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Antibiorésistance : l’exemple vétérinaire a du chien
Il s’agit d’un enjeu de santé globale et mondiale. En France, l’usage des antibiotiques chez les animaux a largement diminué. Une réussite due au travail de l’ensemble des acteurs des filières animales, au changement des pratiques vétérinaires et à une réglementation contraignante. De quoi inspirer la santé humaine et lui permettre de combler son retard.
L’antibiorésistance est identifiée par l’Organisation mondiale de la santé comme l’une des menaces les plus sérieuses pour la santé publique qui impose une approche “une seule santé”, considérant l’imbrication de la santé humaine, la santé animale et celle des écosystèmes », explique sur son site internet Santé publique France. La mauvaise utilisation des antibiotiques génère en effet des résistances bactériennes qui menacent l’efficacité des traitements. Le problème n’est pas nouveau. C’est en 2002 que l’Assurance maladie lance une première campagne sur le sujet avec le fameux slogan « Les antibiotiques, c’est pas automatique ». C’est aussi au début des années 2000 que le monde de la santé animale commence à s’emparer de la question.
« L’antibiorésistance est un problème aigu en médecine humaine. En médecine vétérinaire, nous n’avons pas d’échec thérapeutique ou très peu. Cependant, les médecins ont demandé aux vétérinaires qui utilisent des antibiotiques, et donc sélectionnent de l’antibiorésistance, de faire attention à leur usage. Ce qui est finalement une bonne chose pour les deux médecines », explique Jean-Yves Madec, directeur scientifique antibiorésistance à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). « Le concept One Health [“une seule santé”, NdlR] comporte deux dimensions importantes : il y a des échanges de microbes entre l’animal et l’homme, et inversement ; ils se produisent à l’échelle mondiale. L’antibiorésistance s’inscrit dans cette approche, car les résistances passent entre les espèces et leur diffusion est mondiale », estime Christian Ducrot, chef de département adjoint santé animale à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et directeur du métaprogramme Santé et bien-être des animaux en élevage (Sanba).
Mobilisation et succès
L’ensemble des acteurs, y compris l’industrie du médicament vétérinaire, se met alors au travail, avant même le premier plan Ecoantibio 2012-2017 qui a pour objectif de réduire l’usage des antibiotiques vétérinaires de 25 %. « Nous avons travaillé avec toute la filière du médicament vétérinaire en amont du premier plan Ecoantibio, conscients qu’il fallait tous faire corps avec le secteur humain pour endiguer le problème de l’antibiorésistance et prendre notre part de responsabilité dans les actions à mener. C’était une approche “une seule santé” inédite », souligne Marie-Anne Barthelemy, secrétaire générale du Syndicat des industries du médicament et diagnostic vétérinaires (SIMV). Cette collaboration a conduit les différents opérateurs du marché à mieux se connaître, à se faire confiance et, de fait, à adhérer au plan. « Nous nous sommes ensuite vu confier le pilotage de mesures dès le premier plan Ecoantibio, celles visant notamment à promouvoir la vaccination mais aussi à développer le diagnostic, à favoriser l’innovation et à maintenir sur le marché les antibiotiques dits “anciens”, relate ainsi Marie-Anne Barthelemy. Nous avons participé aux groupes de travail dont le but était d’améliorer les pratiques d’élevage et les pratiques vétérinaires. »
Dans le même temps, la réglementation évolue, et se durcit. Le décret n° 2016-317 du 16 mars 2016 fixe les conditions de prescription vétérinaire et de délivrance des antibiotiques critiques et l’arrêté du 18 mars 2016 précise la liste des produits concernés. Ainsi, pour les vétérinaires, les céphalosporines de troisième et quatrième générations (C3G/C4G) et les fluoroquinolones ne peuvent être utilisés qu’en l’absence d’un autre médicament suffisamment efficace ou adapté pour traiter la maladie. Et avant leur prescription, un examen clinique (ou une autopsie), l’identification de la souche bactérienne et un antibiogramme doivent être obligatoirement réalisés.
Les résultats sont là. « Nous avons connu de très grands succès : les vétérinaires ont réussi à diminuer de près de 50 % l’exposition des animaux aux antibiotiques et de 80 à 90 % pour certains antibiotiques critiques pour l’homme comme les céphalosporines et les fluoroquinolones », souligne Jean-Yves Madec. « Les antibiotiques ont été davantage réduits dans les élevages monogastriques (porcs, volailles) que dans ceux de ruminants. Il est vrai que leur usage était accru dans ces élevages monogastriques. Les conditions d’élevage dans ces filières sont plus difficiles et il est plus compliqué de garder ces animaux en bonne santé. De fait, la baisse de l’usage des antibiotiques a été d’autant plus forte », ajoute Christian Ducrot.
Mieux vaut prévenir
Le deuxième plan Ecoantibio 2017-2021, prolongé jusqu’en 2022 en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, vise notamment à maintenir dans la durée la tendance à la baisse de l’exposition des animaux aux antibiotiques. « Les niveaux de résistance bactérienne aux antibiotiques sont bas, surtout ceux pour les antibiotiques critiques pour l’homme, entre 2 et 5 %. Une tranche que l’on peut qualifier d’acceptable. Nous sommes sur un plateau et l’enjeu est d’y rester », commente Jean-Yves Madec. L’un des objectifs du plan est de développer les mesures de prévention des maladies infectieuses et de faciliter le recours aux traitements alternatifs. « La prévention et le diagnostic sont des clés du succès », souligne Marie-Anne Barthelemy. « La biosécurité a été développée. Il s’agit d’éviter qu’un microbe rentre dans les élevages, détaille Jean-Yves Madec. D’autres mesures ont consisté à améliorer la vaccination des élevages ou l’alimentation des jeunes animaux lorsqu’ils passent du lait à l’herbe. C’est souvent un moment délicat durant lequel les animaux peuvent contracter des infections gastro-intestinales qui nécessitent des antibiotiques. » A l’Inrae, Christian Ducrot observe que « de plus en plus d’éleveurs et d’agriculteurs changent leurs pratiques ». Et d’ajouter : « Les enquêtes sociologiques révèlent aussi qu’il existe une demande de la grande distribution pour disposer de produits issus d’animaux ayant été moins traités avec des antibiotiques. Cette pression de l’aval incite les coopératives à avancer sur ce sujet et à conseiller les éleveurs dans ce sens. »
La réglementation européenne évolue également. Un nouveau règlement (UE) 2019/6 sur les médicaments vétérinaires doit entrer en vigueur en janvier 2022. Ce texte renforce et harmonise les dispositions sur les antimicrobiens, un périmètre plus large que les seuls antibiotiques. La prévention par un antimicrobien est réservée à des « cas exceptionnels » pour un seul animal ou un nombre restreint d’animaux avec une administration individuelle. La métaphylaxie (traitement des animaux malades et des autres individus d’un même troupeau qui pourraient être infectés) est encadrée et nécessite un diagnostic préalable des sujets malades. Le suivi des usages des antimicrobiens est prévu à l’échelle des élevages. Une disposition déjà en partie mise en place en France avec le contrôle des ventes par espèce, l’enquête d’usage et, prochainement, un suivi des délivrances. Enfin, une liste des antimicrobiens interdits chez les animaux et réservés à l’usage humain doit être publiée.
Dans ce contexte, le troisième plan Ecoantibio devra passer d’une approche quantitative à une approche qualitative en envisageant des mesures ciblées. « L’Union européenne va imposer des outils de suivi, par exemple des délivrances, ce qui permettra à chacun (éleveur, vétérinaire, etc.) de situer ses pratiques par rapport à une moyenne régionale ou nationale, et de les améliorer si besoin », explique Marie-Anne Barthelemy.
Un problème persistant en santé humaine
En santé humaine, la lutte contre l’antibiorésistance est loin d’avoir aussi bien fonctionné. Certes, selon le rapport « Charges et produits – Propositions de l’Assurance maladie pour 2022 », une réduction importante du nombre de traitements antibiotiques chez les patients adultes âgés de 16 à 65 ans sans affection de longue durée (ALD) a été observée depuis 2011. Elle est encore plus prononcée en 2020 avec la crise sanitaire via les taux des traitements par antibiotiques chez les patients de 16 à 65 ans et hors ALD (- 8,6 points par rapport à 2019). Et la part des patients traités par les antibiotiques particulièrement générateurs d’antibiorésistance poursuit aussi sa « forte baisse », s’établissant à 34,7 % en 2020. Des résultats dus à la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) des médecins mise en place en 2016 pour favoriser une diminution des prescriptions des antibiotiques. Mais la France reste parmi les premiers pays européens consommateurs d’antibiotiques. En 2020, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la consommation d’antibiotiques en ville représente 93 % de la consommation totale en santé humaine.
De fait, l’Assurance maladie a mis en œuvre d’autres mesures. En 2018, elle a lancé une nouvelle campagne d’information : « Les antibiotiques, ils sont précieux, utilisons-les mieux ». L’avenant 18 à la convention pharmaceutique, négociée avec les syndicats de pharmaciens, a autorisé les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) angine à l’officine dont l’application a été reportée d’un an en raison de la pandémie de Covid-19. Une disposition pas toujours bien perçue par les médecins, qui peuvent pourtant depuis 2016 disposer gratuitement de Trod angine. Enfin, la loi antigaspillage pour une économie circulaire du 20 février 2020 prévoit une dispensation à l’unité de certains médicaments parmi lesquels des antibiotiques, dont la liste n’a pas encore été fixée. Cette mesure doit entrer en vigueur le 1er janvier 2022. Reste que l’expérimentation menée entre fin 2014 et fin 2015 n’a pas enthousiasmé les pharmaciens, même si elle a augmenté l’observance des patients et permis de constater que, dans 60 % des cas, le conditionnement ne correspondait pas à la prescription. Dernièrement, la Haute Autorité de santé (HAS) a mis à disposition des professionnels de santé des fiches synthétiques afin de rappeler le choix et la durée de traitement des antibiotiques dans les infections bactériennes courantes.
Cependant, force est de constater que les mesures jusqu’ici appliquées sont insuffisantes. Et que le dialogue entre professionnels de santé, laboratoires pharmaceutiques, patients, Assurance maladie et autorités sanitaires existe peu. Ce qui est dommageable car, comme le souligne Jean-Yves Madec, « l’antibiorésistance est un phénomène réversible. Les bactéries deviennent résistantes parce qu’elles sont sous la pression des antibiotiques. S’il y a moins d’antibiotiques, elles redeviennent sensibles. C’est un message positif ».
Une volonté politique, un plan national pour un usage responsable des antibiotiques et une réglementation contraignante pour leur prescription ont fonctionné en santé animale. A quand ces efforts en santé humaine ?
« En matière de résistance bactérienne aux antibiotiques, nous sommes sur un plateau ; l’enjeu est d’y rester »
Jean-Yves Madec (Anses)
À RETENIR
– La lutte contre l’antibiorésistance et la réduction de l’usage des antibiotiques sont des mesures phares du concept « une seule santé » (One Health).
– En France, les acteurs de la filière vétérinaire ont fait front commun pour changer leurs pratiques et réduire la consommation des antibiotiques vétérinaires, jusqu’à 80 à 90 % pour les antibiotiques critiques pour l’homme.
– De quoi inspirer la santé humaine qui, avec les (faibles) mesures mises en place, reste toujours à la traîne.
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