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Préservatif Je t’aime moi non plus

Publié le 27 novembre 2010
Par Nathalie Da Cruz
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Après plus de vingt ans de campagnes en faveur de l’utilisation du préservatif, force est de constater que les ventes stagnent, que les pratiques sexuelles à risque regagnent du terrain et que les Français restent les utilisateurs les moins assidus d’Europe. La Journée mondiale de lutte contre le sida, qui aura lieu comme chaque année le 1er décembre, peut être l’occasion d’en finir avec cette exception française.

Dans Lumière du jour, un livre d’entretien à paraître le 3 décembre prochain en France, le pape Benoît XVI admet qu’utiliser un préservatif peut être utile pour réduire le risque de contamination du sida. Une prise de conscience que beaucoup attendaient depuis des années de la part d’un pape. Joseph Ratzinger ne semble pourtant pas revenir sur les propos qu’il avait tenus en mars 2009 lors d’un voyage en Afrique, où il avait soutenu que les campagnes de lutte contre le sida exclusivement fondées sur le port du préservatif aggravaient le problème. Et, toujours dans son ouvrage, il exprime clairement l’opposition de l’Eglise à la contraception artificielle.

La publicité pour les préservatifs autorisée seulement en 1987

Il reste encore du chemin à parcourir, mais les propos du pape représentent une avancée supplémentaire dans la banalisation du préservatif. Car il n’est pas loin le temps où le tabou régnait en maître. « C’était avant les années sida, au début des années 1980. Un patient entre dans l’officine et demande d’un air faussement détaché une boîte d’aspirine, puis glisse un petit papier discrètement sur le comptoir. En fait, c’est une boîte de préservatifs qu’il voulait acheter », témoigne Jacques Simonin, titulaire à Besançon. Le revirement se fera à partir de 1987, année où la publicité pour les préservatifs est autorisée sous certaines conditions, et où ces derniers, jusque-là relégués dans les tiroirs des officines, vont s’exhiber dans les rayons.

Plus de vingt après, la plupart des pharmacies sont équipées de distributeurs accessibles jour et nuit, et des préservatifs sont en vente en grande surface, chez les buralistes, dans les stations-service. Une cinquantaine de marques sont à la disposition des consommateurs, qui ont accès à une palette de prix très large. En dépit de cette grande accessibilité du préservatif, les chiffres de vente stagnent. Certes, « l’utilisation du préservatif a fluctué légèrement au tournant des années 1990 et paraît stable, ce qui est corroboré par une croissance faible mais continue des ventes dans le commerce », précise un rapport sur les risques sexuels édité fin 2009 par Gilles Pialoux et France Lert (1). Mais cette croissance frise les 1 % par an. Et la France reste le mauvais élève de l’Europe : environ 100 millions de préservatifs sont vendus chaque année, contre 180 millions en Grande-Bretagne ou 210 en Italie, à population presque équivalente… Pendant ce temps, le VIH contamine 7 000 nouvelles personnes par an ; et, depuis plusieurs années, l’Institut national de veille sanitaire pointe du doigt une résurgence de la syphilis et une augmentation des gonococcies.

Les trithérapies et le « tout-pilule » sont devenus des freins

Plus inquiétant : les experts observent un recul de l’utilisation du préservatif chez les homosexuels et les femmes de plus de 35 ans (lire ci-contre). La raison ? « L’idée selon laquelle le sida a déjà son traitement définitif [qui] est fausse et [qui] contribue à faire baisser la vigilance de la population », regrettait Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, l’année dernière en lançant son opération de préservatifs à bas coût dans les universités. Les trithérapies sont en quelque sorte victimes de leur succès. « Il y a un discours ambiant dans le milieu séropositif ; quand le traitement est pris à la lettre, le taux de virémie est quasi imperceptible, et le risque de transmission diminue de 80 à 92 % », confirme Antonio Ugidos, directeur du CRIPS Ile-de-France(2).

La pilule est également devenue un frein à un usage plus fréquent du préservatif. Dans la population hétérosexuelle féminine, force est de constater qu’elle domine toujours largement le marché, et c’est là une spécificité culturelle française. Près de 60 % des femmes sous contraception recourent à la pilule – un record ! –, encouragées par les gynécologues, lesquels sont particulièrement portés sur la contraception hormonale.

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On peut encore faire des progrès sur les prix

Le remboursement ne fait que renforcer cette tendance. Et face à la gratuité, le préservatif ne fait pas vraiment le poids… Or le prix peut être un obstacle à la prise d’une contraception, comme le martèle le Planning familial, et la gratuité ou un prix plancher, notamment pour les jeunes, est indispensable.

C’est aussi le point de vue de Jean Lamarche, pharmacien et président de l’association Croix verte et Ruban rouge, qui mène depuis plusieurs années, avec ses adhérents, des opérations de ventes de préservatifs à 20 centimes l’unité. Pour cela, l’association a noué un partenariat avec l’animateur Christophe Dechavanne, auteur du fameux slogan « Sortez couverts », et le fabricant Polidis. La dernière campagne « Sortez couverts » remonte à l’été 2009. Le groupement de pharmacies PHR a rejoint le mouvement. « Au total, depuis juillet 2009, l’opération a permis une augmentation de 7 % des ventes de préservatifs dans les pharmacies, dont la moitié concerne les produits à bas prix et l’autre moitié le reste du marché », se félicite Patrick Pisa, cogérant de Polidis.

L’opération est censée être pérenne. Mais, aujourd’hui, un peu plus d’un tiers des officines disposent sur leur comptoir ou en rayon de préservatifs à 20 centimes, selon Jean Lamarche : « C’est insuffisant. Les pharmacies ne jouent pas assez le jeu, et les grossistes non plus, qui ne sont pas toujours achalandés quand on les sollicite ». Autre mesure en faveur de l’accessibilité pour les jeunes : durant les années 2006 et 2007, 2 500 distributeurs ont été installés dans des lycées. Mais la mise en place de 600 à 1 000 distributeurs dans les universités, comme annoncé en novembre 2009 par Valérie Pécresse, est encore au point mort… « Les installations sont en cours », indique-t-on au ministère. En bref, le préservatif à bas prix n’est pas diffusé de manière optimale.

Des fabricants qui rivalisent d’inventivité

Au-delà du prix, en France plus encore qu’ailleurs, le préservatif souffre de préjugés et d’une mauvaise image, celle d’un produit « tue l’amour » car peu confortable, en caoutchouc, diminuant le plaisir. Emmanuel Bidault, responsable du marketing de Durex, le reconnaît : « Pour le consommateur, le préservatif reste une contrainte. Notre enjeu est de la faire oublier. » C’est pourquoi les fabricants rivalisent d’inventivité : préservatifs hyperlubrifiés, parfumés, décorés de microperles, aptes à retarder l’éjaculation… « Aujourd’hui, les préservatifs sont très fins : nous allons jusqu’à 45 microns d’épaisseur, avance pour sa part Jean-Marc Bloch, responsable de la communication chez Manix. Nous avons sorti cette année Skyn, en Sensoprène, qui confère une sensation de “peau contre peau”. »

Désormais, les préservatifs se vendent aussi sur la Toile, via des sites spécialisés comme www.condozone.fr ou encore www.leroidelacapote.com, fondé en 2005 par Marc Pointel. Ce dernier commercialise plus de 250 types de préservatifs, allant de 15 centimes à 1 euro l’unité, y compris des modèles sur mesure ! Cette riche variété ne se retrouve pas dans les grandes surfaces, qui ne proposent souvent qu’une ou deux marques, et rarement dans les pharmacies, qui commercialisent un tiers des préservatifs en France. Si Marc Pointel a fondé son site, c’est pour répondre aux besoins de consommateurs parfois désappointés par les stocks peu fournis des officines : « On ne trouve souvent qu’une seule marque », regrette-t-il.

« Les pharmacies sont en train de perdre le marché »

Pour les fabricants, les rayons auraient intérêt à être valorisés. « Nombre de pharmaciens considèrent que c’est un produit qui se vend tout seul, or c’est loin d’être le cas », estime Jean-Marc Bloch. « Les pharmacies sont en train de perdre le marché, diagnostique sombrement Jean Lamarche. Or l’achat en grande surface n’est pas idéal : absence de conseil, pénurie de marques… » En effet, les conseils de la part des officinaux peuvent être utiles, même s’ils ne sont pas toujours faciles à prodiguer, l’achat d’un dispositif qui évoque la sexualité occasionnant toujours une gêne… « Nos études qualitatives le montrent, précise Emmanuel Bidault. Les consommateurs sont encore mal à l’aise à l’idée d’acheter des préservatifs ou de montrer qu’ils en ont sur eux. » Titulaire à Briare, une petite ville de 6 000 habitants dans le Loiret, Lionel Rousseau admet qu’il existe encore un tabou. Pour preuve : « Depuis que j’ai posé un distributeur à l’extérieur, je vends davantage de préservatifs. » A Besançon, Jacques Simonin admet que les consommateurs achètent souvent leur boîte à la sauvette, sans poser de questions. C’est aux pharmaciens de contourner cette gêne, selon Jean Lamarche : « Quand un client veut acheter des préservatifs, je lui montre le rayon, je lui donne une brochure du Cespharm et je l’incite à me poser des questions. Et, en général, les langues se délient. »

Il faut dédramatiser l’usage du préservatif

Mais les pharmaciens à eux seuls sont loin de pouvoir inverser la tendance. C’est tout un travail de légitimité qu’il faut bâtir pour venir à bout des réticences françaises, pour que le préservatif soit un objet mieux accepté et plus courant, « comme en Italie, où les distributeurs sont plus nombreux, ou au Brésil, où l’Etat en distribue par milliers dans les favelas », raconte Marc Pointel. Certes, les acteurs de la prévention s’y emploient depuis des années : « Nous diffusons gratuitement 500 000 préservatifs par an, raconte Antonio Ugidos, du CRIPS d’Ile-de-France. Il faut continuer les distributions, permettre à chacun de manier les préservatifs, de jouer avec, afin de dédramatiser l’objet et de le rendre anodin. » Pour Jean-Marc Bloch, de Manix, le salut pourrait venir d’un engagement franc de l’Etat dans des actions d’éducation au préservatif et de renoncement au règne du « tout-pilule ». « Il faut cesser de communiquer uniquement autour du sida et des infections sexuellement transmissibles », commente pour sa part Martial Laffin, de la société Protex. Et permettre au préservatif de conquérir son statut d’outil contraceptif à part entière.

(1) « Prévention et réduction dans les groupes à haut risque vis-à-vis du VIH et des IST », Pr Gilles Pialoux et France Lert, novembre 2009.

(2) Centre régional de ressources, d’information et de prévention sur le VIH/sida et les IST.

Les ventes en France

→ Près de 109 millions de préservatifs masculins ont été vendus en France en 2008, selon le rapport Pialoux-Lert sur la « Réduction des risques sexuels ».

Les ventes ont fait un bond de 2005 à 2006, passant de 93 à 109 millions. Depuis, elles stagnent et restent toujours bien inférieures aux chiffres enregistrés dans d’autres pays d’Europe. En 2005, 140 millions de préservatifs ont été vendus en Espagne, 180 millions en Grande-Bretagne, 210 millions en Allemagne et 240 millions en Italie (source AC Nielsen).

→ Les réseaux de distribution

Environ 60 % des préservatifs sont vendus en grande et moyenne surface, 30 % en pharmacie, 1 % en parapharmacie et 5 % sur Internet.

→ Les moyens de contraception

En 2005, près de 60 % des femmes utilisant une contraception recouraient à la pilule, 22 % au stérilet et 21 % au préservatif masculin, selon le baromètre santé de l’INPES.

→ L’efficacité du préservatif est estimée à 97 % s’il est correctement utilisé (contre 99 % pour la pilule). Le taux d’échec peut s’élever à 14 % en cas de mauvaise pose ou d’utilisation peu soigneuse (avec un lubrifiant gras et inadapté). Le taux d’accident (rupture ou glissement) déclaré par les utilisateurs est estimé entre 10 et 20 %. La norme CE est obligatoire ; la norme NF est facultative.

→ En France, en 2005, 130 000 personnes vivaient avec le VIH, selon l’Institut national de veille sanitaire. En 2008, 6940 nouveaux cas annuels ont été recensés, dont la moitié concerne des homosexuels.

Un produit comme les autres

L’image a fait le tour du monde. En 1993, l’association de lutte contre le sida Act Up a recouvert l’obélisque de la Concorde, à Paris, d’un immense préservatif afin de le promouvoir et de valoriser et banaliser son image. Car c’est là un des enjeux majeurs des campagnes de communication, autorisées depuis 1987. L’INPES, qui représente le ministère de la Santé, mène en moyenne deux campagnes par an (radio, télévision, affichage, Internet…), pendant l’été et au moment de la Journée internationale de lutte contre le sida. « Notre premier axe de prévention a été une “approche produit” pour réhabiliter le préservatif, jusque-là perçu comme ringard », rappelle Nathalie Lydié, chargée de recherche à l’INPES (lire également page 31). Le but était de faire figurer le mot « préservatif » sur les listes de courses, entre le beurre et les pâtes, grâce à des slogans comme « Le préservatif préserve de tout sauf de l’amour » ou « Et si le préservatif était un produit comme les autres ? ».

Autres axes suivis par l’INPES : agir sur la perception du risque et désamorcer les prétextes à ne pas l’utiliser, avec notamment un film sur la chaîne de contamination tourné avec Vanessa Paradis. A partir de 2007, face à la dangereuse banalisation du sida, l’INPES placarde des affiches rappelant sobrement, sur fond noir, « Le VIH est toujours là ». Les campagnes les plus récentes ont pour objectif de cerner les situations à risque : premier rapport, nouveau partenaire, multipartenaires… En dehors de ces événements destinés à tous les publics, l’INPES mène des actions ciblées envers les homosexuels, les migrants d’Afrique subsaharienne ainsi que les jeunes, en travaillant notamment avec les associations et les lieux fréquentés par ces derniers, qui recourent trop peu au préservatif.