Valeur du prix de cession : il n’y a pas que la rentabilité qui compte

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Valeur du prix de cession : il n’y a pas que la rentabilité qui compte

Publié le 20 mars 2025
Par Guy Tamboise
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L’évaluation de la valeur d’une pharmacie repose sur plusieurs critères, mais la rentabilité potentielle de l’acquisition demeure le principal. Avant de se lancer dans la vente ou l’achat, il est essentiel de bien comprendre les enjeux financiers et stratégiques. Voici les conseils du cabinet d’expertise Adéqua pour guider le titulaire dans cette démarche.

L’emplacement, la gestion et la rentabilité future de l’officine sont des éléments clés pour évaluer sa valeur. Dans un contexte de mutations du marché, quels critères spécifiques assurent cette valorisation ?

Ne pas négliger la dimension immatérielle

La valeur immatérielle d’une officine est largement influencée par son emplacement, son environnement médical et sociétal, sa stratégie d’offres (politique de prix, services, conseils et relations), ses perspectives stratégiques (marchés et potentiels, produits, risques macroéconomiques, ressources humaines, approvisionnements, environnement concurrentiel, R&D, savoir-faire, etc.), sa réputation, la compétence et l’expérience de son équipe, son organisation, son enseigne et, aussi, de sa gouvernance. La personnalité et les compétences du pharmacien titulaire sont des facteurs majeurs. Son implication, sa capacité à innover et à fidéliser sa clientèle ont un impact direct sur la rentabilité de la pharmacie. Lors d’une cession, la transition entre un titulaire expérimenté et un repreneur aux méthodes et compétences différentes peut ainsi influer significativement sur la performance de l’officine. Acquérir une pharmacie ne se résume donc pas à une transaction financière, mais implique une stratégie d’adaptation et de continuité pour préserver la dynamique et la valeur de l’entreprise.

Sur quels chiffres baser son analyse ?

Si l’examen des comptes annuels apporte des éléments précieux, la tentation de justifier une valorisation à travers des formules mathématiques complexes peut mener à des conclusions erronées. Une vision purement comptable risque d’aboutir à une estimation biaisée, préjudiciable aussi bien au vendeur qu’à l’acheteur, voire à l’entreprise elle-même. L’une des méthodes fréquemment utilisées consiste à établir une moyenne entre trois critères : un pourcentage du chiffre d’affaires (CA) selon les standards de la profession, un coefficient appliqué à la marge et un autre à la rentabilité. Une approche qui, bien qu’ancrée dans les habitudes, n’a aucun équivalent dans d’autres secteurs économiques et se révèle inadaptée. Avec l’essor du poids des médicaments chers, la référence au CA est ainsi devenue obsolète. De même, si la marge globale semble être un meilleur indicateur, elle ne suffit pas à refléter la valeur réelle d’une officine. Deux pharmacies avec une marge globale identique, mais des loyers très différents, ne peuvent être évaluées de la même manière. Dans certains cas, des vendeurs, propriétaires des murs, augmentent volontairement les loyers pour maximiser leurs revenus futurs, quitte à revoir à la baisse le prix du fonds de commerce. Cette stratégie peut s’avérer avantageuse lorsque l’objectif est de conserver l’immobilier sur une longue durée : les loyers perçus permettent alors de compenser la décote appliquée à la cession du fonds. De plus, en fonction des régions, des pénuries de main-d’œuvre ou encore de la politique salariale propre à chaque entité, les équipes ne sont pas rémunérées de manière uniforme. En 2024, les frais de personnel représentaient en moyenne 43 % de la marge, contre 37 % avant la crise du Covid-19, avec d’importantes disparités entre officines. Ainsi, à effectifs équivalents, deux officines peuvent supporter des charges salariales très différentes. De ce fait, fonder une valorisation sur le CA ou la marge présente de nombreuses limites, même en les pondérant avec d’autres critères.

Les nouveaux critères à prendre en compte

Dès lors, la rentabilité – mesurée par l’excédent brut d’exploitation (EBE) avant rémunérations et charges des titulaires ou par la performance commerciale ou de gestion (PCG) – devient le critère essentiel. Cependant, pour que cette évaluation soit juste, il faut également tenir compte de facteurs externes, notamment le coût du crédit. Ce dernier évolue et a un impact direct sur la valeur des fonds. En second lieu, certains investissements, comme l’acquisition de robots ou les frais d’aménagements, peuvent être financés par le biais de crédit-bail ou de location, plutôt que par un emprunt traditionnel. Cette stratégie permet aux vendeurs de transférer les engagements financiers, sous forme de loyers ou de redevances à payer, sans affecter la valorisation du fonds. Toutefois, cette approche présente des risques, notamment pour les jeunes acquéreurs. En effet, ces engagements peuvent s’étendre sur une période de un à sept ans, affectant négativement les flux financiers du business plan de l’acquéreur. Ce dernier pourrait alors rencontrer des difficultés pour obtenir des financements bancaires. En troisième lieu, des dispositifs qui visent à alléger la fiscalité des acquéreurs, tels que l’implantation d’une pharmacie en zone France ruralités revitalisation (à partir de juillet 2024) ou l’amortissement fiscalement déductible pendant dix ans pour les acquisitions de fonds jusqu’au 31 décembre 2025, influencent positivement les business plans financiers. Ces incitations fiscales entraînent une « surcote » de la valeur de certaines officines.

L’intérêt dépend de la rentabilité potentielle

L’évaluateur se fonde traditionnellement sur quatre principaux critères pour déterminer la valeur d’une pharmacie : la rentabilité future, le risque associé au secteur, la rémunération des titulaires et l’éventuel prix de revente, qui pourrait inclure une plus-value. La valeur d’une officine dépend donc de sa capacité à générer suffisamment de rentabilité à long terme pour financer ses investissements, rembourser ses emprunts, couvrir ses charges financières, s’acquitter des impôts, rémunérer convenablement ses titulaires, et assurer un niveau décent de cotisations retraite, tout en maintenant une valorisation positive dans l’avenir. Pour une estimation rapide, il est courant d’appliquer un coefficient compris entre 5 et 6 à la PCG, avant de confirmer cette valorisation par la construction d’un business plan financier détaillé.

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La valeur ne fait pas le prix !

Des affaires non rentables sont convoitées alors que d’autres, très rentables, ne trouvent pas preneurs, notamment dans certains quartiers urbains ou zones rurales. Par ailleurs, des vendeurs peuvent rester figés sur des valorisations qui ne tiennent pas compte des réalités actuelles du marché et, de ce fait, ils ne reçoivent aucune offre. Bien que cette attitude ne soit pas la bonne, il est probable que le temps finisse par ramener ces vendeurs à une évaluation plus réaliste. Le dernier paramètre à considérer réside dans la structure de propriété des petites et moyennes entreprises (PME), plus particulièrement des officines, où les associés ou actionnaires sont souvent également les dirigeants. Cette situation crée une confusion entre la rémunération future du travail de l’exploitant et celle du capital investi. Actuellement, le marché de l’offre et de la demande prime sur la valeur ! Les pharmacies de taille intermédiaire, avec un CA compris entre 2 et 4 millions d’euros, sont les plus recherchées, notamment celles situées dans des bourgs de taille importante, dans des zones touristiques ou des communes qui enregistrent une forte croissance démographique. En revanche, les pharmacies réalisant un CA supérieur à 4 millions d’euros attirent un nombre plus restreint de potentiels acheteurs et évoluent dans un marché plus hétérogène. Quant aux officines dont le CA est inférieur à 1,5 million d’euros, elles ne trouvent preneur qu’à des conditions particulièrement attractives. Lorsque le prix de marché d’une officine dépasse largement sa valorisation, cela entraîne plusieurs conséquences :

– la nécessité d’apports financiers plus importants que la moyenne, souvent avec l’aide d’associés investisseurs ;

– une diminution de la rentabilité des capitaux investis, en raison de l’effort financier accru ;

– un impact direct sur le revenu du titulaire ; 

– une limitation prévue des investissements matériels et humains ;

– l’acceptation d’un risque financier plus élevé.