Tabacologie : des joujoux qui font puff, pouch, snus

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Tabacologie : des joujoux qui font puff, pouch, snus

Publié le 3 mai 2023
Par Violaine Badie
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La cigarette n’a plus autant la cote, mais les produits contenant du tabac et de la nicotine sont de plus en plus nombreux. Sont-ils aussi dangereux que la cigarette classique ? Le risque d’addiction est-il identique ? Le point sur les connaissances actuelles.

Vapoteuse, puff, pouch, snus, tabac à chauffer… De quoi parle-t-on au juste ? « Il faut distinguer les produits qui contiennent du tabac de ceux qui comportent uniquement de la nicotine », détaille le PDaniel Thomas, porte-parole de la Société francophone de tabacologie. « Parmi les formes de consommation de tabac, on peut citer le snus et le tabac à chauffer. » Le snus est une poudre de tabac à sucer, conditionnée en sachet, qui se place entre la lèvre supérieure et la gencive. Il parvient à atteindre les consommateurs français malgré son interdiction dans l’Union européenne (hormis en Suède). En raison de son illégalité, il n’existe aucun chiffre officiel de consommation en France. Concernant le tabac à chauffer, vendu chez les buralistes, une seule marque est actuellement commercialisée : Philip Morris, avec IQOS (pour « I quit ordinary smoking »). « Le dispositif ressemble à un stylo rechargeable dans lequel sont placées des cigarettes courtes. Chauffées sans être brûlées, on les inhale comme des cigarettes normales, poursuit le cardiologue et tabacologue. Nous n’avons pas de données officielles pour IQOS, mais l’appareil semble peu répandu. »

De leur côté, les cigarettes électroniques comme les puffs et les pouches (« poches » en anglais) sont dépourvues de tabac. Elles reproduisent les effets de la cigarette traditionnelle grâce à leur apport en nicotine. Daniel Thomas explique : « La pouch est un sachet de poudre végétale et de nicotine à sucer, qui se consomme de la même manière que le snus. » Bien que d’apparition récente et interdite à la vente aux mineurs, la pouch « se diffuse beaucoup parmi les adolescents ».

La consommation est mieux évaluée pour les cigarettes électroniques. Daniel Thomas préfère le terme de « vapoteuses » pour désigner ces appareils à batterie rechargeables, dans lesquels sont placés des liquides à inhaler ou à « vapoter » : « En 2021, environ 5 % des 18-75 ans en font un usage quotidien et 6,7 % un usage régulier. Des chiffres qui ont quasiment doublé depuis 2016. » Bien que leur vente soit légalement interdite aux moins de 18 ans, une étude notait en 2021 une expérimentation exclusive (associée à aucun autre produit addictif) chez 8 % des élèves de 3e, contre 5 % en 2018. Depuis moins de deux ans, un nouveau type de vapoteuse est venu bouleverser le marché. La puff (« bouffée ») est une e-cigarette à usage unique avec une cible marketing clairement assumée : les jeunes. Très colorées, en vente un peu partout y compris dans des grandes surfaces, avec des arômes sucrés comme des bonbons, les puffs pourraient bien accentuer cette progression de la consommation chez les mineurs. Si les autorités sanitaires se réjouissent de la baisse du nombre de fumeurs entre 2014 et 2019, elles restent vigilantes face à l’émergence de tous ces nouveaux modes de consommation.

Des risques pour la santé à considérer  

Les effets nocifs du snus, utilisé depuis des décennies dans les pays nordiques, sont bien connus : « Le fait de sucer le tabac au lieu de l’inhaler protège du cancer du poumon mais augmente le risque de cancer du pancréas et de troubles buccodentaires », énumère le Pr Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme (CNCT). Qu’en est-il du tabac à chauffer, promu par les industriels comme « plus sain » que le tabac classique ? « Un leurre » pour le pneumologue : « Le tabac dans IQOS n’est pas brûlé mais chauffé à plus de 400 °C, ce qui produit tout de même des composés volatils néfastes. On inhale aussi des produits cancérogènes présents naturellement dans le tabac, comme des nitrosamines. » S’appuyant sur des études indépendantes, le site Tabac info service conclut que « passer de la cigarette à ce produit sans combustion ne réduit pas les atteintes pulmonaires ni l’inflammation indiquant la présence de dommages aux vaisseaux sanguins liés au tabac ».

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Plus difficile de statuer sur les cigarettes électroniques, au vu de la diversité de produits et de liquides. Comme leur fumée ne contient pas de monoxyde de carbone, le risque à court terme sur la santé paraît effectivement réduit. En revanche, les substrats inhalés et les arômes pourraient avoir des répercussions au niveau pulmonaire sur le long terme. Répercussions encore inconnues puisque le recul est d’une quinzaine d’années seulement. Mais le danger immédiat des produits contenant de la nicotine reste avant tout l’addiction.

Pouvoir addictif équivalent voire supérieur  

La composition du snus ou du tabac à chauffer en font des substances tout aussi addictives que le tabac traditionnel. « La cigarette IQOS est d’ailleurs conçue pour entretenir la dépendance, précise Yves Martinet. Les mini-cigarettes se fument en cinq minutes. Une consommation très rapide qui laisse tout juste le temps d’atteindre le boost de nicotine. »

Les produits exclusivement nicotiniques créent, quant à eux, une dépendance encore plus forte. En cause ? La présence de sels de nicotine, forme la plus addictogène. La réglementation européenne impose un seuil maximal de 20 mg de nicotine par ml de liquide pour les vapoteuses et puffs. « Différents contrôles ont montré que ces taux ne sont pas toujours respectés », regrette le président du CNCT. Certains liquides de puffs contiendraient même des taux de nicotine allant jusqu’à 50 mg/ml. Ces mêmes puffs, qui délivrent entre 600 et 2 000 bouffées chacune, présentent un potentiel addictif énorme qui alarme les autorités. « Elles font fureur dans les collèges et les lycées. C’est justement à cet âge-là que la dépendance à la nicotine se crée au niveau cérébral », explique Yves Martinet. Même inquiétude concernant les sachets de nicotine à sucer, non réglementés. La quantité de nicotine apportée par une seule pouch correspond à plus de trois cigarettes industrielles.

L’aide au sevrage tabagique  

Pour un non-fumeur, l’usage de n’importe lequel de ces produits est indiscutablement une porte d’entrée dans l’addiction et est donc à proscrire. Pour les fumeurs, la situation est plus complexe. Les conclusions des autorités de santé sont sans appel concernant le snus, le tabac à chauffer et les pouches : « aucun intérêt dans la réduction du risque pour la santé » et « aucune preuve d’efficacité dans l’arrêt du tabac ».
Quid de l’emploi de la cigarette électronique ? Les experts s’entendent pour dire que sa version jetable ne présente pas non plus d’intérêt sanitaire et constitue même un non-sens écologique. « Les dernières données recensées sur la base Cochrane laissent penser que la vapoteuse classique avec nicotine pourrait tout de même faciliter le sevrage tabagique », reconnaît Daniel Thomas. Avec un bémol : « Parmi les personnes qui réussissent à arrêter de fumer grâce à la cigarette électronique, plus de 90 % restent vapoteurs à un an. Or, l’objectif final est bien de se sevrer de tout apport de nicotine. »
Cette ambiguïté peut expliquer pourquoi la Haute Autorité de santé estime que « la cigarette électronique n’est pas recommandée à ce jour comme outil d’aide à l’arrêt du tabac […]. Mais son utilisation temporaire par le fumeur qui souhaite arrêter de fumer ne doit pas être déconseillée. » « Elle peut être une étape dans le sevrage tabagique, à condition déjà de devenir exclusivement vapoteur », conseille Yves Martinet. Après cette étape de vapotage exclusif, une démarche devra être engagée afin de sortir intégralement de la dépendance à la nicotine, avec éventuellement l’aide de substituts nicotiniques pharmaceutiques.