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Y a-t-il un repreneur pour ma pharmacie dans la région ?
De plus en plus de pharmaciens ont du mal à trouver des repreneurs. Certains envisagent même de fermer leur commerce sans avoir trouvé d’acquéreur. Etat des lieux.
Jean-Jacques Courtin a 73 ans. Titulaire de la pharmacie du Loir à Bazouges-Cré-sur-Loir, dans la Sarthe, il a mis son officine en vente. Mais depuis trois ans aucun repreneur ne s’est manifesté. « Je suis épuisé. Je “mange” la rentabilité de ma pharmacie car j’ai embauché un pharmacien adjoint pour qu’il vienne m’aider trois fois par semaine. Je tiens pour l’instant, mais pour combien de temps ? Si encore, j’avais une date de cession, je pourrais me dire que je vais tenir, mais ce n’est pas le cas ! Et je dois faire les gardes de nuit et les dimanches malgré mon âge », relate le pharmacien. Située dans une commune de 2 300 habitants, sur la place de la mairie, entourée d’une école publique et d’une école privée, son officine – 160 m² dont 65m² de surface de vente – est pourtant sur un axe où passent chaque jour près de 9 000 voitures. Certes, le seul médecin généraliste est parti à la retraite en 2019, mais une maison médicale accueille trois jours par semaine des praticiens de la maison de santé pluriprofessionnelle de La Flèche, ville de 15 000 habitants située à cinq minutes de la commune. « Nous avons donc un flux régulier d’ordonnances puisque nous réalisons 88 % du chiffre d’affaires (CA) sur la TVA à 2,1 % », observe le pharmacien, qui assure réaliser 1,4 million d’euros de CA et, sans les médicaments chers, 750 000 €. Pour vendre son officine, Jean-Jacques Courtin s’est pourtant adressé à trois cabinets de transactions, qui ont alors estimé le commerce à 400 000 ou 420 000 €. Mais déjà, à l’époque, un consultant l’avait prévenu : « Si vous trouvez à 300 000 €, vendez. » Las, le titulaire n’a eu qu’une seule visite et aucune proposition, y compris à ce prix. « Nous ne sommes pas les pieds dans la boue. Angers est à 20 minutes. Nous avons une vraie qualité de vie », se désole Jean-Jacques Courtin qui, à la rentrée prochaine, envisage de rendre sa licence.
Des pharmacies viables mais invendables
Dans la Creuse, à Lavaveix-les-Mines, Francis Faure partage la même incompréhension. Il a mis en vente son officine il y a deux ans et demi, et rencontre les mêmes difficultés à trouver un repreneur. « Avec un chiffre d’affaires de 1,1 million d’euros, une centaine de clients par jour, un local de 200 m² dont je suis propriétaire, et une équipe composée d’un pharmacien assistant et de deux préparatrices à mi-temps, puisque je viens d’en embaucher une deuxième, mon officine se porte bien », estime le titulaire. De plus, la pharmacie est située à proximité d’une maison de santé de 300 m² qui regroupe un médecin généraliste, deux kinésithérapeutes, un cabinet infirmier, une infirmière de pratique avancée, une infirmière Asalée, une sage-femme, deux psychologues et un cabinet d’ostéopathie. Le bourg comprend aussi une permanence de la protection maternelle et infantile (PMI) et un second médecin généraliste. Sans oublier plusieurs commerces. Au total, l’officine dessert un bassin de vie de 2 500 et 3 000 habitants. Et cerise sur le gâteau : la commune étant située dans une zone de revitalisation rurale (ZRR), le prochain titulaire n’aura pas d’impôts sur les sociétés à payer pendant cinq ans. « De nombreuses maisons se vendent, des gens s’installent. La pharmacie fait partie de l’attractivité du village. Les retraités s’établissent parce qu’il y a un médecin, des infirmières et une officine », souligne Francis Faure. Pour le titulaire, « les jeunes veulent plus de sécurité. Ils veulent être salariés ». Une tendance qui se renforce, d’après lui, avec la féminisation de la profession. « J’attends encore un an avant de fermer si je n’ai pas d’acquéreur », lance ce pharmacien de 68 ans, qui espère une issue favorable car des pistes semblent se dessiner en ce printemps. Si l’officine devait clore définitivement ses portes, « ce serait une catastrophe pour les habitants ». En effet, le village ne comptant que 700 âmes, aucune nouvelle création d’officine ne sera possible. Ce qui aboutirait à un nouveau « trou » dans le maillage officinal alors que dans le département, selon Francis Faure, cinq à six pharmaciens seraient dans le même cas que lui.
Malgré la qualité de vie, certains territoires n’attirent pas
Les titulaires souhaitant prendre leur retraite ne sont pas les seuls à être confrontés à de telles situations. Jade, pharmacienne dans le Puy-de-Dôme, a essayé, il y a deux ans, de vendre son officine pour changer de région et se rapprocher de sa famille. « J’ai mis mon officine dans un cabinet de transactions et passé des annonces sur Internet, mais je n’ai eu aucune proposition, relate-t-elle. Je pense que c’est une question d’emplacement. Pour les jeunes pharmaciens, y compris ceux qui sont diplômés de la faculté de pharmacie de Clermont-Ferrand, je suis située au bout du monde. » Pourtant, la commune dispose d’un médecin et d’un cabinet d’infirmiers. Le chiffre d’affaires s’élève à 800 000 € et la titulaire emploie une préparatrice. « Mon officine est très rentable. Je vis bien, avec une qualité de vie exceptionnelle. De plus, une maison de retraite privée devrait être créée dans la commune. Il y a aussi un projet de boulangerie alors que nous avons déjà quelques commerces. Des retraités s’installent également », ajoute Jade, qui envisage même d’embaucher à terme un jeune pharmacien. La titulaire a mis en stand-by la vente de son officine. « Je vais voir comment ma situation familiale évolue ainsi que celle de la pharmacie avec notamment l’ouverture de la maison de retraite. Mais je ne veux pas mettre de contraintes. Si je dois fermer pour partir, je fermerai », affirme-t-elle. Après être partie en vacances une semaine en avril, elle prendra à nouveau des congés en juillet en août. « C’est la première année que je ferme ainsi », remarque Jade.
Vendre peu cher c’est tirer un trait sur des années de labeur
Malgré leurs difficultés, Jean-Jacques Courtin et Francis Faure refusent de céder leur pharmacie à 1 €. Sylvie Drouet a pourtant dû s’y résoudre. Installée aux Hermites, en Indre-et-Loire, depuis plus de 40 ans, la titulaire de l’unique pharmacie du bourg de 600 habitants souhaite partir à la retraite. Pour anticiper son départ, elle met sa pharmacie de 80 m² en vente en 2020. Grâce à un chiffre d’affaires s’élèvant à 850 000 €, la pharmacie peut permettre à son futur o propriétaire de percevoir environ 4 000 € par mois, tout en employant une préparatrice à mi-temps et un pharmacien adjoint un jour par semaine. Pourtant à l’instar de ses confrères, Sylvie Drouet n’obtient aucune proposition. Après avoir drastiquement baissé le prix de vente, elle finit par le fixer à 1 € symbolique. Ce sont des articles et reportages dans les médias locaux et nationaux qui suscitent des appels de pharmaciens fin 2023. « Les premiers professionnels intéressés par la reprise de l’officine ne sont pas des jeunes pharmaciens. Il s’agit plutôt de personnes qui ont la cinquantaine et une belle opportunité de finir leur carrière dans un cadre agréable. Les jeunes ont souvent peur de s’engager à la campagne avec des horaires un peu lourds », constate alors Sylvie Drouet. Finalement, c’est un professionnel débutant qui a repris l’officine au 1er mai 2024 avec son personnel. « Il a 29 ans et vient du milieu rural », note Sylvie Drouet. Un dénouement heureux pour les habitants et les patients, mais moins pour la pharmacienne, qui renonce donc à disposer d’un capital pour sa retraite.
Le phénomène des pharmacies à 1 euro s’amplifie
Néanmoins, ils seraient de plus en plus nombreux à vendre leur pharmacie à 1 € pour que la structure puisse perdurer au bénéfice de la population. Difficile d’avoir des chiffres précis, de même pour les titulaires qui n’arrivent pas à vendre leur commerce. « Ils ressentent cela comme un échec et ne veulent pas témoigner », relève Olivier Rozaire, pharmacien à Saint-Bonnet-le-Château (Loire) et président de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens d’Auvergne-Rhône-Alpes. Les cas sont cependant de moins en moins isolés et les syndicats pharmaceutiques départementaux observent le phénomène s’amplifier, tout comme celui des fermetures. « En Côte-d’Or, huit pharmacies ont baissé le rideau en quelques années à la campagne et deux autres sont en train de fermer. Une titulaire a réussi à sauver son officine en la vendant à 1 €, détaille Hélène Roy, titulaire à Dijon. C’est problématique car il y a dans le département une quinzaine de villes de plus de 5 000 habitants et beaucoup de petites communes de 150 à 300 habitants. »
Toutes les officines ne pourront pas assurer leur pérennité
Le 9 février 2024, lors de son point hebdomadaire, le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Besset, n’a pas hésité à déclarer : « Il suffit de se balader sur les réseaux sociaux pour se rendre compte que le phénomène des pharmacies à vendre pour 1 € a pris une ampleur insoupçonnée. Des confrères qui ne veulent pas abandonner leur village et leurs patients, mais qui souhaitent partir à la retraite, ne trouvent pas de repreneur, même à 1 €. Le réseau est en train d’exploser. Or, si nous perdons la proximité, le maillage et la ruralité, nous perdrons notre rôle dans la société française. »
Toutes les pharmacies ne pourront assurer leur pérennité. « Certaines officines réalisant un chiffre d’affaires de moins de 700 000 €, en dehors de celles qui sont essentielles, ne sont pas viables », estime ainsi Olivier Rozaire. Les titulaires interrogés nous démontrent pourtant que des pharmacies rurales peuvent être rentables et ont même du « potentiel ». Reste à trouver celles et ceux qui veulent se lancer dans l’aventure entrepreneuriale à la campagne.
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