des patients ayant des facteurs de vulnérabilité et soumis à des protocoles de chimiothérapie induisant un risque de neutropénie élevé. Leur utilisation est possible lorsque les cycles de chimiothérapie sont espacés de 2 à 4 semaines mais, actuellement, il n’y a pas de recommandation pour les cycles hebdomadaires. Elle permet une réduction du risque de survenue de neutropénie fébrile, de réhospitalisation pour neutropénie et de mortalité précoce.

 

Prophylaxie primaire

L’identification des risques de neutropénie est essentielle et repose, en premier lieu, sur l’évaluation du risque induit par le protocole de traitement choisi, puis sur l’évaluation des risques propres à l’individu.

D’après les recommandations américaines du National Comprehensive Cancer Network (NCCN) et celles de l’Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer (EORTC), les molécules de chimiothérapie sont classées en trois paliers, en fonction du risque de neutropénie induite : risque supérieur à 20 %, risque entre 10 et 20 % et risque inférieur à 10 %. Les molécules les plus à risque sont le topotécan par voie intraveineuse, les associations carboplatine-docétaxel et cisplatine-étoposide, ainsi que les anthracyclines (doxorubicine, notamment) et le cyclophosphamide.

En cas de risque supérieur à 20 %, l’administration de G-CSF est proposée d’emblée et est poursuivie aux cycles suivants.

En cas de risque inférieur à 10 % , il n’y a pas d’indication à l’administration de G-CSF. Le risque est réévalué à chaque cycle de chimiothérapie.

Lorsque le risque se situe entre 10 et 20 %, l’oncologue ou l’hématologue décide de l’administration de G-CSF après analyse du risque global, c’est-à-dire en fonction de la chimiothérapie mais aussi de la présence de facteurs de risque liés au patient : un âge supérieur à 65 ans, le stade avancé de la maladie, des antécédents de neutropénie fébrile, une altération de l’état général, une dénutrition, une insuffisance hépatique ou rénale, des comorbidités cardiovasculaires et un taux d’hémoglobine inférieur à 12 g/dl.

 

Prophylaxie secondaire

Si un événement neutropénique a eu lieu lors d’un précédent cycle de chimiothérapie, l’oncologue peut, pour prévenir une récidive de neutropénie, décider de prescrire un G-CSF aux prochains cycles ou de diminuer la dose de chimiothérapie.

Lorsqu’un G-CSF a déjà été prescrit selon les recommandations en prophylaxie primaire et qu’une neutropénie est malgré tout survenue, la dose de chimiothérapie est diminuée ou le traitement anticancéreux modifié lors du cycle suivant.

 

Utilisation prophylactique de médicaments anti-infectieux

Elle ne doit pas être systématique car elle expose à un risque de résistance. Elle est établie au cas par cas en fonction du risque infectieux et des antécédents du patient.

Cependant, certaines situations pathologiques, comorbidités ou traitements anticancéreux exposent à un risque infectieux élevé qui peuvent justifier un traitement préventif anti-infectieux (fluoroquinolones, valaciclovir éventuellement associé au cotrimoxazole).  

Traitement des neutropénies

 

Cas des neutropénies sans fièvre

Il n’existe pas de consensus ou de recommandations sur la conduite à tenir. L’oncologue agit au cas par cas après avoir réalisé une évaluation minutieuse de la situation (molécules utilisées, type et stade du cancer, comorbidités du patient, espérance de vie, etc.). Il décide alors des actions à mener : décaler le cycle de chimiothérapie, modifier la dose, modifier les molécules utilisées, administrer un G-CSF et/ou une antibiothérapie prophylactique.

Le service d’oncologie ou d’hématologie doit être alerté rapidement. En fonction des établissements, le patient a un répertoire des numéros d’urgence à contacter ou des documents sur les conduites à tenir en cas d’effets indésirables des chimiothérapies inclus dans son programme personnalisé de soins.  

Le patient doit veiller à limiter le risque infectieux par la mise en œuvre de conseils d’hygiène de vie (voir partie « Accompagner le patient »). Une surveillance adéquate est mise en place : prise de la température pluriquotidienne (voie rectale proscrite car exposant à un risque de blessure), détection précoce des premiers signes d’infection (fièvre, frissons, sueurs, toux, maux de gorge, brûlures mictionnelles, infections cutanées, etc.).

Une prophylaxie antibiotique (fluoroquinolones le plus souvent) ou antifongique n’est pas systématiquement recommandée, en particulier chez les patients sans facteur de risque ou dont le pronostic de durée de la neutropénie est inférieur à 7 jours.

 

Cas de la neutropénie fébrile

La présence d’une fièvre chez un patient neutropénie doit être considérée comme d’origine infectieuse. Elle représente une urgence médicale (quel que soit le taux de polynucléaires neutrophiles) et nécessite, dans la plupart des cas, une hospitalisation plus ou moins prolongée. La chimiothérapie cytotoxique est arrêtée ponctuellement jusqu’à la remontée des polynucléaires neutrophiles.

Le risque de développer une infection sévère ou non est évalué à partir du score Mascc (voir partie « Pathologie »). S’il n’est pas d’emblée identifié, un foyer infectieux est recherché.

Une antibiothérapie empirique bactéricide et à large spectre est commencée le plus tôt possible (dans l’idéal dans la première heure suivant l’arrivée aux urgences) sans attendre les résultats des différents prélèvements.

L’administration de G-CSF n’est pas recommandée dans tous les cas, mais peut être envisagée dans les neutropénies fébriles avec des signes majeurs de gravité (sepsis sévère, neutropénie prolongée supérieure à 10 jours)

 

Patients à haut risque d’infection grave

Si le score Mascc est strictement inférieur à 21, les patients sont considérés à haut risque de complications et l’hospitalisation est systématique.

Les protocoles varient en fonction des services hospitaliers mais l’antibiothérapie repose sur une β-lactamine à large spectre active sur Pseudomonas aeruginosa, administrée par voie intraveineuse choisie parmi les molécules suivantes : pipéracilline-tazobactam, certaines céphalosporines de 3e génération (céfépime, par exemple). Les carbapénèmes (imipénème, méropénème) ne sont pas utilisés en première intention, sauf si le patient a des antécédents d’infection à bactéries productrices de β-lactamases à spectre élargi (Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae). En cas de choc septique, un aminoside (amikacine) est ajouté.

Le traitement est ajusté à partir des résultats des différents examens réalisés ou évolution des signes cliniques et un antifongique est au besoin ajouté en cas de neutropénie fébrile persistante au-delà de 5 jours d’une antibiothérapie à large spectre.

 

Patients à bas risque d’infection grave

Lorsque le score Mascc est supérieur ou égal à 21, les patients sont considérés à bas risque. Si les conditions d’une prise en charge à domicile le permettent (présence d’un entourage familial, pas d’isolement social, facilité à comprendre la finalité du traitement et à mettre en place un suivi à domicile, absence de signes de gravité, possibilité d’hospitalisation rapide si nécessaire), un traitement ambulatoire est envisagé. Il repose sur une double antibiothérapie débutée dans un service spécialisé (urgence, service d’oncologie).

Lorsqu’un traitement par voie orale est possible (absence de vomissements ou de mucites), l’antibiothérapie fait appel à l’association amoxicilline/acide clavulanique (1 g 3 fois par 24 h) et à une fluoroquinolone (ciprofloxacine, 500 mg 2 fois par jour, ou ofloxacine, 200 mg 2 fois par jour, ou lévofloxacine, 500 mg par jour). L’administration de fluoroquinolones n’est pas possible en cas de traitement prophylactique antérieur. La clindamycine (600 à 2 400 mg par 24 h) est une solution alternative en cas d’allergie aux ß-lactamines.

S’il est impossible d’utiliser la voie orale, la ceftriaxone (1 g/24h) est administrée par voie intraveineuse lente ou sous-cutanée.

Après une période d’observation, le patient (stable depuis plus de 4 h) est autorisé à rentrer à son domicile. Le respect des règles standards d’hygiène de vie (voir partie « Accompagner le patient ») est primordial. Le suivi repose sur la prise régulière de température, une numération formule sanguine (NFS) très régulière et sur la surveillance clinique par un professionnel de santé (point journalier avec un infirmier). L’entourage doit être sensibilisé aux signaux d’aggravation qui nécessitent de retourner à l’hôpital au service d’oncologie, d’hématologie ou aux urgences : marbrures sur la peau, oligurie, déshydratation, troubles neurologiques. Les médicaments antipyrétiques ne doivent pas être administrés en continu pour éviter de masquer la persistance de température.

Le traitement est poursuivi jusqu’à normalisation des différents paramètres : apyrexie supérieure à 48 heures, taux de polynucléaires neutrophiles supérieur à 500/mm3, hémocultures négatives. En cas de chimiothérapie intensive ou de leucémie aiguë, l’antibiothérapie doit être poursuivie pendant 10 jours.

Une réhospitalisation s’impose lors d’aggravation des signes infectieux, une température persistante au-delà de 48 heures, un retour des hémocultures positives ou la mise en évidence d’un foyer infectieux par les examens réalisés.

 

Arbre décisionnel : Prise en charge de la neutropénie fébrile

TRAITEMENTS

Facteurs de croissance granulocytaire (G-CSF)

Les G-CSF sont utilisés en prophylaxie primaire ou secondaire de neutropénie chimio-induite ou en traitement curatif lorsque la neutropénie fébrile est accompagnée de signes majeurs de gravité ou lorsqu’elle se prolonge. En revanche, ils ne doivent pas être utilisés pour augmenter les doses de cytotoxiques au-delà des dosages établis.

Ce sont des médicaments à prescription initiale hospitalière valable 3 mois. Le renouvellement de la prescription n’est pas restreint.

Il existe quatre facteurs de croissance granulocytaire. Filgrastim et lénograstim sont utilisés en injection quotidienne par voie sous cutanée. En indication prophylactique, ils sont injectés pendant 5 jours. En indication curative, le traitement doit être en principe poursuivi jusqu’au dépassement du nadir et jusqu’à la normalisation de la NFS. Les recommandations préconisent 7 à 10 jours de traitement. Les formes pégylées (pegfilgrastim et lipegfilgrastim) sont toujours utilisées en injection unique.

L’efficacité des différents facteurs de croissance granulocytaire est considérée comme équivalente.

Le traitement doit être débuté au moins 24 heures après la chimiothérapie pour obtenir une efficacité maximale, dans un délai qui varie selon le protocole de chimiothérapie. Ce délai vise à éviter une multiplication des granulocytes au moment où l’action de la chimiothérapie sur les cellules en division est la plus importante.

 

Effets indésirables : réaction au site d’injection (douleur, érythème), douleurs osseuses (plus fréquentes chez les patients de moins de 45 ans), céphalées, nausées et vomissements sont les effets indésirables les plus fréquents.

 

Plus rarement, mais plus gravement, sont rapportés des cas de pneumopathie interstitielle (toux, fièvre, dyspnée, détérioration de la fonction respiratoire et signes d’infiltration sur les clichés radiologiques) imposant l’arrêt du traitement, et des réactions d’hypersensibilité (rash cutané, urticaire, angioœdème, dyspnée, bouffées vasomotrices et hypotension) nécessitant de le stopper également, un syndrome de fuite capillaire [GLOSSAIRE], un syndrome de Sweet [GLOSSAIRE] ou encore une splénomégalie caractérisée par des douleurs de l’hypochondre gauche ou de l’épaule pouvant aller jusqu’à la rupture splénique.

 

Sur le plan biologique, une augmentation des transaminases et des phosphatases alcalines est possible, ainsi qu’une hyperleucocytose et une thrombopénie.

 

Interactions : des études montrent que l’administration de G-CSF lors d’un traitement par 5-fluorouracile (5FU) peut majorer la sévérité de la neutropénie. L’administration des G-CSF associée à la bléomycine augmenterait le risque de toxicité pulmonaire.

 

Surveillance : NFS à réaliser à intervalles réguliers au cours du traitement (vérification de l’absence d’une hyperleucocytose après le nadir présumé), indication possible d’une ostéodensitométrie chez les patients avec un terrain ostéoporotique lorsque le traitement est supérieur à 6 mois.

Perspectives

 

Un inhibiteur de CDK4/6, le trilaciclib, est approuvé par la Food and Drug Administration (FDA), autorité américaine de contrôle des médicaments, car il réduit la fréquence de la myélosuppression induite par chimiothérapie. Les CDK4/6 sont des cyclines régulatrices de la progression du cycle cellulaire. En inhibant leur activité, le trilaciclib bloque de manière transitoire le cycle cellulaire des cellules souches hématopoïétiques en début d’interphase (avant la réplication d’ADN et la mitose), à un stade où les cytotoxiques ne peuvent pas agir. Il est administré par voie orale avant la cure de chimiothérapie. Ce médicament n’est pas autorisé en France à ce jour.

 

Maladie systémique sévère causée par une augmentation de la perméabilité capillaire et caractérisée par des épisodes d’hypotension, d’œdème et d’hypovolémie.

 

Maladie inflammatoire rare caractérisée par l’apparition brutale d’une réaction cutanée (papules, nodules, œdème) et d’une augmentation des polynucléaires neutrophiles

 

Les facteurs de croissance granulocytaires sont des biomédicaments. Un biomédicament est obtenu par synthèse biologique à partir d’une cellule ou d’un organisme vivant. Un biosimilaire est un médicament biologique équivalent au biomédicament de référence en matière de composition qualitative et quantitative, ainsi que de forme pharmaceutique.

Filgrastim et pegfilgrastim appartiennent à la liste des biomédicaments pour lesquels le pharmacien d’officine est autorisé à proposer un biosimilaire depuis 2022.

La substitution est possible lorsque le prescripteur ne l’exclut pas par une mention expresse (« non substituable » sous forme manuscrite) et justifiée. Elle peut être réalisée au début mais aussi en cours de traitement. Le patient est en droit de la refuser sans application d’un dispositif contraignant (par exemple tiers payant contre substitution).

En pratique, le patient et le médecin doivent être informés de la substitution et le pharmacien doit l’inscrire sur l’ordonnance et peut aussi l’indiquer dans le dossier informatique du patient. La dispensation doit être tracée par l’enregistrement du nom du biosimilaire délivré ainsi que de son numéro de lot par tout moyen à disposition.

       
 
 
 

POINT DE VUE

chef de clinique des universités-assistant des hôpitaux, service des maladies du sang, centre hospitalier universitaire de Lille (Nord). 

« Même sous traitement par G-CSF, un patient fébrile doit être vu par un médecin dans les 2 heures »

Sur quels arguments les prescripteurs se fondent-ils pour le choix du facteur de croissance leucocytaire (G-CSF) ?

Il n’y a pas de différence d’efficacité entre les molécules et elles bénéficient des mêmes indications. Il n’y a pas de recommandations en faveur de l’une ou l’autre selon la situation clinique. Le choix est donc propre au médecin. Les formes pégylées présentent indéniablement l’intérêt d’être plus confortables pour le patient puisqu’elles s’administrent en une seule injection. Cependant, elles sont moins adaptables. En effet, l’inconvénient des facteurs de G-CSF est de provoquer des douleurs osseuses qui apparaissent habituellement en fin de traitement (4e ou 5e jour). Les formes pégylées, dont la demi-vie est plus longue, restent longtemps dans l’organisme et on ne pourra pas agir sur les concentrations plasmatiques en cas d’effet indésirable, tandis qu’avec les formes non pégylées, il est possible, si la NFS l’autorise, d’arrêter le traitement plus tôt que prévu en cas de mauvaise tolérance.

A l’officine, Quels conseils donner à un patient qui présente de la fièvre malgré un traitement préventif par G-CSF ?

Il faut avant tout penser non pas à un effet indésirable du traitement, mais à une cause infectieuse. En effet, les G-CSF permettent de réduire la durée d’une aplasie médullaire, donc de diminuer le risque d’une aplasie fébrile, mais ne protège pas à 100 % de celui-ci. Il faut dans ce cas dire au patient, qui pourrait vouloir soulager des douleurs osseuses liées au traitement, de ne pas prendre de paracétamol pour ne pas masquer la fièvre et l’orienter vers une consultation médicale rapide (médecin traitant ou un service médical à domicile) pour instaurer une antibiothérapie probabiliste. S’il ne peut être vu par un médecin dans les 2 heures, il faut l’adresser aux urgences.

Témoignage : Daniel, 65 ans

Il y a quelques années, j’ai été traité pour un lymphome splénique. Heureusement, je vais mieux aujourd’hui ! Mon traitement a comporté une chimiothérapie et une immunothérapie. Je me souviens que mon hématologue m’avait donné tout un tas de conseils très stricts pour éviter toute contamination. Il m’avait en effet expliqué qu’à cause de mon traitement anticancéreux mes globules blancs pouvaient baisser et que je risquais d’attraper des infections. Je devais me laver fréquemment les mains et faire très attention à ce que je mangeais. Toutes ces précautions avaient envahi mon quotidien et me rendaient très anxieux. J’étais à l’affût de mes résultats sanguins et de ma température. Mais ces mesures astreignantes se sont montrées efficaces et désormais je les ai intégrées à mes habitudes de vie. 

Les facteurs de croissance biosimilaires

  • Les facteurs de croissance granulocytaires sont des biomédicaments. Un biomédicament est obtenu par synthèse biologique à partir d’une cellule ou d’un organisme vivant. Un biosimilaire est un médicament biologique équivalent au biomédicament de référence en matière de composition qualitative et quantitative, ainsi que de forme pharmaceutique.

  • Filgrastim et pegfilgrastim appartiennent à la liste des biomédicaments pour lesquels le pharmacien d’officine est autorisé à proposer un biosimilaire depuis 2022.

  • La substitution est possible lorsque le prescripteur ne l’exclut pas par une mention expresse (« non substituable » sous forme manuscrite) et justifiée. Elle peut être réalisée au début mais aussi en cours de traitement. Le patient est en droit de la refuser sans application d’un dispositif contraignant (par exemple tiers payant contre substitution).

  • En pratique, le patient et le médecin doivent être informés de la substitution et le pharmacien doit l’inscrire sur l’ordonnance et peut aussi l’indiquer dans le dossier informatique du patient. La dispensation doit être tracée par l’enregistrement du nom du biosimilaire délivré ainsi que de son numéro de lot par tout moyen à disposition.

  •  Vigilance !

    Les G-CSF ne sont pas recommandés pendant la grossesse et l’allaitement. Cependant, en cas de nécessité, il est possible de demander un avis au Centre de référence des agents tératogènes (Crat).

    Protéine synthétisée par le foie qui joue un rôle lors de la réaction inflammatoire. La valeur normale est inférieure à 6 g/dl. Sa concentration élevée ou croissante dans le sang est en faveur d’une infection ou d’une inflammation aiguë.

    Moment postcure de chimiothérapie où les polynucléaires neutrophiles ont le plus diminué et ont atteint leur taux le plus bas.

    Maladie systémique sévère causée par une augmentation de la perméabilité capillaire et caractérisée par des épisodes d’hypotension, d’œdème et d’hypovolémie.

    Maladie inflammatoire rare caractérisée par l’apparition brutale d’une réaction cutanée (papules, nodules, œdème) et d’une augmentation des polynucléaires neutrophiles

    Chiffres

    – Lorsque la neutropénie dure moins de 5 à 7 jours, une fièvre est présente dans 10 à 50 % des cas. Pour une durée de plus de 7 à 10 jours, une fièvre est présente dans 90 % des cas.

    – La neutropénie fébrile induite par la chimiothérapie concerne 10 à 50 % des patients avec une tumeur solide associée à 5 % de mortalité et plus de 80 % des patients avec une hémopathie maligne associée à 11 % de mortalité.

    L’essentiel

    – La sévérité de la neutropénie chimio-induite dépend du taux de polynucléaires neutrophiles et de la présence ou non de fièvre.

    – La neutropénie fébrile est une urgence et doit être prise en charge rapidement.

    – La NFS est l’examen fondamental au diagnostic et au suivi du patient.

    L’essentiel

    – La prophylaxie de la neutropénie chimio-induite repose, dans les situations les plus à risque, sur l’administration de G-CSF en prise quotidienne ou en une injection unique. Elle s’accompagne de mesures d’hygiène générale.

    – Le traitement curatif des neutropénies non fébriles ne fait pas l’objet de consensus et est étudié au cas par cas.

    – Le traitement curatif des neutropénies fébriles repose sur une antibiothérapie empirique administrée d’emblée dans la première heure. Pour certains patients à bas risque d’infection, une prise en charge ambulatoire avec antibiothérapie orale est possible après une surveillance hospitalière de quelques heures. L’antibiothérapie à domicile repose le plus souvent sur l’association amoxicilline/acide clavulanique + fluoroquinolone. L’administration de G-CSF n’est pas systématique.