Quelle valeur pour les officines en 2025 ?

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Quelle valeur pour les officines en 2025 ?

Publié le 27 décembre 2024 | modifié le 15 janvier 2025
Par La rédaction
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Déterminer la valeur d’une entreprise requiert expertise et parfaite connaissance du métier. Délaissant les pratiques traditionnelles d’évaluation, les pharmaciens d’officine prennent en compte les récents changements de paradigme du secteur et privilégient une méthode fondée sur la rentabilité potentielle.

La valeur d’une entreprise se fonde avant tout sur ses perspectives stratégiques : marchés et potentiels, produits, risques macroéconomiques, ressources humaines, approvisionnements, environnement concurrentiel, recherche et développement, savoir-faire, etc. Les parties – vendeurs et acheteurs potentiels – identifient les points forts et les zones de faiblesses, les menaces et les opportunités. L’aspect immatériel occupe ainsi une place prépondérante par rapport au matériel (agencements, stocks, etc.). Et la valeur immatérielle d’une officine est subjective. Elle repose en particulier sur son emplacement, son environnement médical et sociétal, sa stratégie d’offres (politique de prix, services, conseils et relations), sa réputation, la compétence et l’expérience de son équipe, son organisation, son enseigne et, aussi, sur sa gouvernance. De façon générale, plus une entreprise est de petite dimension, plus la personnalité et les compétences de son ou de ses dirigeants ont un impact sur l’approche de la valeur. Le pharmacien titulaire a évidemment une influence considérable sur la bonne marche de son entreprise. Logiquement, le rachat d’une officine auprès d’un ou de plusieurs titulaires plus ou moins efficients par de nouveaux, plus ou moins efficients eux-mêmes, devrait donc avoir un impact considérable sur la valeur. Faire fi de cette évidence expose à des déconvenues. Autrement dit, reprendre une officine avec un bon business model appuyé par un business plan équilibré ne suffira pas si le dirigeant n’est pas à la hauteur.

Des méthodes de valorisation ancestrales, mais hasardeuses

L’analyse détaillée des comptes annuels sera source d’informations complémentaires sur la valeur de l’entité. La démarche prend parfois des détours saugrenus, à travers des formules mathématiques plus ou moins complexes épluchant les comptes de l’entreprise dans ses moindres détails, terminologie absconse à l’appui. Elles visent le plus souvent à rassurer l’évaluateur, qui se repose trop sur les seules données objectives dont il a connaissance : bilans passés, état des matériels, investissements nécessaires, engagements financiers, charges connues, etc. Le risque est de s’éloigner de la réalité et de procéder à une évaluation totalement erronée, préjudiciable au vendeur, à l’acheteur ou à l’entreprise, voire aux trois à la fois. Une formule rassurante, rattachée au passé, se fonderait ainsi sur la moyenne de trois méthodes : un pourcentage du chiffre d’affaires selon les statistiques de la profession, un coefficient appliqué à la marge et un autre, à la rentabilité. Cette approche qui se révèle inappropriée n’a cours dans aucun autre secteur de la vie industrielle et commerciale. Les raisons de son inefficacité sont évidentes :

La référence au chiffre d’affaires est à exclure avec l’émergence spectaculaire des médicaments chers, mais à faible taux de marge, qui sortent régulièrement de la réserve hospitalière ;

La marge globale devient une référence naturelle de substitution au chiffre d’affaires. Pourtant, deux officines aux marges globales identiques, mais avec des loyers annuels différents – 25 000 € pour l’une et 50 000 € pour l’autre, par exemple – n’ont pas la même valeur. La première sera valorisée environ 250 000 € de plus que la seconde. C’est pourquoi des vendeurs potentiels qui sont propriétaires des murs de l’officine revoient parfois à la hausse les loyers, quitte à baisser la valeur de leur affaire. Cette stratégie financière n’est pas dénuée d’intérêt, l’objectif étant de conserver l’immobilier très longtemps. Les loyers perçus sur une longue période couvriraient ainsi le manque à gagner accepté sur la valeur du fonds. Par ailleurs, les équipes ne perçoivent pas forcément la même rémunération selon les régions, une éventuelle situation de pénurie de personnel ou encore selon la politique salariale spécifique à chaque entité. Les frais de personnel représentaient en moyenne 41 % de la marge en 2023, contre 37 % avant la période de pandémie du Covid-19, avec de fortes disparités entre officines. Ainsi, à effectifs identiques, deux officines peuvent supporter structurellement des charges de personnel bien différentes. En définitive, fonder la valeur sur le chiffre d’affaires et sur la marge présente trop de limites pour constituer un critère de valorisation, même pondéré par d’autres méthodes.

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La référence à la rentabilité – soit l’excédent brut d’exploitation (EBE) avant rémunérations et charges des titulaires, ou PCG – performance commerciale ou de gestion- devient le critère le plus essentiel. Encore faut-il tenir compte d’autres facteurs objectifs. Il y en a au moins trois. En premier lieu, le coût du crédit. Il évolue à la hausse ou à la baisse, et impacte corrélativement la valeur des fonds. Par exemple, un pharmacien a acheté une officine 2 millions d’euros en 2020. Elle dégageait alors une rentabilité de 342 000 euros. Quatre ans plus tard, le chiffre d’affaires a augmenté, certes, mais ses charges d’exploitation aussi, tout cela dans le fil de l’évolution moyenne de la profession. Le titulaire met en vente l’officine mais la rentabilité envisagée en 2024 et pour l’avenir étant la même qu’en 2020 et les taux d’intérêt ayant augmenté entre-temps, la valeur du fonds approchée par l’acquéreur sera d’environ 1,7 million d’euros (soit 2 millions d’euros diminués du surcoût financier lié au taux d’intérêt), soit 61 % du chiffre d’affaires – pour les nostalgiques de la référence au CA ! En deuxième lieu, les vendeurs financent parfois une partie des investissements (robots et agencements) par crédit-bail ou location, à la place d’un emprunt traditionnel. L’idée est sans doute de faire prendre en charge les engagements par les acquéreurs (redevances ou loyers restant à payer) sans impact pour l’approche de la valeur du fonds. D’abord, il ne faut plus prendre les jeunes acquéreurs pour des « lapins de six semaines ». Ensuite, cette manière de procéder est parfois un faux ami pour les vendeurs. Car, en pratique, les engagements peuvent courir entre 1 et 7 ans et impacter négativement les flux financiers du business plan de l’acquéreur sur cette période, compromettant l’obtention de ses financements bancaires.

Différencier l’évolution de la valeur du fonds et la rentabilité des capitaux investis

Prenons l’achat d’une officine pour 2 millions d’euros, avec 400 000 € en capital apportés à la société d’exercice libéral (SEL) et le recours à l’endettement bancaire traditionnel pour boucler le financement. Si la valeur du fonds de commerce se maintient et que le titulaire est rémunéré normalement pour son travail, le rendement des capitaux investis sera de 15 % sur 10 ans. Mais, si la valeur du fonds de commerce chute à 1 million d’euros, la rentabilité des capitaux investis ne sera plus que de 8 %. Il faut ainsi distinguer entre la valeur du fonds de commerce et l’évolution de la valeur d’une société. Une SEL a acquis un fonds pour 2 millions d’euros il y a trois ans et reçoit aujourd’hui une offre de rachat pour 2,2 millions. La tentation est forte (parfois sous la pression) de vendre et de réaliser une plus-value apparente. Mais, au regard de la renonciation à l’effet de levier financier procuré sur la durée, le projet de vente n’apparaît pas toujours opportun – il se peut que deux ou trois années de résultats suffisent à obtenir le même gain. Et cela, sans compter les tracasseries, prises de risques et frais liés au changement de pharmacie.

Évaluer en regardant l’avenir

En troisième lieu, des dispositifs conduisant à alléger la fiscalité des acquéreurs (pharmacie implantée en zone France ruralités revitalisation – ou FFR – à partir de juillet 2024, ou amortissement fiscalement déductible pendant 10 ans pour les acquisitions de fonds jusqu’au 31 décembre 2025) impactent très positivement les business plans financiers. Et engendrent une surcote de la valeur de certaines officines. L’évaluateur se réfère traditionnellement à quatre critères pour se forger une opinion : la rentabilité future (le rendement des capitaux investis), le risque attaché au secteur, la rémunération de son ou ses titulaires, l’éventuelle valeur de revente avec espoir ou non de plus-value. La valeur d’une pharmacie est ainsi fonction, d’une part, de sa capacité future à dégager une rentabilité suffisante (pour investir, rembourser ses emprunts, honorer les charges financières, faire face aux impôts, rémunérer convenablement son ou ses titulaires, assumer un niveau décent de cotisations retraite), d’autre part, de sa valorisation future – le tout sur une période raisonnable. Pour apprécier rapidement la valeur, il faut appliquer un coefficient compris entre 5 et 6 à la PCG puis la corroborer à travers l’établissement du business plan financier.

Conseils : côté acquéreurs

• Ne pas se focaliser sur les comptes passés de l’entreprise convoitée. La priorité est l’analyse des aspects stratégiques et opérationnels à travers la connaissance approfondie du secteur sur lequel agit la pharmacie et des compétences du vendeur.

• Ne pas partir du prix proposé par le vendeur, parfois absurde.

• Ne pas se laisser influencer par des propositions – sérieuses ou non – d’autres repreneurs.

• Faire fi des méthodes de valorisation passéistes en fonction du chiffre d’affaires, et même de la marge.

• Ne pas « forcer » le business plan en intégrant des données irréalistes (croissance du chiffre d’affaires, de la marge ou des moyens humains et matériels) pour justifier une proposition de prix élevée. Comprendre la démarche conduisant à la détermination de la valeur, sans se perdre dans les détails.

• Prendre un certain recul et s’interroger sur le côté raisonnable – ou non – de la proposition de prix envisagée en s’appuyant sur des conseils indépendants. Faire une proposition, même si elle est éloignée des desiderata du vendeur. Intégrer la nécessité de la prise de risque inhérente à toute démarche entrepreneuriale (« Il n’y a pas de plaisir sans risque »).

La valeur ne fait pas le prix

Des affaires non rentables sont convoitées alors que d’autres, très rentables, ne trouvent pas preneur, notamment dans certains quartiers urbains ou zones rurales. Ainsi va la loi du marché ! Par ailleurs, des vendeurs s’arc-boutent encore sur des valorisations déconnectées des réalités du moment et, de fait, ne reçoivent aucune offre, les candidats potentiels étant tout simplement découragés de le faire. Cette posture n’est donc pas toujours la bonne et le temps devrait faire son œuvre avec un retour à la raison. Enfin, dernier paramètre d’analyse, les officines sont la propriété totale ou partielle de leurs dirigeants. Dès lors, il y a une certaine confusion entre la future rémunération du travail de l’exploitant et la rémunération normale du capital, ce qui induit une approche spécifique. Ainsi, le marché de « l’offre et de la demande » des pharmacies priorise la valeur. Les pharmacies de taille intermédiaire, réalisant entre 2 et 4 millions d’euros de chiffre d’affaires normatif, sont très convoitées tout particulièrement celles implantées dans les gros bourgs monopolistiques, sur certaines zones touristiques ou dans des communes enregistrant une forte croissance démographique. Celles qui présentent un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 million d’euros trouvent preneur seulement si les prix sont très attractifs. Et celles à plus de 4 à 5 millions d’euros de chiffre d’affaires s’adressent à un nombre de postulants assez faible et à un marché, de fait, particulièrement hétérogène. Lorsque le prix de marché est bien supérieur à la valorisation de l’officine, cela induit tout à la fois :

• la nécessité d’apports financiers plus élevés que la moyenne, avec le concours éventuel d’associés investisseurs ;

• une baisse de la rentabilité des capitaux investis ;

• un impact sur le revenu du titulaire (celui perçu à travers la rémunération annuelle basse ou celui, différé, de cotisations de retraite a minima) ;

• la limitation programmée des investissements matériels et humains ;

• l’acceptation d’une augmentation du risque de défaillance financière.

Au bout du compte, l’approche de la valeur offre une aide à la décision, pour les vendeurs comme pour les acquéreurs. Mais elle ne fixe pas le prix de vente. Car celui-ci résulte d’un accord entre les parties… à condition qu’il soit finançable !

Conseils : côté vendeurs

• Préparer sa sortie plusieurs années à l’avance.

• Envisager l’éventualité qu’elle soit progressive ou en association.

• Partir sans a priori – financiers et en termes de compétences – sur la possibilité de transmettre à ses adjoints.

• Proposer, voire imposer un prix ? Cela dépendra du contexte.

• Mesurer les impacts fiscaux et patrimoniaux. Les décisions en matière de fiscalité s’inscrivent dans le temps long. Ici encore, il faut anticiper.

• Recourir éventuellement à une expertise indépendante pour valoriser le fonds et pour le schéma de transmission.

• Se rapprocher des confrères à proximité, les mieux placés pour être intéressés.

• Faire savoir parfois très ouvertement que l’officine est en vente.

• Être clair (cession de titres ou vente du fonds ?) et précis (délais, loyers, engagements financiers, etc.).

• Recourir à un intermédiaire pour élargir le champ des candidats possibles.

• Éviter de recourir aux mêmes conseils – avocat et expert-comptable – que l’acquéreur.

• Ne pas sous-estimer la charge mentale et l’énergie à mettre en œuvre pour mener à bien une vente, qui peut constituer un véritable parcours du combattant.