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« Il faut évaluer la gêne occasionnée »

Publié le 25 août 2021
Par Christine Julien
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L’hormonothérapie est une thérapie utilisée dans certains cancers dits hormonodépendants. Ce mois-ci, place à la gestion des principaux effets indésirables des anti-œstrogènes et des anti-androgènes. Interrogatoire et discussion sont les maîtres mots selon notre pharmacienne.

Quels sont les effets indésirables les plus rencontrés sous anti-œstrogènes et anti-androgènes ?

La fatigue, aléatoire et souvent multifactorielle, les douleurs articulaires et musculaires, les bouffées de chaleur, la prise de poids, aléatoire aussi sous anti-œstrogènes. Sur les hormonothérapies des cancers de la prostate, l’hypertension artérielle, des diarrhées, des vertiges et des céphalées sous Xtandi. Il ne faut pas négliger l’aspect psychologique qui joue sans doute un rôle. Avec un cancer, l’avenir est un peu mutilé. La vie bascule et on ne la voit plus comme avant même si certains disent c’est « un petit cancer »

Faut-il savoir évaluer ou grader un effet indésirable ?

Grader est très important. Pour le faire, il faut se référer au CTCAE (voir encadré) et alerter le médecin dès le grade 3. Jusqu’à 2, une surveillance rapprochée peut suffire. Cependant, avant de grader, il faut interroger le patient. C’est en fonction de ses réponses que l’on pourra confirmer la gradation et ne pas la surestimer ou la sous-estimer.

Comment le faire au comptoir ?

Il faut interroger le patient. Ce que l’on peut faire le plus facilement est d’évaluer la gêne occasionnée dans la vie de tous les jours. « Depuis quand est-ce apparu ? Est-ce que ces effets indésirables sont survenus à la prise du médicament ou plus tard ? Est-ce que, depuis leur apparition, vous avez ajouté d’autres médicaments, de la phyto* ou des compléments alimentaires ? Avez-vous d’autres symptômes ? De quand date votre dernière visite chez l’oncologue ? En avez-vous parlé à votre médecin traitant ? » Puis : « Sur une échelle de 1 (très peu, voire pas du tout) à 10 (cela me « pourrit » la vie), cela vous invalide ou vous gêne comment dans votre vie quotidienne ? » Au-delà de 5, il faut entrer en contact avec le médecin traitant ou l’équipe hospitalière.

Il faut coter la gêne alors ?

Oui : ça gêne ou ça ne gêne pas la vie quotidienne. « Cela vous dérange d’avoir des bouffés de chaleur ? » Si la personne répond « Je m’y fais », c’est bon. Si elle dit : « Je ne dors plus la nuit », cela impacte son quotidien. Cela implique d’en référer au médecin car si elle n’en parle pas, elle arrêtera son traitement parce que ça lui « bouffe la vie ». Son médecin changera peut-être d’hormonothérapie ou cherchera autre chose. Les douleurs sous hormonothérapies entraînent des arrêts de traitement.

On peut le faire à quelle occasion ?

Si on attend, on n’aura rien. On peut demander : « Comment ça s’est passé ce mois-ci ? » Il faut créer et consolider le lien avec le patient et la confiance sera présente. Et dire : « S’il y a un effet secondaire, revenez vers moi ». À la limite, je ne parlerai pas d’effets indésirables mais plutôt de tolérance au traitement : « Si vous ne le supportez pas bien, revenez nous voir ».

Il y a d’autres effets indésirables ?

Oui, l’hypertension artérielle. La pression artérielle est à surveiller. Dire aux patients de la mesurer deux jours de suite. Dès que ça monte à 16, il faut alerter le médecin traitant en disant : « Monsieur X est sous telle thérapie qui fait augmenter sa tension. Revoyez-le ou dites-nous s’il faut introduire un antihypertenseur ». Si le médecin préfère renvoyer vers l’oncologue, vous pouvez proposer au patient d’appeler le pharmacien hospitalier ou l’équipe hospitalière dédiée à la gestion des thérapies orales, qui fera le point avec l’oncologue. Le confrère pourra voir si d’autres médicaments ne sont pas incriminés. Le risque d’infections nécessite de surveiller les signes d’alerte tels que fièvre, frissons. En cas de température supérieure à 38,5 °C, il faut consulter le médecin.

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Est-ce qu’il y a des signes alarmants ?

Une pression artérielle à 19, ou la bouffée de chaleur qui empêche de dormir toutes les nuits. Cette dernière devient alarmante car elle occasionne de la fatigue et entraîne un cercle vicieux.

Et si la personne veut une solution tout de suite, que peut-on faire ?

Je pense qu’il faut changer le concept de « Je vais trouver une solution à tous vos effets secondaires ». Ce serait trop beau ! C’est le traitement et la maladie qui engendrent ces effets. Pour une gêne de 0 à 5, on peut conseiller de se reposer, un peu de vitamine C – même si je n’y crois pas beaucoup. Au-delà de 5, ce n’est pas que du ressort officinal. Il faut savoir dire « Cette molécule engendre cet effet. Il faut en parler avec l’oncologue parce qu’aujourd’hui elle vous pourrit la vie ». Si ça l’empêche de dormir, on ne lui dit pas d’essayer du Donormyl, une plante ou de la mélatonine. « Si ça vous réveille et vous empêche de dormir, on va en parler à votre médecin car aucun produit ne fera de miracle ». La priorité est de renvoyer vers le médecin traitant.

Et lorsqu’il y a des diarrhées ?

Idem. On sous-estime les diarrhées. Les gens ne se plaindront pas d’une selle liquide par jour. Pour une gêne de 1 à 5, on donne des conseils classiques : alimentation pauvre en fibres, avec carottes, féculents, banane. Éviter les fruits et légumes crus, l’alcool, les laitages et le café. Boire 1,5 l et éventuellement un anti-diarrhéique type lopéramide. Et il faut réévaluer sous 24-48 heures. Les patients commencent à se plaindre quand ils ont trois ou quatre selles liquides par jour et qu’ils ne peuvent plus sortir de chez eux. Ils ne vont plus faire les courses car, si cela arrive, ils ne savent pas le gérer. Malgré tout, certains diront : « Non, ce n’est pas gênant mais je reste chez moi ». Là, il faut savoir répondre : « Si, ça l’est ! Ce n’est plus de notre ressort. Cela vous empêche de vivre correctement et les risques ne sont pas négligeables. Il faut voir votre médecin traitant ». Il ne faut pas gérer soi-même.

Que dire en cas de vertiges et céphalées sous Xtandi ?

« Avez-vous des vertiges toute la journée ? » Si oui, et qu’il dit « Je suis assis tout le temps », cela signifie qu’il ne peut même pas se lever pour répondre au téléphone, et si en plus « Chaque fois que je me lève, je vomis », on ne peut rien faire à l’officine. S’il dit : « Ça me gêne un peu le matin quand je me lève trop vite », répondez : « Levez-vous doucement ». Dans tous les cas, il faut appeler le patient ou le faire revenir au bout de 48 heures pour réévaluer son cas. S’il ne revient pas, cela ne veut pas dire qu’il va mieux.

Existe-t-il des signaux d’alerte ?

Quand il y a une prise systématique et continue de paracétamol avec de l’hormonothérapie, ou de tramadol ou d’Efferalgan codéiné, il faut poser des questions. « Vos douleurs sont dues à quoi ? » Il pourrait y avoir des métastases osseuses, c’est pourquoi l’interrogatoire et la connaissance du patient ont du sens.

Quid de la libido et autres impacts sur l’intimité ?

Le médecin oncologue en parle mais pas assez aux yeux de certains patients. Les soins de support sont là pour permettre d’en discuter. La sécheresse vaginale n’est pas à sous-estimer. Des femmes vivent l’enfer. Les gynécologues sont peut-être les mieux placés pour le gérer, ainsi que certains soins de support.

Comment en parler ?

Quand la gêne touche l’intimité avec la sécheresse vaginale ou l’absence de libido ou d’érection, poser la question est délicat. D’où l’intérêt d’avoir une relation de confiance avec son patient. Il faut savoir aborder l’intimité mais pas lors de la première délivrance. Juste dire « Si vous avez des effets secondaires plus intimes, est-ce que ça vous gêne de nous en parler ? » ou « Vous risquez d’avoir des désagréments au sein de votre intimité. Si vous avez besoin, sachez en parler ». Quand il vient la troisième fois renouveler un traitement qui a un impact sur l’intimité, vous pouvez dire : « Comment ça se passe au niveau de votre intimité ? ». Si plainte ou question, renvoyez vers les soins de support dont sont dotés tous les établissements. Vous pouvez également remonter la question au pharmacien hospitalier, qui fera le lien avec l’oncologue du patient.

(*) Exemple : les jus de pamplemousse et d’orange amère (orange de Séville), l’aloe vera, le chardon Marie ou le curcuma augmentent les effets indésirables de l’abiratérone (Zytiga).

Françoise de Crozals

Pharmacienne gérante de l’Institut du cancer Avignon-Provence Sainte-Catherine, à Avignon (84).

Où chercher l’info ?

→ Institut national du cancer (Inca) : e-cancer.fr > Professionnels de santé > Médicaments > Prévention, suivi et gestion des effets indésirables.

→ Société française de pharmacie oncologique (SFPO) : oncolien.sfpo.com.

→ Omédit Normandie : omedit-normandie.fr > Menu > Boîte à outils > Bon usage.

La gradation des effets indésirables

Un événement indésirable est un signe, symptôme ou maladie non désiré, inattendu – résultats biologiques inclus -, associé chronologiquement à l’utilisation d’un traitement ou d’une procédure, pouvant être relié ou non à ce traitement ou procédure.

Le CTCAE(1) est une terminologie descriptive employée pour déclarer un événement indésirable et divisée en cinq grades selon la sévérité. Chaque grade a une description médicale unique. Les point-virgules ci-dessous signifient « ou ».

→ Grade 1 : léger ; asymptomatique ou symptômes légers ; diagnostic à l’examen clinique uniquement ; ne nécessitant pas de traitement.

→ Grade 2 : modéré ; nécessitant un traitement minimal, local ou non-invasif ; interférant avec les activités instrumentales de la vie quotidienne (capacité à préparer ses repas, faire les courses, utiliser un téléphone, gérer son argent…).

→ Grade 3 : sévère ou médicalement significatif mais sans mise en jeu immédiate du pronostic vital ; indication d’hospitalisation ou de prolongation d’hospitalisation ; invalidant ; interférant avec les activités élémentaires de la vie quotidienne (faire sa toilette, s’habiller et se déshabiller, manger seul, aller aux toilettes, prendre ses médicaments et ne pas rester alité).

→ Grade 4 : mise en jeu du pronostic vital ; nécessitant une prise en charge urgente.

→ Grade 5 : décès lié à l’effet indésirable.

Exemple : un prurit est un « trouble caractérisé par une sensation de démangeaisons intenses » = grade 1 : léger ou localisé ; nécessitant un traitement topique.

Le CTCAE a été traduit par la Fédération francophone de cancérologie digestive, sur www.cepd.fr/custom/CEPD_toxicite.pdf

(1) National Cancer Institute, Common Terminology Criteria for Adverse Events (CTCAE) v 4.0. NCI, NIH, DHHS, 29 mai 2009, NIH publications n° 09-7473.