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Donner ou vendre l’officine à un enfant diplômé

Publié le 1 février 2009
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Préparer la transmission familiale de l’officine au profit de l’un de ses enfants pharmacien doit être un acte réfléchi. Il suppose de mettre en place les bonnes options le plus tôt possible.

Donner ou vendre son officine est souvent une affaire de famille. Selon l’enquête APR 2008, 23,3 % des titulaires en milieu rural ont des enfants pharmaciens et 53,8 % d’entre eux envisagent de leur transmettre l’officine. Ce souhait n’est pas toujours simple à réaliser, surtout avec plusieurs enfants dont un seul est diplômé.

Prenons l’exemple de M. et Mme Potard. L’officine est exploitée par Mme Potard depuis plus de 20 ans. A 53 ans, elle envisage d’intégrer dans l’exploitation son fils Jérôme, futur diplômé pharmacien. Son mari et sa fille ne sont pas pharmaciens. Madame Potard est bien inspirée de penser à sa succession ! En effet, préparer à l’avance la transmission de son patrimoine, c’est s’assurer qu’elle sera réalisée dans les meilleures conditions. « C’est aussi la meilleure façon d’éviter que des différends, voire des affrontements familiaux, entre ses héritiers ne surgissent pour de simples questions d’argent, explique Hugues Soler, avocat chez Fidal, spécialisé en droit patrimonial. De plus, anticiper est généralement synonyme de gain fiscal ! »

Eviter les différends

Si M. et Mme Potard n’ont rien organisé de leur vivant, en cas de décès prématuré du titulaire, la pharmacie ou les parts de la société tomberont dans une indivision entre les héritiers, généralement en usufruit pour l’époux survivant et en nue-propriété pour les enfants. Or, l’indivision est toujours une source de difficultés au regard du droit pharmaceutique et du principe de l’indivisibilité de la propriété et de l’exploitation de l’officine. « La création d’une indivision suppose de trouver très rapidement une solution de partage pour permettre à l’enfant diplômé de se faire attribuer l’officine en toute propriété », met en garde Hugues Soler. En cas de mésentente sur les valeurs et la répartition des lots, les héritiers disposent du délai de deux ans de gérance après décès pour régler la succession. « Une solution immédiate consiste à mettre en place un testament visant à attribuer l’officine à Jérôme en cas de décès de sa mère, explique l’avocat. On évite ainsi les inconvénients liés à la phase du partage. Mais attention, ce testament devra, bien entendu, gérer l’ensemble des autres biens en conformité avec les règles du droit successoral ! Le testament doit donc être conçu comme une première démarche de nature à éviter tout conflit au jour du décès. »

Proscrire la donation simple

Même si l’abattement est de 151 950 euros par enfant en 2008, les droits de succession peuvent rapidement atteindre la tranche des 20 % du barème progressif (pour la valeur comprise entre 15 191 euros et 526 760 euros). La tranche maximale est de 40 % pour la fraction excédant 1 722 100 euros. « En revanche, la donation de son vivant permet de réduire le coût fiscal par deux si le donateur est âgé de moins de 70 ans, souligne Hugues Soler. En pratique, l’impôt est dû par le donataire, mais rien n’interdit aux parents de le financer en tout ou partie. » Par ailleurs, il existe un dispositif fiscal (pacte Dutreil) qui limite, sous certaines conditions, le calcul des droits de donation à 25 % de la valeur de l’officine (entreprise individuelle ou parts de société). Ainsi, lorsque la pharmacie est exploitée en nom propre ou en EURL, la réduction d’assiette de 75 % est acquise à condition que l’entreprise ait été détenue par le donateur pendant deux ans et que le donataire prenne l’engagement de conserver l’entreprise pendant quatre ans à compter de la transmission et de poursuivre l’exploitation de l’officine pendant trois ans. De plus, cette réduction d’assiette se cumule avec l’abattement de 151 950 euros et la réduction de droits de 50 % pour les donations en pleine propriété avant l’âge de 70 ans.

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Madame Potard a le choix entre donation et donation-partage. Si elle attribue gratuitement l’officine à Jérôme et qu’il est le seul gratifié, il devra répondre de cette inégalité auprès de sa soeur. En effet, si la valeur de l’officine reçue par donation (ou donation-partage) excède, avec les autres biens qu’il est possible de donner au titre de la quotité disponible (fraction de l’héritage dont on peut disposer librement), la part dont Jérôme aurait de toute façon hérité, il devra rembourser sa soeur sous forme de soulte ou d’indemnités. « La donation simple peut vite se transformer en un cadeau empoisonné. Ce que Jérôme a reçu devra être imputé sur sa part finale. Cela suppose donc de se mettre d’accord sur la valeur de l’officine au jour du décès. Et cette valeur a pu devenir très importante ! »

Recourir à la donationpartage

« Cette donation constitue un partage anticipé de la succession, précise Hugues Soler. Si tous les enfants ont reçu un lot, ils n’auront pas à les rapporter au jour du décès. Peu importe l’évolution de la valeur des biens donnés ! » M. et Mme Potard peuvent donc profiter de cette opération pour donner à la soeur de Jérôme d’autres biens, comme des liquidités ou la nue-propriété d’un bien immobilier dont ils se réserveraient la jouissance. A défaut d’autres biens, son lot pourrait être constitué par une soulte payée par Jérôme. Dans ce schéma, il existe bien entendu des solutions permettant de financer cette soulte si Jérôme ne pouvait recourir à un emprunt (autofinancement par les revenus de l’exploitation). L’important est que chaque enfant reçoive quelque chose, même s’il est parfaitement admis que les lots ne soient pas égalitaires.

Les avantages de la cession

Une réflexion peut être menée par Mme Potard sur l’intérêt de céder son officine à Jérôme plutôt que la lui donner. Plusieurs arguments militent en faveur de cette option. Un nouveau régime de faveur a été institué par la LME du 6 août 2008 pour les cessions d’entreprises à un membre de la famille ou aux salariés. Pour la liquidation des droits d’enregistrement, en cas de cession en pleine propriété, un abattement de 300 000 euros est appliqué sur la valeur du fonds ou des parts. Cette mesure s’accompagne de l’aménagement de la réduction d’impôt au titre des intérêts des emprunts souscrits pour la reprise d’une entreprise. De son côté, le parent récupère du capital et des liquidités sur la vente de la pharmacie. Il peut ainsi se ménager une source de revenus pour son train de vie ou capitaliser une partie de ses fonds et éventuellement les retransmettre plus tard à ses enfants, y compris en exonération partielle de droits si le produit de la vente est placé sur des supports défiscalisés tels que l’assurance vie.

« A la lumière de ces mesures, le pharmacien pourra s’interroger sur le fait de vendre l’officine à un enfant plutôt que de la donner, commente Laurent Simon, notaire à Paris, membre du réseau Pharmétudes. Les critères de choix dépendront essentiellement du besoin de revenus du pharmacien, de la présence d’autres enfants non diplômés ou encore de la taille de l’officine. »

Attention au régime matrimonial !

Si M. et Mme Potard sont mariés sous un régime de communauté, il est fréquent que l’officine fasse partie de la communauté. Si M. Potard (non exploitant) décède en premier, l’officine se retrouvera probablement en indivision entre sa femme et ses deux enfants. Un véritable casse-tête pour l’épouse exploitante ! Pour éviter cette difficulté, Mme Potard a tout intérêt à adapter son régime matrimonial. Il suffit de prévoir par une clause spécifique (clause de préciput) que l’officine lui sera attribuée en toute propriété en cas de « prédécès » de son mari, excluant ainsi toute indivision successorale. Ce sera d’ailleurs l’occasion de réfléchir sur la dévolution des autres biens.

« Le changement ou l’adaptation du régime matrimonial est une opération extrêmement courante en pratique, précise Hugues Soler, avocat chez Fidal. Elle est d’autant plus facilitée que l’homologation devant le tribunal n’est plus aujourd’hui nécessaire notamment si les enfants sont majeurs. »