La maladie cœliaque

Publié le 29 octobre 2014
Par Caroline Bouhala
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Considérée comme une maladie auto-immune, la maladie cœliaque résulte de la rencontre
d’un individu génétiquement prédisposé avec un antigène alimentaire, le gluten. Elle touche toutes les tranches d’âge. À la clé, une intolérance permanente au gluten, un complexe de protéines présent dans le blé, le seigle et l’orge. Son ingestion déclenche une réaction immunitaire anormale entraînant une inflammation chronique intestinale avec disparition des villosités. Ces lésions modifient la digestion et l’absorption intestinales et génèrent des signes cliniques digestifs et extra-digestifs d’intensité variable.

La maladie
PHYSIOPATHOLOGIE
Qu’est-ce que le gluten
Le gluten est un complexe protéique présent dans le grain de certaines céréales – blé, seigle et orge – et obtenu après extraction de l’amidon. Ces protéines permettent de rendre panifiable une farine ; elles apportent à la pâte à pain son élasticité. Elles sont classées en deux groupes selon leur caractère soluble dans l’alcool.
> Fraction soluble : les prolamines (riches en acides aminés proline et glutamine). C’est la fraction la plus toxique. Les prolamines du blé, nommées gliadines, sont les plus étudiées. Les sécalines sont les prolamines du seigle et les hordéines celles de l’orge.
> Fraction insoluble : les glutélines sont des protéines de haut poids moléculaire. Dans le blé, elles sont représentées par les gluténines.

Mécanisme toxique
Après ingestion, le gluten subit une intense digestion enzymatique, mais néanmoins incomplète à cause de sa richesse en proline, acide aminé cyclique très résistant à la digestion. Parmi les peptides non dégradés, la gliadine et autres prolamines apparentées, très immunogènes, franchissent la paroi intestinale de façon plus importante chez le malade cœliaque car la perméabilité intestinale est augmentée. Deux mécanismes se mettent alors en place :
> la gliadine est transformée par une enzyme, la transglutaminase tissulaire, qui est surexprimée dans la maladie cœliaque. La réaction aboutit à la production de peptides. Ces derniers sont à l’origine de l’activation du système immunitaire et de la fabrication de substances inflammatoires, dont l’interféron gamma (IFN y) particulièrement toxique pour l’entérocyte (voir Dico+), et d’anticorps, dont les anticorps antitransglutaminases. Ceux-ci seront d’ailleurs recherchés pour le diagnostic (voir Diagnostic p. 28).
> Parallèlement, une hyperproduction d’interleukine 15 stimule les lymphocytes intraépithéliaux et les rend cytotoxiques envers la muqueuse intestinale.
Tous ces mécanismes conduisent à la destruction des cellules intestinales et de leurs villosités. Une fois déclenchée, la maladie dure toute la vie.

Facteurs de risque           
Prédisposition génétique
30 % de ce risque est porté par les gènes codant le système HLA (Human Leukocyte Antigen), sorte de carte d’identité génétique de la personne qui permet au corps de reconnaître ce qui lui est étranger.
Pratiquement tous les malades cœliaques ont le typage HLA-DQ2 ou HLA-DQ8. Néanmoins, être porteur de ce système HLA particulier est une condition nécessaire mais pas suffisante car il est aussi présent chez 20 à 30 % des sujets sains. Les autres gènes responsables du risque génétique restent à déterminer.

Rupture de tolérance
Toutes les personnes HLA-DQ2/8 ne développent pas la maladie. Ceci pourrait être expliqué par l’existence de mécanismes de tolérance au niveau de l’intestin. Chez les malades, une rupture de tolérance aurait lieu. Des pistes sont envisagées pour l’expliquer :
– une origine génétique autre que les molécules HLA ;
– l’hyperproduction d’interleukine 15 dans l’intestin des patients cœliaques pourrait avoir un rôle dans la rupture de cette tolérance en altérant les mécanismes de régulation ;
– la composition du microbiote, flore digestive intestinale, peut présenter quelques différences entre les sujets « sains » et les sujets « malades » ;
– des facteurs environnementaux : les infections virales de l’intestin, l’âge d’introduction du gluten dans l’alimentation ainsi que la quantité, la sélection de blé à fort rendement, plus riche en protéines « toxiques »…

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SIGNES CLINIQUES
L’expression clinique de la maladie est très variable, de la forme asymptomatique à la forme évoluée, menaçant le pronostic vital. Ainsi, 80 % des sujets ne seraient pas diagnostiqués du fait de symptômes mineurs : fatigue, ballonnement intestinal…

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Forme classique
Minoritaire, cette forme ne concerne que 10 à 20 % des patients. Typiquement, il s’agit d’une forme pédiatrique qui touche les enfants de 6 à 24 mois, après l’introduction du gluten dans l’alimentation.
Les signes cliniques et biologiques sont en relation avec la malabsorption de l’intestin grêle :
> diarrhée avec stéatorrhée (excès de lipides dans les selles), amaigrissement, dénutrition, asthénie, douleurs abdominales…
> anémie par carence en fer, folates, vitamine B12, déficit en facteurs vitamino-K dépendants (II, VII et X), hypoalbuminémie, hypocalcémie, hypomagnésémie, déficit en zinc…

Formes atypiques
Ces formes représentent la majorité des cas diagnostiqués chez l’adulte et chez l’enfant plus grand. Elles sont peu ou pas symptomatiques.
>Lorsqu’elles sont symptomatiques, elles se manifestent par des troubles digestifs mineurs (douleurs abdominales, diarrhée…) et surtout des signes extra-digestifs qui doivent faire évoquer la maladie : anémie, augmentation des transaminases, manifestations cutanées (aphtose buccale récidivante, alopécie), ostéoporose inexpliquée, troubles neurologiques centraux (épilepsie, migraine) ou périphériques (neuropathie), troubles de la reproduction (aménorrhée, infertilité, fausses couches).
> Parmi les patients asymptomatiques, deux cas sont à distinguer :
– les formes silencieuses  associent sérologie positive et atrophie villositaire sans symptômes ;
–les formes latentes présentent une sérologie positive mais pas d’atrophie. Néanmoins, il existe parfois une augmentation des lymphocytes intra-épithéliaux. Dans ce cas, le patient devra être suivi régulièrement (recherche de maladie associée, révélation de la maladie cœliaque plus tardive)

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DIAGNOSTIC
Deux examens, remboursés par la Sécurité sociale, sont nécessaires pour dépister la maladie cœliaque : la sérologie avec la recherche d’anticorps spécifiques de la maladie et, si l’analyse est positive, une recherche histologique avec des biopsies de l’intestin grêle.
La régression des symptômes sous régime sans gluten strict vient ensuite confirmer le diagnostic.

Sérologie
C’est le premier examen à effectuer. Les anticorps IgA antitransglutaminase et IgA anti-endomysium (ayant également pour cible la transglutaminase tissulaire mais réalisé en deuxième intention car plus cher et plus compliqué) sont actuellement les plus sensibles et les plus spécifiques. Ce sont ceux recommandés par la Haute autorité de santé (1).
Les IgA totaux sont également dosés car un déficit en IgA est souvent retrouvé chez les malades, ce qui pourrait biaiser les tests précédents (résultats faussement négatifs). Dans ce cas, la recherche se porte sur les IgG antitransglutaminase ou IgG anti-endomysium.
Une sérologie positive conduira à poursuivre l’investigation, mais ne suffira pas à poser le diagnostic. 

Histologie
Elle repose sur la mise en évidence d’une atrophie villositaire par endoscopie (par la bouche) avec prélèvement de biopsies duodénales. Elles seules permettent de confirmer le diagnostic et de commencer le régime sans gluten.
Cette atrophie prédomine au niveau du grêle proximal, mais peut s’étendre sur l’ensemble de l’intestin grêle et conduire à un syndrome de malabsorption plus ou moins total. La classification de Marsh permet de graduer l’intensité de l’atteinte : du stade 1 (la muqueuse est normale) au stade 4 (la muqueuse est plate).

Cas particulier
Depuis 2012 (2), il existe une situation dans laquelle la biopsie n’est plus nécessaire pour poser le diagnostic chez un enfant. Pour cela, les critères suivants doivent être réunis :
– présenter un tableau clinique typique contrôlé par un spécialiste ;
– un taux d’IgA antitransglutaminase tissulaire supérieur à dix fois la normale ;
– une confirmation par le dosage des anticorps anti-endomysium ;
– présenter un groupe HLA à risque (HLA-DQ2 ou DQ8).
Dans certaines circonstances, chez l’adulte, si la suspicion clinique de maladie cœliaque est forte, on peut effectuer une biopsie du grêle même si la sérologie est négative.

Qui dépister ?
Actuellement, le dépistage doit être ciblé sur :
> les patients symptomatiques, quel que soit le symptôme évocateur de maladie cœliaque : symptômes digestifs minimes, manifestations extra-intestinales ;
> les patients asymptomatiques présentant un risque élevé de maladie (apparentés au premier degré d’un sujet malade, diabète de type 1, déficit en IgA…) et pour qui le régime sans gluten permettrait de prévenir ou corriger les complications.
Des tests capillaires de diagnostic rapide se développent (par exemple, BiocardTM Celiac Test détecte les IgA antitransglutaminases et les IgA totales). Spécifiques mais pas très sensibles, ils peuvent néanmoins se révéler utiles dans certains cas (voir interview p. 31).

Examens complémentaires
Une fois le diagnostic posé, un certain nombre d’examens complémentaires sont réalisés afin de rechercher d’éventuelles complications associées : carences (fer, calcium, magnésium), bilan hépatique…
Systématiquement, en tout cas chez l’adulte et au moins au diagnostic, un bilan osseux est réalisé en raison du risque d’ostéopénie (diminution de la densité osseuse)

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Info+
La fréquence de la maladie cœliaque a longtemps été sous-estimée en raison des formes peu symptomatiques, silencieuses ou atypiques, qui sont finalement les formes les plus fréquentes car peu de patients présentent des caractéristiques cliniques typiques.

Info+
Le risque familial d’être atteint de maladie cœliaque est globalement de 10 %. Il est surtout important dans les fratries (20 %). Le risque de transmission parent/enfant est moindre (3 %).…

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(1) HAS, Quelles recherches d’anticorps prescrire dans la maladie coeliaque ?, mis à jour en juin 2008, Haute autorité de santé. 
(2) European Society of Paediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition (ESPGHAN), Guidelines for the Diagnosis of Coeliac Disease, 2012.

Interview : Pr Christophe Cellier, chef du service gastro-entérologie de l’hôpital Georges-Pompidou, Paris (75)

Peut-on guérir de la maladie cœliaque ?
Non, à l’heure actuelle, on ne peut pas guérir de cette maladie. Des pistes de traitement sont en cours d’évaluation pour remplacer éventuellement le régime mais de façon temporaire. Aujourd’hui, le seul traitement est le régime sans gluten.

Quel est votre avis sur les tests capillaires ?
C’est un pre-screening test (test de dépistage de première ligne, NDLR) assez fiable. En tout cas, c’est mieux et moins cher que les tests délirants qui sont fait actuellement – tests d’intolérances alimentaires – ou que de commencer un régime sans preuve.

Quels sont les points importants à retenir pour les officinaux ?
Tout d’abord, il faut retenir que les tests alimentaires ne servent à rien. Ils n’ont aucune valeur. Attention également à ce qui peut être écrit car, avec la médiatisation actuelle sur le gluten, on trouve tout et n’importe quoi. À côté de ça, il est important de ne jamais commencer un régime sans gluten sans avoir fait les bons tests au préalable. Si la maladie cœliaque est confirmée, le régime doit être très strict car les complications peuvent apparaître à long terme.

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À lire dans Porphyre n°507 de novembre 2014