Le changement climatique, menace sanitaire à visage multiple

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Le changement climatique, menace sanitaire à visage multiple

Publié le 15 février 2025
Par Romain Loury
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« La plus grande menace sanitaire du XXIe siècle » : c’est ainsi qu’en 2009, dans la revue The Lancet, des chercheurs britanniques qualifiaient le changement climatique. Seize ans plus tard, ses symptômes sont désormais bien visibles.

En matière climatique, les records ne cessent de s’enchaîner : comme 2023 avant elle, l’année 2024 devrait être la plus chaude observée depuis le début des relevés météorologiques, estimait début octobre Copernicus, programme européen d’observation de la Terre. Pour la première fois, le réchauffement a dépassé le seuil de + 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900). Or l’accord de Paris, issu de la COP21 de 2015, se fixait comme objectif de ne pas dépasser un réchauffement supérieur à + 2 °C au cours du siècle, et de préférence de + 1,5 °C.

Qu’ils soient directs ou indirects, les liens entre climat et santé sont pléthore. Parmi les plus évidents figure l’impact des vagues de chaleur qui, « au cours des dernières décennies, ont augmenté en fréquence, en durée, en intensité », rappelle la Dre Marine Sarfati, assistante hospitalo-universitaire en santé publique aux Hospices civils de Lyon (Rhône) et créatrice du module « Médecine et santé environnementale », intégré aux études de médecine depuis la rentrée 2023*. Au-delà des conséquences cardiovasculaires et pulmonaires, particulièrement à craindre chez les personnes âgées, et celles  atteintes de maladies chroniques, les canicules ont des répercussions, souvent ignorées, sur la santé mentale. « Des études ont montré que, pendant les vagues de chaleur, le nombre de suicides augmente, car elles favorisent l’anxiété et la dépression », rappelle Marine Sarfati.

Autre effet direct du changement climatique, une fréquence et une intensité accrues d’événements extrêmes, tels qu’inondations, ouragans, cyclones et incendies. En octobre, les pluies torrentielles qui ont balayé la région de Valence, en Espagne, ont causé près de 240 morts. À Mayotte, en outre-mer, le bilan du cyclone Chido, à ce jour encore indéterminé, pourrait se compter en centaines, voire en milliers, de victimes.

Une hausse des maladies vectorielles

Les maladies infectieuses, notamment celles d’origine vectorielle, devraient aussi connaître un regain au cours des prochaines décennies. En la matière, le processus semble déjà à l’œuvre : détecté pour la première fois à Menton (Alpes-Maritimes) en 2004, le moustique-tigre (Aedes albopictus) est désormais implanté dans 78 départements métropolitains. Et si l’arrivée en France de ce diptère asiatique découle, comme pour toute espèce invasive, de la mondialisation des échanges, son ancrage dans l’Hexagone semble bien le fait du changement climatique, présenté en 2009 comme « La plus grande menace sanitaire du XXIe siècle » par la revue scientifique médicale The Lancet.

« La hausse des températures va accélérer le cycle de vie des moustiques, qui vont ainsi se reproduire plus rapidement, tout en prolongeant leur saison d’activité », explique Marine Sarfati. Parmi les arboviroses véhiculées par le moustique-tigre, l’infection à Zika, la fièvre jaune, la fièvre de West Nile, le chikungunya et, surtout, la dengue. Depuis les deux premiers cas autochtones de dengue survenus à Nice (Alpes-Maritimes) en 2010, le bilan annuel ne cesse d’augmenter, avec 83 cas recensés en France métropolitaine en 2024.

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Au-delà des moustiques, les tiques, dont plusieurs espèces sont vectrices de Borrelia burgdorferi, agent de la maladie de Lyme, pourraient aussi bénéficier de l’élévation des températures. Celle-ci semble aussi en cause dans l’apparition en France de nouveaux insectes vecteurs et agents pathogènes. Récemment installée en Occitanie, la tique Hyalomma marginatum, originaire d’Afrique, est probablement arrivée dans l’Hexagone à dos d’oiseau migrateur. Or elle est vectrice du virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, à l’origine de six décès en Espagne depuis 2016. En octobre 2023, le virus a pour la première fois été détecté sur le sol français, chez des tiques H. marginatum ayant trouvé refuge dans les Pyrénées-Orientales.

Les racines climatiques de l’influenza aviaire

Dans un avis publié en avril 2024 relatif aux situations sanitaires exceptionnelles, le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) estime que la dengue et l’infection à virus de West Nile constituent un risque « majeur » pour les cinq années à venir. En termes de niveau de risque, elles font jeu égal avec les infections respiratoires pandémiques, dont celles liées à des coronavirus et à l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP).

Selon Brigitte Autran, présidente du Covars, « l’augmentation des températures influe directement sur les parcours de migration des oiseaux, donc sur leurs zones de nidification. Depuis le début de la décennie, on observe de très importantes épidémies dans les élevages de volailles, dans les colonies de mammifères marins (notamment des Amériques), et aux États-Unis les vaches laitières sont touchées à leur tour. Quant à la santé humaine, le niveau d’alerte reste faible car il n’y a pas encore eu de transmission interhumaine. Mais ce risque majeur peut survenir de manière imprévisible ».

Des toxi-infections alimentaires pourraient également émerger à la suite des inondations, en raison des débordements des bassins d’épuration des eaux usées, ce qui augmenterait en outre le risque d’antibiorésistance. Toujours dans le domaine infectieux, les migrations pour raisons climatiques, en particulier du fait de pénuries alimentaires provoquées par le réchauffement, sont susceptibles de diffuser de nouvelles maladies d’un territoire à l’autre.

Le boom des allergies au pollen

Les populations ne sont pas près de souffler. « La prévalence des pathologies allergiques respiratoires, comme les rhinites saisonnières et l’asthme, a pratiquement doublé ces 20 dernières années dans les pays industrialisés »,observait déjà l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans un rapport publié en 2014. En cause, l’allongement de la saison de pollinisation, mais aussi une production plus massive de pollen. La pollution de l’air n’arrange rien, explique Charlotte Lepitre, responsable du plaidoyer d’Atmo France, qui fédère les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa, dont Airparif en Île-de-France) : « Les polluants de l’air fragilisent le grain de pollen, qui libère davantage de molécules allergisantes, d’où des symptômes encore plus importants. D’autre part, la pollution atmosphérique et les pollens agissent tous deux sur les voies respiratoires : les polluants les fragilisent, et les rendent ainsi plus susceptibles aux pollens. »

Face à la multitude d’effets sanitaires du changement climatique, les autorités tentent de se donner les moyens d’agir. Actuellement en consultation, le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) consacre un volet important à la santé. Pourtant, l’état du système de santé français constitue une « vulnérabilité », estime le Covars. « Dans les cinq prochaines années, la situation du système de santé, notamment en raison de la pénurie de soignants, pourrait plonger la France dans de grandes difficultés face à des risques exceptionnels majeurs, constate Brigitte Autran. Le sujet est désormais pris en compte d’un point de vue intellectuel, très peu dans la pratique. Les agences régionales de santé sont conscientes des enjeux, mais les moyens, en matière de préparation ou de mise en œuvre, n’y sont pas. Nous ne pouvons plus nous contenter de : “On va se préparer contre la grippe, la dengue… ou le virus de West Nile”. Il faut adopter une vision globale. Or, cette notion est très peu enseignée dans les facultés ou les formations postuniversitaires. »

Si le changement climatique constitue une menace de premier plan, « il n’est qu’un symptôme d’un problème plus global : celui de l’Anthropocène, une ère durant laquelle l’homme devient une force géologique à part entière », rappelle Marine Sarfati. Un tsunami environnemental qui, au-delà du climat, englobe la production de déchets, les pollutions (chimique, sonore, lumineuse, etc.), l’agriculture intensive, la perte de biodiversité, la déforestation… Autant de facteurs dont les liens avec la santé sont eux aussi bien établis. « Il ne faut pas tomber dans le piège du “carbonocentrisme” : au-delà du climat, c’est l’attitude extractiviste de l’homme qui pose problème. Il est temps d’adopter des approches circulaires et durables ! »

* Ouvert à tous, ce module est disponible à ce lien sur www.uness.fr.

À retenir

  • Lié aux activités humaines, le changement climatique constitue une menace de premier ordre pour la santé publique mondiale.
  • Parmi les signes déjà visibles du réchauffement : les catastrophes naturelles, les vagues de chaleur, de nouvelles maladies vectorielles, les allergies respiratoires, etc.
  • Malgré la prise de conscience, les systèmes de santé semblent, à l’image de nos sociétés, encore mal préparés à affronter la menace climatique.