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L’association intergénérationnelle porte ses fruits

Publié le 1 mai 2019
Par Francois Pouzaud
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Pour préserver la fluidité des transmissions, la profession a construit un nouveau modèle associatif intergénérationnel, mixant jeunes et anciens titulaires. Voici les Secrets d’une alchimie réussie.

Qu’elle soit entre associés de même génération ou intergénérationnelle, une association reste toujours une association. Dans tous les cas, une bonne association repose sur certains fondamentaux : une complémentarité entre les associés, une volonté de partager le pouvoir, une collégialité dans la prise de décisions, une association non subie, sans problème d’égos ni de relation dominant/dominé, un réel esprit de partenariat dans le respect des engagements mutuels…

UNE EXPÉRIENCE riche.

Une association entre un pharmacien qui a le même âge que les enfants de son associé, apporte bien plus qu’une association classique. Elle a une saveur particulière liée à la solidarité intergénérationnelle, comme le montre ce « couple » de pharmaciens installés à Téteghem-Coudekerque-Village, dans le Nord. Malgré son âge qualifié de « senior » et après avoir tenu deux officines en solo, l’envie d’entreprendre de Chantal Billet est restée intacte. Pour sa dernière réinstallation dans cette commune proche de Dunkerque, elle a éprouvé le besoin d’être épaulée par plus jeune qu’elle. Elle a trouvé l’âme sœur auprès de Julien Sobrie, qu’elle a eu comme stagiaire dans sa pharmacie. Trente ans les séparent. « C’est ce qui donne plus d’harmonie à notre association », confesse-t-elle. Et de respect mutuel. « Nous nous vouvoyons. » En effet, la confrontation des générations permet souvent de trouver un équilibre entre le respect de ce qui a été légué ou transmis avec bienveillance (la passion et les ficelles du métier, les compétences en gestion et en management…) et le nouvel élan porté par la jeunesse. Julien Sobrie insuffle ce vent de fraîcheur réformateur. « C’est plus à mon initiative que l’on a mis en place un site doté de la fonctionnalité Scan ordonnance. J’ai également motivé mon associée à s’engager dans la vaccination… », affirme-t-il sans fausse modestie. Un dynamisme que Chantal Billet, son aînée, ne cherche pas à tempérer par son expérience. « J’ai toujours eu envie d’avancer et cette association rend les évolutions plus faciles. » A côté de cela, elle se refuse à toute action d’ingérence dans le travail de son jeune associé. « J’ai fait très attention dès le départ à lui laisser son espace de liberté, de décision et de responsabilité et fait preuve de bienveillance pour qu’il trouve rapidement sa place, en particulier par rapport à l’équipe officinale (8 salariés). » La différence d’âge a d’autres avantages. « Je n’ai plus d’enfants à charge, Julien en a. Nous faisons le même nombre d’heures mais pour ma part, j’aspire à arriver plus tard à la pharmacie (vers 10 h 30-11 h), alors que Julien quitte la pharmacie vers 18 h en raison de ses obligations de jeune père de famille ». De la même façon, la fixation des prises de congés ne sera jamais une source de contentieux entre eux. Dans quelques années, Julien Sobrie rachètera les parts de son associée, sans être étreint par le désagréable sentiment de racheter le fruit de son travail, alors que la société aura pris de la valeur. « Le seul inconvénient que l’on pourrait trouver à ce type d’association tiendrait au manque d’investissement de l’associé qui, arrivant en fin de carrière, déciderait de lever le pied », conclut-il.

UNE ALLIANCE stratégique.

L’association intergénérationnelle la plus emblématique est, sans aucun doute, celle où le jeune exploite et son aîné, l’investisseur, investit. Très souvent, le jeune à installer a été l’adjoint de l’investisseur. Cette formule présente de nombreux avantages. Pour l’investisseur, c’est une façon de remercier un adjoint de qualité et son implication en tant que collaborateur. Quand les associés ne se connaissent pas, l’investisseur peut être intéressé par un adjoint dont le projet de reprise repose sur un partenaire financier de la pharmacie où il travaille. En effet, connaissant l’officine de l’intérieur, son environnement, sa patientèle, l’adjoint possède une solide appréciation de l’outil et de son potentiel. « C’est un élément à prendre en compte par l’investisseur, souligne Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA. De plus, cette continuité dans la transmission générationnelle de l’entreprise peut rassurer les clients, les collaborateurs, les fournisseurs et les banquiers. »

UN DÉFI à relever.

Le jeune exploitant recherchant une association en SEL doit s’assurer que son partenaire « senior » a des intentions louables. « Si sa motivation est uniquement financière, les chances de succès d’une association idyllique sont faibles », souligne, par expérience, cet expertcomptable. En l’occurrence, l’associé exploitant aura rapidement le sentiment de travailler à la constitution d’un capital pour un associé qui ne l’aide pas beaucoup et qui, en plus, capte l’essentiel de la richesse produite. « Il convient évidemment de formaliser les règles, qui récompenseront honnêtement les associés en fonction de la contribution effective et évolutive de chacun », conseille-t-il. Si, en principe, l’investisseur n’a pas à intervenir dans la gestion de l’officine dont il n’est pas le titulaire, dans la réalité, les choses ne sont pas aussi claires et tranchées. « La pratique des affaires révèle d’autres usages dont il faut tenir compte et qui, précisément, peuvent être envisagés dans le pacte d’associés », indique Annie Cohen-Wacrenier, avocate au cabinet ACW Conseil. Mais le juridique ne peut pas tout envisager et tout régler ! Les bonnes relations entre associés sont essentiellement en fonction des qualités humaines que chacun mettra en œuvre dans le cadre de cette collaboration.

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De l’association intergénérationnelle

L’association intergénérationnelle doit être envisagée sous deux formes :

• La véritable association de deux pharmaciens (voire plus) pour exploiter ensemble une officine importante et concourir, sur un pied d’égalité, à son développement. Les rapports entre les associés et leur mode de fonctionnement sont inscrits dans le règlement intérieur. Les modalités de sortie et de valorisation, en cas de séparation ou de rupture de l’association, seront écrites dans le cadre d’un pacte d’associés. Dans ce type d’association, “l’intuitu personae” doit prédominer. Il est primordial de partager la même vision, pour mettre en œuvre des objectifs communs au service du développement de la pharmacie. Une association de ce type permet de se répartir les rôles et d’alléger le temps de présence des titulaires. Quoi de mieux pour concilier les impératifs professionnels et le souhait de garder du temps pour soi ?

• S’associer avec un pharmacien investisseur, tout en restant le seul exploitant. Cette voie est de plus en plus usitée, mais n’est pas sans poser de réelles difficultés pratiques à terme, c’est-à-dire au moment choisi pour la sortie de « l’investisseur ». Se pose, alors, la question de la valorisation de la quote-part du pharmacien investisseur et de la capacité du pharmacien gérant à acquérir les parts du minoritaire.

Capital

Bien gérer la sortie de l’investisseur

Dans ce type de transmission intergénérationnelle, il n’y a pas de recette miracle ! Le pacte d’associés doit définir les conditions de sortie de l’investisseur. En général, la cession de ses parts se fera aux conditions de marché. « Une décote peut être légitime si, par son travail, le jeune a contribué de manière importante au développement de l’affaire et donc à la valorisation du fonds. Inversement, une surcote peut récompenser un senior qui a pris tous les risques financiers en permettant à un jeune d’acquérir une pharmacie d’un C.A supérieur à celui auquel il ne pouvait prétendre seul et qui, grâce à l’effet de taille et la participation active de l’investisseur, s’est développé », précise Annie Cohen-Wacrenier, avocate au cabinet ACW Conseil. Si, par contre, le rôle de l’investisseur se limite à un soutien financier (capitaux apportés moins importants, pas d’implication dans la gestion de l’officine, refus de se porter caution…), sa sortie se fera à prix déterminé d’avance et à date fixée. Selon Olivier Desplats, expert-comptable du cabinet Flandre Comptabilité Conseil, « qu’il s’agisse d’un investisseur ou d’un soutien financier, la valeur de rachat doit être prévue à un terme raisonnable, de cinq à six ans. »