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Tu ne convoiteras pas le salarié de ton prochain

Publié le 18 septembre 2021
Par Anne-Charlotte Navarro
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Confronté à un marché de l’emploi tendu, le titulaire d’une officine peut être tenté de jouer la surenchère en proposant aux préparateurs ou pharmaciens adjoints déjà en poste une embauche au sein de son équipe. Une pratique qui peut coûter cher.

LES FAITS

La société E., spécialisée dans la maintenance industrielle, a développé une activité dans le domaine des catalyseurs. Entre 2010 et 2014, cette activité a été dirigée par M. M. Le service comporte 25 salariés. Le 31 décembre 2014, M. M. démissionne. Il est embauché au mois de janvier 2015 par la société S., concurrente de la société E. A la suite de cette démission, 12 salariés suivent M. M. dans la société S. Estimant que le départ de M. M. et de 12 salariés lui a causé un préjudice, la société E. assigne la société S. Elle lui reproche d’avoir commis un acte de concurrence déloyale.

LE DÉBAT

La concurrence déloyale est un abus des pratiques commerciales d’une société envers ses concurrents. Ces agissements fautifs permettent à l’entreprise victime d’obtenir des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. La jurisprudence précise que quatre types d’agissements fautifs peuvent être reprochés à une entreprise : le parasitisme, le dénigrement, l’imitation ou la désorganisation. C’est cette dernière faute que reproche la société E. à la société S. Elle estime que le départ des salariés les plus qualifiés du service de M. M., ainsi que de M. M. lui-même, l’a obligée à revoir l’organisation du service et à renoncer à certains appels d’offres. En réponse, la société E. considère que le recrutement de salariés libres de tout engagement ne peut constituer un acte de concurrence déloyale que s’il a entraîné une véritable désorganisation de la société et non une simple perturbation. Elle souligne que les remplaçants de M. M. et des autres salariés ont été embauchés en moins d’une année après le départ de l’ancienne équipe. Elle ajoute que les candidatures reçues de salariés de l’équipe de M. M. ont suivi un processus de recrutement identique à celui en vigueur dans l’entreprise. Seuls 12 profils ont été retenus sur une vingtaine de candidatures. Le 20 juin 2019, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) considère que le départ simultané de 13 salariés de la société ne peut pas s’expliquer par de mauvaises conditions de travail ; il constitue un acte de concurrence déloyale en raison de la posture d’accueil positive de la société S. La société S. est condamnée à verser 500 000 € à la société E.

LA DÉCISION

Le 23 juin 2021, la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel. Les magistrats retiennent que les constatations de l’huissier caractérisent le rôle actif de la société S. dans le débauchage d’une grande partie de l’équipe. Il importe peu que les effectifs aient été reconstitués à la fin de l’année 2015. Cette décision complète les arrêts antérieurs sur le sujet. Ainsi, la jurisprudence a retenu que le débauchage d’un seul salarié peut suffire à désorganiser une entreprise. Le fait que le salarié occupe un poste stratégique ne suffit en revanche pas à démontrer cette désorganisation. Il est nécessaire de préciser concrètement en quoi ce départ y contribue. A l’officine, cela peut être le cas quand un salarié en charge d’une mission particulière est débauché par la pharmacie concurrente ou s’il s’agit du seul salarié de l’officine. Rappelons que la clause de non-concurrence prévue par le Code de déontologie des pharmaciens ne vaut que pour l’installation en tant que titulaire d’un ancien salarié.

Source : Cass. com. 23-6-2021 n° 19-21.911.

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À RETENIR

Le débauchage d’un salarié de l’entreprise concurrente peut causer un préjudice indemnisable à l’ancien employeur.

Le débauchage n’est fautif que si le nouvel employeur a joué un rôle actif dans le départ du salarié.

Le fait que le salarié ait été remplacé rapidement n’a pas d’incidence sur la possible indemnisation.