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Prix de cession : la chute de la valorisation des officines s’accélère
Malgré les difficultés économiques, les taux bancaires élevés et l’inflation, le secteur transactionnel pharmaceutique maintient une activité forte avec 1 315 cessions enregistrées en 2023, selon les données de l’Ordre national des pharmaciens. Cette résilience s’appuie notamment sur un renouvellement générationnel significatif. Selon les analyses du réseau d’experts-comptables Conseil Gestion Pharmacie (CGP), la proportion de titulaires de moins de 40 ans a progressé pour atteindre 23 % en 2023, contre 19 % précédemment, témoignant d’une transition importante du parc officinal. « L’évolution du métier et le déploiement des nouvelles missions confirment l’engouement des jeunes diplômés pour acquérir une officine », souligne Bastien Legrand, président du groupement CGP. Cependant, cette dynamique s’accompagne d’un changement des comportements d’achat. « Malgré la fluidité du marché, l’approche des nouveaux acquéreurs est différente de nos jours. Ils sont plus prudents, mieux informés et cherchent à optimiser leur investissement dans un environnement économique incertain », observe Louis Maertens, expert-comptable, membre de CGP.
Révolution dans les méthodes de valorisation
Le prix de cession moyen des officines a connu une érosion progressive. Il représentait 78 % du chiffre d’affaires hors taxes (CA HT) en 2024, contre 83 % en 2023 et 88 % en 2022, illustrant ce qui traduit une phase d’ajustement après une période de valorisations élevées. « La vigilance des acquéreurs est de mise lorsqu’il s’agit d’évaluer l’officine. La référence au CA n’a plus de sens. L’approche économique du fonds de commerce par le niveau de marge brute globale et d’excédent brut d’exploitation (EBE) retraité est devenue essentielle », prévient Bastien Legrand.
Les indicateurs clés d’évaluation évoluent significativement :
– le multiplicateur d’EBE retraité s’établit à 7,10 fois en 2024, contre 7,28 fois en 2023 ;
– le prix d’achat moyen, évalué à 1,8 million d’euros, représentait l’an passé 2,64 fois la marge brute globale ;
– la taille de l’établissement influence directement sa valeur : les structures générant plus de 3 millions d’euros affichent une valorisation à 7,24 fois l’EBE, tandis que les officines réalisant moins de 1 million d’euros se limitent à 5,63 fois l’EBE. « Cela dénote d’un véritable désamour sur le marché des petites pharmacies », constate Bastien Legrand ;
– l’apport personnel requis tend à diminuer légèrement, s’établissant à 17 % du prix d’achat en moyenne (soit environ 308 000 €), contre 18 % en 2023.
Des écarts régionaux croissants
Le marché des transactions se caractérise par des disparités régionales marquées. Dans les zones urbaines denses, notamment en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, les officines présentent des valorisations supérieures, souvent au-delà de 90 % du CA HT. À l’inverse, certaines zones rurales ou intermédiaires, où la dynamique économique est plus faible, voient les prix de cession chuter sous les 70 % du CA HT. « Nous observons un phénomène de polarisation : les officines situées dans des zones attractives se vendent rapidement et à bon prix, tandis que celles en milieu rural nécessitent plus de temps pour trouver preneur, souvent avec des ajustements importants du prix », souligne Louis Maertens. Cette diversité s’explique également par l’environnement concurrentiel et la densité de population. Les métropoles concentrent une clientèle à fort pouvoir d’achat et une fréquentation élevée, rendant les officines plus rentables, tandis que les zones sous-dotées souffrent d’un manque d’attrait.
Financement : une équation plus complexe
Le contexte macroéconomique influence directement le financement des transactions. Après avoir atteint un pic à 3,50 %, les taux d’intérêt ont connu une légère détente, s’établissant à moins de 3 % en 2024. Toutefois, les banques maintiennent une politique sélective et exigent des dossiers financiers plus solides. « Les plans de financement sont plus difficiles à obtenir : le niveau des taux d’intérêt conjugué aux conséquences de l’inflation en matière d’achats, de frais généraux et de frais de personnel a des conséquences directes sur l’équilibre financier des opérations », explique Bastien Laurent.
Les financements bancaires s’articulent autour de plusieurs critères essentiels :
– un EBE solide : les institutions financières privilégient les officines générant une marge brute stable ;
– un niveau d’endettement maîtrisé : les dossiers présentant un ratio d’endettement trop élevé sont plus difficiles à financer ;
– une trésorerie suffisante : la capacité de l’acquéreur à absorber d’éventuels aléas financiers est scrutée de près.
« Pour pallier la frilosité des banques, nous constatons l’émergence de financements hybrides, qui associent emprunt bancaire, crédit-bail immobilier et, parfois même, intervention d’investisseurs externes », note Louis Maertens.
Le maillage territorial en péril
En 2023, 290 pharmacies ont cessé leur activité, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2022. Avec un effectif résiduel de 19 887 officines, le seuil critique des 15 000 pourrait être atteint à terme, selon les projections du cabinet CGP. La situation est particulièrement préoccupante pour les petites structures : 60 % des fermetures interviennent de manière « sèche », sans indemnisation ni procédure de liquidation, et 44 % des pharmacies qui ont mis la clé sous la porte présentaient un CA inférieur à 500 000 €. « Les concurrents attendent leur disparition », déplore Nicolas Trikian, responsable de la communication au cabinet CGP. Les régions les plus touchées sont la Bourgogne (- 16,3 %), l’Auvergne (- 14,3 %) et la Normandie (- 14,2 %). Seule l’Alsace montre une forme de résistance (+ 0,4 %). « L’absence de repreneur constitue une menace pour l’accès aux soins en milieu rural », alerte Bastien Legrand.
Perspectives : adaptation et diversification
Le secteur officinal traverse une phase de consolidation, caractérisée par une diminution du nombre total d’officines et un renforcement des structures de taille intermédiaire à grande. Cette dynamique devrait se poursuivre, amplifiée par la nécessité d’optimiser les coûts d’exploitation et d’intégrer de nouvelles missions pharmaceutiques. « La pharmacie de demain se distinguera par une diversification de ses services et une structure financière plus robuste. L’enjeu pour les acquéreurs est de choisir des modèles économiques viables et de sécuriser leur rentabilité à long terme », estime Louis Maertens.
Gestion financière rigoureuse, adaptation continue aux évolutions du métier et vision claire de son positionnement futur dans l’écosystème de santé, acheter une officine exige désormais une stratégie et une analyse préalables très poussées mêlant « rentabilité, résilience face aux changements de réglementation ou encore positionnement stratégique », conclut Louis Maertens.
Une équation aux variables multiples. Reste à espérer qu’en 2025 la courbe des valorisations croise enfin celle du maillage… sans tendre vers zéro !
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