Pathologies Réservé aux abonnés

Cancer bronchique : Révolutions, avec un grand air

Publié le 28 janvier 2023
Par Caroline Guignot
Mettre en favori

Le cancer bronchique reste la première cause de décès par cancer en France. Si son pronostic demeure sombre, il s’est néanmoins amélioré depuis les années 1990, passant de 13 à 20 % de survie à cinq ans. Derrière ces chiffres se trouvent notamment les progrès pharmacologiques liés à l’identification de multiples anomalies moléculaires.

Le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), qui représente 85 % de l’ensemble des cancers du poumon, a connu deux révolutions consécutives ces quinze dernières années. Elles ont profondément bouleversé le pronostic des patients au stade métastatique (stade IV) et, depuis, ont progressivement bénéficié à ceux atteints de cancers bronchiques localement avancés ou stade III. Benjamin Besse, oncologue à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne), explique : « La première d’entre elles repose sur la caractérisation de sous-types de cancers bronchiques ayant des anomalies moléculaires spécifiques. Ainsi, chacune des anomalies a été successivement identifiée pour conduire à de nouvelles thérapies ciblées. Si ces anomalies moléculaires concernent souvent une sous-population de patients, elles sont cruciales car les traitements qui leur sont spécifiques modifient significativement le pronostic. » Pour exemple, des médicaments anti-ALK ciblant une anomalie identifiée dans 3 à 4 % des cancers bronchiques seulement permettent d’améliorer la survie moyenne qui était de 12 à 14 mois jusqu’à plus de cinq ans pour les molécules les plus efficaces. Plus récemment, pour les 1 à 2 % des cancers bronchiques surexprimant HER2, l’efficacité du trastuzumab déruxtécan a été démontrée : cet immunoconjugué, ou smart chemotherapy, dont l’approche consiste à vectoriser la molécule de chimiothérapie au plus près des cellules cancéreuses en la fixant à l’anticorps monoclonal spécifique des cellules tumorales bronchiques, pourrait prochainement obtenir une autorisation de mise sur le marché dans cette indication.

En pratique, les non-fumeurs présentent plus souvent une mutation unique ou prédominante. A l’inverse, les adénocarcinomes des fumeurs sont généralement caractérisés par de multiples mutations qui sont moins spécifiques. Mais eux aussi bénéficient de progrès, comme récemment avec l’identification de mutations telles que KRAS-G12C, que l’on retrouve dans près d’un quart des CBNPC et contre lesquelles de nouveaux médicaments ciblés sont développés (sotorasib, adagrasib, etc.).

Si ces nouvelles thérapies ciblées se multiplient, elles ont leurs limites : « Elles ne permettent pas de guérir les malades. L’arrêt du traitement conduit à une reprise de la progression tumorale et son maintien est fréquemment associé à des résistances aux premières lignes de traitement », souligne Marie Wislez, pneumologue à l’hôpital Cochin (Paris). D’où la nécessité de générations successives de molécules. « Dans ce domaine, les anticorps bispécifiques pourraient aussi apporter de nouvelles perspectives, à l’image de l’amivantamab qui a récemment obtenu une autorisation d’accès précoce », poursuit-elle. Celui-ci permet en effet de bloquer simultanément une mutation de l’EGFR de mauvais pronostic (touchant l’exon 20) et MET, un autre récepteur qui se retrouve amplifié par un mécanisme de résistance tumorale lorsque le patient est traité par un premier anti-EGFR.

L’immunothérapie, un traitement aux effets rémanents

Les patients n’ayant pas de mutation qui soit la cible d’un traitement – plus nombreux parmi les fumeurs – peuvent aujourd’hui bénéficier d’une seconde révolution thérapeutique : l’immunothérapie. En effet, la croissance tumorale chez ces personnes s’accompagne d’un mécanisme d’échappement immunitaire : les cellules cancéreuses modifient leur phénotype et sont capables de stimuler de façon continue les points de contrôle (ou checkpoints) immunitaires (CTLA-4, et le couple récepteur lymphocytaire PD-1 et son ligand tumoral PDL-1) qui, en conditions normales, empêchent les lymphocytes T de réagir contre des cellules du soi. Le développement d’inhibiteurs de checkpoints immunitaires anti-PD1 ou anti-PD-L1 a conduit également à une véritable amélioration du pronostic des CBNPC (et de certains des cancers bronchiques à petites cellules). Leur prescription est toutefois dépendante d’un pourcentage suffisant de cellules tumorales exprimant PD-L1. « L’immunothérapie est aujourd’hui efficace chez 15 à 20 % des patients, explique Marie Wislez. A l’inverse des thérapies ciblées, ces approches ont un effet rémanent et permettent à près de la moitié d’entre eux de suspendre le traitement après deux ans, sans avoir de reprise évolutive à cinq ans. »

Aussi, « la phase de caractérisation moléculaire est aujourd’hui indispensable pour déterminer le traitement personnalisé des patients présentant des tumeurs avancées ou métastatiques », résume Benjamin Besse. La thérapie ciblée spécifique de la mutation identifiée constitue la première ligne de traitement. Mais en l’absence d’altération ciblable, une expression suffisante de PD-L1 rend le patient éligible à l’immunothérapie. Le traitement des tumeurs de stade IV repose aujourd’hui sur la chimiothérapie, une thérapie ciblée ou une immunothérapie, seules ou associées entre elles. « Les indications de l’immunothérapie se sont progressivement étendues aux tumeurs de stade III inopérables, qui relèvent habituellement d’une radiochimiothérapie, poursuit-il. Elle permet ainsi à 1 patient supplémentaire sur 10 d’être vivant à 5 ans. » Elle est même discutée dans certaines tumeurs localisées et curables de stades I et II après chirurgie. « On pense que l’immunothérapie dans ce contexte pourrait favoriser la guérison », espère Marie Wislez.

Publicité

A quand un dépistage organisé ?

Le pronostic étant lié au stade tumoral, le diagnostic précoce est crucial et induit de fait la question du dépistage organisé qui fait débat depuis de nombreuses années. Fondé sur le recours au scanner à faible dose, il a confirmé la réduction de mortalité spécifique chez les personnes fortement exposées au tabac dans des études américaines et européennes. « Mais sachant que 1 fumeur sur 2 présente une anomalie au scanner, ce dépistage demande des examens complémentaires, favorise le stress et peut conduire à des surdiagnostics ou à des faux positifs dont l’ampleur doit être évaluée en vie réelle », reconnaît Benjamin Besse. Si les attentes sont fortes, « les pouvoirs publics ont limité la démarche à des expérimentations en vie réelle et à la mise en place d’un programme pilote par l’Institut national du cancer (INCa), dans l’objectif de conduire un travail de structuration préalable et de s’assurer que la transposition des modalités de dépistage dans ces études cliniques maintient son efficacité », précise Marie Wislez. Par conséquent, un adulte qui le souhaite ne se voit pas prescrire un scanner d’emblée, mais est orienté vers l’un des programmes multimodaux mis en place par certains hôpitaux ou centres de lutte contre le cancer. Ces programmes proposent une information sur la prévention des cancers et sont associés à un engagement du patient dans une démarche de sevrage tabagique. Leur déploiement et leur généralisation, en cas d’expérimentations concluantes, pourraient aider au diagnostic plus précoce et à une nouvelle évolution du pronostic de la maladie.