Prendre en charge la sécheresse oculaire au comptoir

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Prendre en charge la sécheresse oculaire au comptoir

Publié le 8 février 2025
Par Nathalie Belin
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Légère ou marquée, l’apparition d’une sécheresse oculaire tend à récidiver et à devenir chronique. Connaître les facteurs la favorisant et expliquer les modalités d’usage des substituts lacrymaux en optimisent la prise en charge.

Quelle est l’origine des troubles ?

Toute perturbation du film lacrymal, fine couche de larmes qui recouvre l’œil en permanence, peut entraîner des signes de sécheresse oculaire, appelée également syndrome sec. Protégeant et lubrifiant la cornée grâce aux clignements des yeux qui l’étalent en permanence à sa surface, cette pellicule se compose de trois couches étroitement intriquées et toutes nécessaires (voir schéma).

En cas d’anomalie de l’un de ces composants, le film lacrymal se rompt, exposant à l’air des zones de la surface oculaire, ce qui entraîne des symptômes tels que rougeur, brûlures, picotements, sensations de corps étranger voire photophobie, troubles visuels. Un larmoiement paradoxal est possible.

La couche la plus profonde, composée de mucines (glycoprotéines formant un mucus), permet l’adhérence du film aux cellules épithéliales de la cornée. La couche aqueuse, la plus épaisse, renferme des électrolytes, des immunoglobulines et les éléments nécessaires au fonctionnement des cellules de la cornée (protéines, oxygène, etc.). La couche lipidique, synthétisée par les glandes de Meibomius situées à la base des cils, limite l’évaporation des larmes.

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Quelles sont les personnes à risque ?

La production du film lacrymal est notamment sous contrôle nerveux et hormonal. Ce dernier implique surtout les androgènes, qui favorisent en particulier la synthèse des lipides par les glandes de Meibomius. Ainsi, la sécheresse oculaire est plus fréquente chez les femmes et augmente avec l’âge (et la diminution des hormones sexuelles) : les femmes ménopausées sont davantage concernées.

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Parmi les autres causes de syndrome sec, on distingue classiquement celles qui induisent une hyposécrétion des larmes et celles qui favorisent une instabilité du film lacrymal, les deux phénomènes pouvant être intriqués :

– une hyposécrétion des larmes peut être liée à une maladie auto-immune (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux systémique, fibromyalgie, syndrome de Gougerot-Sjögren, par exemple), à un diabète (la neuropathie diabétique pourrait être en cause), à une infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), à une dysthyroïdie. Une origine iatrogène est également possible, notamment sont en cause les médicaments à effet atropinique de type antidépresseurs anticholinergiques, antihistaminiques, mais aussi les β-bloquants, les anxiolytiques, l’isotrétinoïne, les antiandrogéniques, certains anticancéreux (anti-EGFR, inhibiteurs de tyrosine-kinase BCR-ABL, etc.) ;

– l’instabilité du film lacrymal est fréquemment associée à un dysfonctionnement des glandes de Meibomius, avec pour conséquence un déficit de lipides (comme une blépharite, une rosacée ou une dermite séborrhéique), ou peut avoir pour origine une conjonctivite allergique, qui déstabilise la couche mucinique. Le port de lentilles de contact, certaines chirurgies de l’œil (de la cataracte, entre autres) altèrent, par divers mécanismes, le film lacrymal.

Quels sont les facteurs déclenchants ou aggravants ?

Les conservateurs des collyres, en particulier le chlorure de benzalkonium, endommagent les couches de lipides et de mucus et génèrent une inflammation qui entraîne, entretient ou aggrave la sécheresse oculaire. Cela explique la fréquence de ce trouble chez les personnes traitées pour un glaucome à angle ouvert notamment, qui utilisent quotidiennement des collyres..

Le travail sur écran (qui diminue le clignement de l’œil et la répartition du film lacrymal), un air sec (climatisation, chauffage), le vent, la poussière, les polluants et la fumée du tabac favorisent une sécheresse oculaire ou en exacerbent les symptômes.

Quelle est l’évolution ?

Bien que les symptômes puissent être transitoires au départ et survenir en fonction de facteurs déclenchants, la sécheresse oculaire tend à devenir chronique car elle induit une inflammation locale qui elle-même entretient l’altération du film lacrymal. Une fois le cercle vicieux enclenché, la sécheresse « s’autonomise ». Les formes sévères peuvent être associées à des lésions cornéennes (kératites ou kératoconjonctivites).

Quelle est la prise en charge ?

Les substituts lacrymaux constituent le traitement de première intention. Ils diffèrent notamment par leur viscosité qui influe leur rémanence (capacité à se « maintenir » à la surface de l’œil) et donc leur aptitude à soulager plus ou moins durablement les symptômes.

Les plus fluides produisent globalement l’action la plus brève mais ont l’avantage de ne pas induire de flou visuel à l’application. Les carbomères et l’acide hyaluronique offrent les meilleures rémanences. Selon leur concentration, les formules sont plus ou moins visqueuses : celles sous la forme de gel peuvent provoquer un flou transitoire, en particulier pour les carbomères. Certaines formules intègrent d’autres composants, qui agissent, par exemple, sur l’osmolarité (tréhalose, lévocarnitine, etc.), ou des lipides, palliant la couche défaillante et donc potentiellement intéressant en cas de pathologies des glandes de Meibomius.

Tous peuvent être obtenus sans ordonnance et de nombreuses formes « conseil » permettent d’adapter au mieux la prise en charge en attendant une consultation médicale.

Comment bien conseiller les substituts lacrymaux ?

Conseillés par le pharmacien ou prescrits, ils sont souvent mal utilisés par les patients.

Viscosité. En théorie, les formules fluides peuvent suffire en cas de gêne légère et les plus visqueuses sont préférables si les symptômes sont plus marqués. En pratique néanmoins, combiner deux formules de viscosités différentes que le patient peut adapter à ses activités (fluide avant de lire, travailler sur un écran ; plus visqueuse pour les situations ne nécessitant pas une acuité visuelle) ou son ressenti est recommandé. La tolérance et le soulagement varient parfois beaucoup d’un substitut lacrymal à l’autre, les patients doivent donc parfois en essayer plusieurs avant de trouver celui qui convient.

Galénique. Il convient d’opter pour des formules sans conservateurs (chlorure de benzalkonium, par exemple) : unidoses ou flacons munis d’un filtre (dispositifs Abak, Multi, Comod, etc.). Les formes sprays, qui combinent acide hyaluronique et lipides et sont dépourvues de conservateurs, s’utilisent sur paupières fermées (un peu de solution diffuse dans l’œil) et/ou ouvertes (exemples : sprays Innoxa, Aqualarm, Zaspray). L’application s’effectue sans toucher le visage ni l’œil, donc ne nécessite pas de laver les mains au préalable. Pratiques d’emploi, elles sont aussi appréciées des personnes qui ont du mal à mettre des gouttes dans l’œil.

Applications. Elle se fait à la demande en anticipant les situations à risque (travail sur écran, randonnée au grand air, etc.). Une instillation le soir au coucher et le matin au lever devrait être systématique car la sécheresse oculaire s’intensifie la nuit. Rappeler que l’œil ne peut « absorber » plus de 1 ou 2 gouttes de collyre à la fois et qu’un délai de 5 minutes – suffisant mais nécessaire ! – doit être respecté si d’autres collyres sont prescrits (par exemple, pour le glaucome), en terminant par le plus visqueux.

Sources : « Surface oculaire », rapport de la Société française d’ophtalmologie, 2015 ; « Sécheresses oculaires d’origine médicamenteuse », Prescrire, 2020 ; « Troubles chroniques de la surface oculaire », La Revue du praticien, 2021.

Recommandations complémentaires

  • Recommander un bilan ophtalmique lorsque les premiers symptômes apparaissent, a fortiori vers 40-50 ans et une consultation en urgence si la gêne s’aggrave ou en cas de douleur ou d’intolérance à la lumière, signes faisant suspecter une kératite.
  • Limiter l’exposition aux facteurs aggravants. En extérieur, porter des lunettes pour protéger les yeux du vent, des poussières et du soleil. En cas de travail sur ordinateur, prévoir un éclairage correct, une position basse de l’écran, cligner régulièrement des yeux et faire des pauses toutes les heures.
  • Une alimentation riche en acides gras oméga 3 semble réduire l’incidence de la sécheresse oculaire. Selon plusieurs études cliniques dont les résultats restent à confirmer, les oméga 3 contribuent à soulager légèrement les symptômes. Des compléments alimentaires à visée oculaire en renferment : ils peuvent être recommandés aux personnes qui consomment peu de poissons gras.
  • En cas d’utilisation de lentilles de contact, il est impératif d’en respecter la durée de port et les recommandations d’entretien. Un avis ophtalmologique rapide est nécessaire si les substituts lacrymaux ne suffisent pas à pallier rapidement l’inconfort car le port de lentilles majore le risque de complications infectieuses.
  • En cas de blépharite, les soins réguliers des paupières, avec une application de chaud et des massages doux pour liquéfier les lipides qui « bouchent » les glandes de Meibomius, préviennent la sécheresse oculaire.