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Arboviroses : ces vaccins qui bourdonnent d’espoir

Publié le 13 juillet 2024
Par Pascale Caussat
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En raison du réchauffement climatique, les maladies tropicales transmises par les moustiques se propagent à travers le monde. Parallèlement, la recherche progresse, avec l’arrivée prochaine sur le marché de nouveaux vaccins contre la dengue et le chikungunya.

 

Le 28 juin dernier, l’Agence européenne des médicaments a délivré une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le premier vaccin contre le chikungunya destiné aux adultes de plus de 18 ans. Baptisé Ixchiq et développé par Valneva, il est déjà commercialisé aux Etats-Unis. Pour Nicolas Arvis, directeur général France et Benelux du laboratoire, cette nouveauté constitue « une révolution dans la prévention du voyageur ». Il s’agit d’un vaccin vivant atténué qui procure une protection à long terme. D’après les études menées par Valneva, 97 % des participants conservent une réponse immunitaire après deux ans. Les données pour la troisième année devraient être publiées au troisième trimestre. Valneva attend encore les recommandations du Haut Conseil de la santé publique, et espère une mise à disposition dans les pharmacies d’ici fin 2024.

Ixchiq aura fort à faire

 

S’il n’est pas endémique en Europe, le chikungunya représente un enjeu de santé publique dans les départements d’outre-mer, ainsi qu’en métropole où l’on enregistre régulièrement des cas importés et où il est à déclaration obligatoire. Il s’agit d’une maladie tropicale à transmission vectorielle véhiculée par le moustique-tigre Aedes albopictus, également porteur des virus de la dengue et Zika. Cette espèce est désormais présente dans 78 départements en France. « Le chikungunya a été identifié dans 110 pays dans le monde, principalement en Amérique latine, en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est, rappelle Nicolas Arvis. La propagation de la maladie prend la forme de flambées épidémiques, imprévisibles et massives. Une personne non protégée qui revient malade sur le territoire et qui va être piquée par le moustique peut déclencher des clusters en transmettant le virus à son entourage s’il est piqué à son tour. »

 

Plusieurs clusters ont ainsi été recensés en Europe depuis les années 2000. Selon un bilan de l’Institut Pasteur en juillet 2021, « l’hypothèse d’une dissémination du virus du chikungunya n’est pas à exclure dans les régions tempérées d’Europe où le moustique-tigre est établi, notamment en Italie et dans le sud de la France. En septembre 2007, une flambée épidémique est survenue en Italie, dans la région de Ravenne (nord-est), touchant environ 300 personnes. Elle aurait été introduite par un voyageur en provenance d’Inde. Les deux premiers cas autochtones de chikungunya en France ont été détectés en 2010 dans le Var, puis, en octobre 2014, 12 autres cas autochtones ont été observés à Montpellier (Hérault). En 2017, 17 autres cas de chikungunya ont été recensés dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. »

Prévention des voyageurs

 

Le chikungunya se manifeste par des douleurs articulaires très invalidantes qui peuvent évoluer en pathologie chronique. Une fois exposé au virus, un individu a 75 % de risque de développer la maladie et de devenir symptomatique. « Lors de la dernière épidémie aux Antilles en 2014-2015, 48 % de la population de la Guadeloupe et 42 % de celle de la Martinique ont été infectées, souligne Nicolas Arvis. A La Réunion, en 2005-2006, la contamination s’est propagée à 38 % des habitants, ce qui aurait causé la perte de 1 point de produit intérieur brut. Lorsque la moitié de la population est touchée, la maladie s’arrête de circuler. Mais 20 ans plus tard, les conditions sont réunies pour qu’une épidémie reprenne, car toute une nouvelle génération n’a jamais été exposée au virus. » D’où l’importance de mettre rapidement le vaccin sur le marché et de prodiguer des conseils aux voyageurs. En tant que professionnel de santé de proximité, le pharmacien peut renseigner ses patients s’ils se rendent dans des zones à risque, et les interroger au retour s’ils présentent des symptômes. En tout état de cause, le vaccin doit cohabiter avec d’autres mesures préventives pour éviter l’exposition au moustique-tigre : éliminer les récipients d’eau stagnante, installer des poissons qui vont manger les larves dans les bassins, utiliser des moustiquaires, etc.

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Les recommandations sont les mêmes pour la dengue, autre maladie tropicale en pleine expansion. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime « à 3,8 milliards le nombre de personnes vivant dans des pays où la maladie est endémique, dont la plupart se trouvent en Asie, en Afrique et dans les Amériques. L’année 2023 est celle du plus grand nombre de cas de dengue jamais signalés, la région OMS des Amériques ayant notifié 4,5 millions de cas et 2 300 décès ». Selon l’organisation, « il est fort probable que les cas de dengue augmentent et qu’ils s’étendent géographiquement en raison des changements climatiques et de l’urbanisation ». La maladie se manifeste par une forte fièvre accompagnée de maux de tête, de nausées et de vomissements, qui guérissent en deux semaines environ. Mais dans ses formes graves, hémorragiques ou avec un syndrome de choc, elle peut être mortelle.

Qdenga a pris son envol

 

La difficulté à mettre au point un vaccin provient du fait que, contrairement au chikungunya qui ne présente qu’un sérotype, la dengue en compte quatre. Le fait d’être infecté par l’un des sérotypes n’immunise pas contre les trois autres. Au contraire, lors d’une deuxième infection, un emballement immunitaire peut s’enclencher, qui dégénère en forme grave de la maladie. C’est le problème qu’a rencontré le vaccin Dengvaxia, développé par Sanofi, qui induisait cette réponse immunitaire sur les personnes indemnes de la maladie et dont l’administration a été limitée aux sujets ayant déjà été infectées, ce qui réduit sa diffusion. Disposant d’une AMM depuis décembre 2022, le vaccin Qdenga du laboratoire Takeda n’a pas ces restrictions. Il est déjà disponible dans une vingtaine de pays et a fait l’objet d’une campagne de vaccination au Brésil. « L’architecture du vaccin est fondée sur un génome du sérotype 2 de la dengue auquel nous avons associé trois composants recombinants vivants atténués qui expriment des protéines des trois autres sérotypes, explique Jean Delonca, directeur médical de Takeda France. Il a fait l’objet de quatre ans et demi d’étude sur 20 000 patients au cours de laquelle nous avons évalué des critères liés à l’impact de l’affection. Concernant le critère principal de baisse des épisodes de dengue contrôlés de manière virologique, nous avons observé une diminution de 80 % à 12 mois chez les patients traités par le vaccin par rapport à un placebo. Sur 18 mois, nous avons enregistré une réduction de 90 % des hospitalisations et de 86 % des formes hémorragiques. »

 

L’immunisation nécessite deux injections espacées de trois mois. Le laboratoire est en attente des recommandations de la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé. Les porte-parole de Takeda espèrent que Qdenga sera inscrit dans le calendrier vaccinal pour les zones endémiques, comme il l’est au Brésil. Pour Franck Favre-Besse, référent médical sur la dengue chez Takeda France, il faut prendre en compte l’ensemble de l’arsenal sanitaire afin de prévenir les épidémies : « Comme pendant le Covid-19 avec les gestes barrières, le vaccin fait partie de la solution, combiné à la lutte antivectorielle, pour combattre le virus, souligne-t-il. Le pharmacien a un rôle à jouer en relais des autorités pour informer toutes les populations résidant dans les zones endémiques ou voyageant vers ces zones, d’autant qu’il peut voir plus souvent ses patients que le médecin généraliste. »

   

Ixiaro et les combattants de Zika

Outre Ixchiq contre le chikungunya, Valneva dispose du vaccin Ixiaro contre l’encéphalite japonaise, transmise par le moustique Culex, qui n’est pas présent en France. Le laboratoire mène, par ailleurs, un programme de recherche en phase 1 sur le virus Zika. 

De son côté, Moderna mise à la fois sur des vaccins et des anticorps monoclonaux contre les maladies tropicales transmises par les moustiques. « Nous nous consacrons depuis plusieurs années au développement d’un vaccin contre Zika. Les données cliniques initiales de l’essai de phase 1 ont récemment été publiées et démontrent la forte immunogénicité et la bonne tolérance du vaccin », affirme la compagnie.