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« Il n’y a pas de mesures d’économie sur les dépenses sociales »

Publié le 2 septembre 2011
Par Magali Clausener
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Le plan de rigueur présenté par François Fillon, Premier ministre, le 24 août suscite des polémiques. Quelles seront ses conséquences pour les Français et les pharmaciens ? Claude Le Pen donne son point de vue.

Que pensez-vous des mesures annoncées par le gouvernement ?

Claude Le Pen : C’est un message adressé aux marchés financiers. C’est le signal que le gouvernement français fait quelque chose. Nous ne sommes pas sûrs que les marchés financiers entérinent ce signal. Quant au plan, il est modéré. Nous sommes en période préélectorale, il est donc à la croisée de deux préoccupations : il faut faire quelque chose, mais sans accabler les Français. On constate aussi que de nombreuses mesures concernent des recettes supplémentaires. Il n’y a pas de mesures d’économie sur les dépenses sociales, sachant que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés fait des propositions dans son rapport pour économiser 2,2 milliards d’euros (voir encadré p. 9).

La hausse de la taxe sur les contrats de santé « solidaires et responsables » est critiquée. Les cotisations vont augmenter et certains patients risquent de renoncer à des soins.

Aujourd’hui, 90 % des contrats sont « solidaires et responsables ». Le maintien d’un dispositif dérogatoire se pose. Les coûts des contrats vont augmenter. Car, contrairement à la Sécurité sociale, les mutuelles et les assureurs ne peuvent pas être en déficit. Mais la hausse des cotisations était déjà une certitude. J’ai d’ailleurs calculé que les deux tiers des augmentations sont dus à une consommation de soins plus grande et non aux transferts de charge entre l’Assurance maladie et les complémentaires santé. L’Assurance maladie régule cette progression des dépenses de soins par le déficit. Elle n’augmente pas les cotisations. Et cela donne l’illusion que la hausse des tarifs des mutuelles n’est pas normale.

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Les mesures sur le tabac, l’alcool et les boissons sucrées, présentées comme relevant de la santé publique, ne sont-elles pas un leurre ?

De manière générale, je défends l’idée de l’utilité des prix. Leur hausse a deux effets : une baisse de la consommation, sachant que le consommateur peut sacrifier une part de son budget pour continuer à acheter ces produits, et le signalement que ces produits sont dangereux. Je défends la politique de prix élevés plus parce qu’elle est en cohérence avec le discours de santé publique que pour son effet mécanique sur la consommation.

Le contexte actuel et le projet de loi sur le médicament risquent de faire baisser les ventes de médicaments. Quel est votre avis ?

La cible du projet de loi sur le renforcement du système sanitaire du médicament, c’est l’industrie pharmaceutique. Et c’est un projet de loi modéré qui vise beaucoup plus à gérer la crise de l’opinion publique plutôt qu’à bouleverser le système. Les baisses des ventes et le ralentissement des mises sur le marché des médicaments, que les pharmaciens craignent, existaient avant l’affaire Mediator. En revanche, la suspicion envers le médicament, qui se développe, est préoccupante. Le chiffre d’affaires et les marges des officines baissent depuis plusieurs années. On vit une transformation radicale : moins de prescriptions, plus de génériques, mise en place des CAPI [contrats d’amélioration des pratiques individuelles] et, aujourd’hui, de la nouvelle convention médicale. En 2010, le marché était plat et, en 2011, il perdra environ 1 %. Si certaines mesures affectent le CA et les marges, c’est un mouvement de fond qui touche les pharmaciens. La question est de savoir quel doit être le modèle économique de l’officine. Est-ce qu’on va rester dans cette logique économique de petit commerçant ou non ? La perspective de l’abandon d’un certain modèle économique – qui risque de ne pas être viable – peut paraître difficile aux pharmaciens, mais c’est une mutation inéluctable, à la fois économique et sociologique.

Le financement de la Sécurité sociale est également remis en cause. Des questions émergent sur la contribution des plus riches. Qu’en pensez-vous ?

Depuis deux ans, on a fait beaucoup d’efforts sur les dépenses de soins, mais le déficit des recettes demeure. Pour financer la Sécurité sociale, la tendance actuelle serait d’avoir plutôt des prélèvements à taux fixe sur tous les revenus. Un point de CSG, c’est presque 10 millions d’euros. On peut aussi avoir un prélèvement proportionnel aux revenus et demander aux plus riches de contribuer plus. Il y a aussi une autre idée, celle de mieux rembourser les pauvres. Mais l’idée de mettre sous conditions de ressources les prestations sociales est complètement contraire au modèle de 1945. Et se pose une question plus philosophique : est-ce alors de la solidarité ou de l’assistance ?

Ce que le plan de rigueur pourrait changer

Contrats solidaires Une exonération partielle de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) est prévue pour les contrats d’assurance maladie dits « solidaires et responsables ». En effet, depuis la loi de finances pour 2011, ces contrats sont soumis à une imposition à la TSCA au taux de 3,5 %, au lieu de l’application du taux de droit commun de 7 %. Il est envisagé de leur appliquer à nouveau ce taux, tandis que les autres contrats seraient désormais taxés à hauteur de 9 %. (1,1 milliard d’euros d’économie).

Alcool, tabac, boissons sucrées Il est proposé d’augmenter la fiscalité sur les boissons fortes, de l’ordre de 0,90 euro par litre pour les alcools titrant 40°. Une accise spécifique sur les boissons sucrées (sans édulcorant) pourrait voir le jour, son taux étant aligné sur celui du vin. Le gouvernement envisage par ailleurs de relever le prix du tabac de 6 % dès le mois d’octobre 2011 puis de 6 %, à nouveau, en 2012 (1,1 milliard d’euros).

Pour les entreprises :

– Fin de l’exonération des charges sociales patronales sur les heures supplémentaires et complémentaires (600 millions d’euros).

– Hausse du forfait social (cotisation dans le cadre de l’épargne salariale) de 6 à 8 % (410 millions d’euros).

– Révision du barème de la taxe sur les véhicules de société (100 millions d’euros).

– Report des déficits fiscaux limité (1,5 milliard d’euros).

– Hausse des frais sur les plus-values des titres de participation (300 millions d’euros).

– Suppression de l’abattement de 30 % sur le bénéfice imposable des entreprises dans les départements d’outre-mer (100 millions d’euros).

Les économies proposées par la CNAMTS

D’autres mesures visant à faire des économies sont proposées par l’Assurance maladie dans son rapport sur les charges et produits pour l’année 2012 paru le 7 juillet. Parmi les 26 propositions, qui visent à réaliser 2,2 milliards d’euros d’économie en 2012, il s’agit notamment d’appliquer une baisse de prix substantielle sur certains génériques (dont les inhibiteurs de la pompe à protons). Pour les nouvelles molécules, la décote pourrait atteindre – 70 % par rapport au prix du princeps.