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Les réinstallations dopent le marché

Publié le 30 mars 2002
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Le marché des transactions continue à traverser une bonne passe. 2001 confirme le dynamisme retrouvé des cessions d’officines en 2000. Mais les perspectives pour les prochaines années sont moins évidentes, compte tenu du maintien des prix à un niveau élevé et du manque de renouvellement de la profession lié au déficit de jeunes titulaires.

Il en est peut-être du marché des cessions d’officines comme de la Bourse : quand l’environnement économique et politique est bon, acquéreurs et vendeurs reprennent confiance. Or, comme en 2000, le contexte économique de l’officine a été globalement favorable : hausse des chiffres d’affaires, érosion des marges limitée, taux d’intérêt attractifs… « L’évolution des conditions économiques a permis de relancer le nombre des mutations », explique Benoît Fouilland, consultant au département des études financières d’Interfimo. Pour la deuxième année consécutive, cet organisme de financement des professions libérales a présenté à Pharmagora, sous l’égide du conseil central A de l’ordre des pharmaciens, des chiffres confirmant la bonne orientation du marché. « Le nombre de mutations a encore progressé mais celles-ci restent surtout le fait de réinstallations. »

L’environnement économique et politique de cette année préélectorale a été globalement bon : hausse des chiffres d’affaires, érosion des marges limitée, taux d’intérêt réels faibles. La chute des prix, régulière depuis une dizaine d’années, avait été enrayée en 2000 : 2001 en a été l’exacte réplique avec un prix moyen stabilisé à 85 % du chiffre d’affaires TTC.

Du côté des prix, on se souvient que la chute régulière mais relative de la valeur des fonds (exprimée en pourcentage du CA TTC), observée depuis une dizaine d’années, avait été enrayée en 2000. « 2001 en a été l’exacte réplique, avec un prix moyen qui reste stable à 85 % du CA TTC, annonce Benoît Fouilland. Ce qui signifie que les prix, en valeur, ont augmenté à la mesure de la croissance des chiffres d’affaires. Des prix stabilisés à 85 % n’incitent pas les jeunes à s’installer. » Pourtant il y a toujours autant de pharmaciens intéressés par une première installation. Dire qu’ils sauteront tous le pas est une autre affaire, car il est vrai que depuis plusieurs années ils sont devenus plus frileux, jugeant le risque financier trop grand au regard de leur manque d’apport personnel. Selon les universitaires, il y aurait même une désaffection inquiétante pour l’officine.

Le nombre de mutations a encore progressé (1 287 contre 1 101 en 2000), mais celles-ci restent surtout le fait de réinstallations : à terme, le déficit de jeunes titulaires va devenir préoccupant pour l’équilibre du marché.FRANCK L’HERMITTE

Des titulaires qui vieillissent et qui ne se renouvellent pas

Aussi cette hausse du nombre des cessions en 2000 et 2001 ne doit pas faire oublier les incertitudes sur la conjoncture qui planent après les échéances présidentielles et la baisse du taux de marge, ni cacher une nouvelle tendance lourde qui commence à se dessiner avec la raréfaction de la demande de la part des nouveaux diplômés. « Le déficit de jeunes titulaires va devenir préoccupant pour l’équilibre du marché, alerte Benoît Fouilland au vu de la dégradation de la pyramide des âges de ces dix dernières années. La profession comptait 5 000 titulaires âgés de moins de 35 ans au début des années 90, ils sont moins de 2 000 dix ans plus tard. » La profession vieillit et ne se renouvelle pas. Par ailleurs, « plus de 5 000 pharmaciens installés sont aujourd’hui dans la tranche d’âge 50-55 ans et partiront en retraite dans les dix prochaines années ».

La profession comptait 5 000 titulaires âgés de moins de 35 ans au début des années 90. Ils sont moins de 2 000 dix ans plus tard.

S’il n’y a pas de relève, comment les titulaires pourront-ils revendre leur officine ? « Il est déterminant, pour la survie même de la profession, que les jeunes accèdent à la propriété de l’officine et à l’exercice en qualité de titulaires », estime Hubert Mathieu, notaire et consultant chez Tabellion & Partners. Au problème de l’absence de renouvellement des titulaires s’ajoute celui de la féminisation de la profession. « Il y a environ 14 700 assistants dont 10 700 femmes, et leur propension à devenir titulaires est aléatoire », signale Benoît Fouilland qui redoute, avec la conjonction de ces deux tendances, un choc démographique pour 2010-2015 lors des départs en retraite des titulaires actuellement quinquagénaires. Selon lui, il faut qu’un tiers des jeunes assistants (de moins de 40 ans) s’installe d’ici à dix ans pour pérenniser le système. Les perspectives pour les prochaines années ne sont donc pas évidentes. Arrivera un moment où les pharmaciens installés ne pourront plus vendre pour racheter. Selon Hubert Mathieu, seule une baisse des prix, faisant revenir les jeunes sur le marché de l’officine, sera susceptible de continuer à doper le marché dans l’avenir. Pour 2002, il prévoit encore une augmentation du nombre des cessions, principalement sur les officines moyennes, de 1,067 million à 1,525 million d’euros et, dès le second semestre, une baisse à nouveau des prix.

Avec des prix plus doux et des taux d’intérêt stabilisés avec l’euro à des niveaux faibles, avec la perspective d’un développement de l’activité, l’acquisition d’une officine est un pari tenable.

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Taux de rotation régionaux

8% de cessions de fonds en plus par rapport à 2000

Mais revenons au présent et aux bons résultats de 2001. A partir des publications de cessions du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, Hubert Mathieu totalise 1 102 cessions d’officines et apports de fonds pour l’an dernier. Un chiffre qui, comparé au nombre de mutations sur 1999 et 2000, fait ressortir des hausses respectivement de 31 % et de 8 %. Avec les cessions de parts non publiées, le nombre de changements de titulaires intervenus en 2001 passe la barre des 1 500, soit à peu de choses près le niveau de mobilité interne de la profession des années 90. Certes, cette augmentation de volume est inégalement répartie selon les régions, et, à cet égard, Benoît Fouilland constate une accentuation des disparités régionales par rapport à 2000 lorsque l’on rapporte le nombre de mutations observées sur une région au nombre total d’officines de cette même région. Ainsi sept régions, dont PACA et Midi-Pyrénées, ont connu un marché très animé, avec plus de 45 cessions pour 1 000 officines, alors que deux seulement atteignaient ce taux de rotation en 2000. Inversement, quatre régions, dont le Centre et la Corse, ont été peu actives, avec moins de 20 mutations pour 1 000 officines, contre deux seulement en 2000. Notons qu’Interfimo chiffre la mobilité moyenne des pharmaciens sur l’Hexagone à 39 mutations pour 1 000 officines, soit une de plus qu’en 2000

Des disparités entre officines qui s’accentuent à nouveau

Si le prix de vente moyen est inchangé par rapport à 2000, en revanche 2001 renoue dans les régions avec une diversification plus accentuée du marché. « Le prix moyen France entière perd à nouveau de sa signification au profit des moyennes régionales, commente Benoît Fouilland. Pour 2001, 60 % des cessions se situent dans une fourchette de plus ou moins 12 points par rapport à la moyenne générale, au lieu de plus ou moins 10 points en 2000. » Bien entendu, le monde officinal continue à être marqué par un clivage Nord-Sud que rien pourtant ne justifie économiquement parlant. Les régions PACA, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées ont toutes, sans surprise, un prix moyen égal ou supérieur à 90 % du CA. Mais d’une année sur l’autre, les fluctuations au sein d’une même région peuvent être importantes en fonction de la qualité commerciale des affaires cédées. Ainsi, la Corse, l’Auvergne et le Poitou-Charentes, en gagnant respectivement 14, 9 et 7 points en 2001, rejoignent le club des régions les plus chères. A l’inverse, l’Alsace, en chutant sévèrement de 10 points, le quitte, de même que la région Rhône-Alpes (- 3 points). Les régions les moins chères, sous la barre des 80 %, sont toujours les mêmes : Paris, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Haute-Normandie, Bourgogne, mais sans la Picardie qui avec un hausse de 5 points de son prix moyen recolle à la moyenne nationale.

Mais il existe une autre grande cause de disparité des prix sans que la situation locale puisse toujours l’expliquer. Selon le type d’officines, les écarts peuvent être importants, certaines d’entre elles échappant aux règles classiques d’évaluation. Ce sont tout d’abord celles réalisant un CA de 8 à 12 MF (1,220 MEuro(s) à 1,830 MEuro(s)). Interfimo constate une forte appréciation de cette catégorie, leur prix moyen ayant augmenté de 4 points par rapport à l’année 2000. Ces officines sont visiblement les plus recherchées. Mais la règle « plus la taille de l’officine est importante plus elle se vend cher en pourcentage du CA » a ses limites. Au-delà d’un certain niveau, Interfimo observe une décote. Selon ses statistiques, les officines de plus de 12 MF sont plutôt dépréciées. C’est une constante du marché des transactions relevée depuis quelques années déjà.

L’écart se réduit entre les officines de centre-ville et les rurales

Autre constat, comme les années précédentes, les pharmacies qui se vendent le plus cher sont aussi les plus rentables. Mais la majorité des cessions restent inscrites entre 5 et 6,5 fois l’excédent brut d’exploitation.

Pour les autres typologies, difficile de dégager de grandes tendances. En 2000, les pharmacies des périphéries des villes et des centres commerciaux avaient le vent en poupe, tandis celles de centre-ville et rurales en faisaient les frais. Retour de manivelle en 2001 : « L’écart tend à se réduire entre les officines habituellement sous-valorisées de centre-ville et de campagne d’une part, et celles de périphérie d’autre part », souligne Benoît Fouilland. Les officines de centres commerciaux ont subi, elles, une sévère correction de prix (- 7 points par rapport à l’année 2000).

Enfin, les petites officines, notamment de CA inférieur à 5 MF (762 kEuro(s)), sont les parents pauvres d’un marché de plus en plus disparate. Pour cette catégorie, il n’y a plus de prix de marché. Mais toutes ne se cèdent pas à des prix bradés. « Certaines ont des valeurs de convenance, échappant plus que jamais aux lois économiques normales », indique Hubert Mathieu. Il s’agit d’officines rachetées par le biais de SEL à des fins stratégiques et qui, sans cela, ne trouveraient pas à se vendre. « Pour maîtriser leur secteur commercial, des titulaires rachètent leurs concurrents immédiats. » Cette logique de prise de participation a un intérêt autre que capitalistique : « Elle permet de mieux organiser le temps de travail et les relations avec le personnel, de gérer des commandes groupées, etc. » Mais elle contribue aussi à soutenir les prix en entraînant une hausse de la demande. Selon Hubert Mathieu, la montée en puissance des SEL est probablement un facteur de maintien du marché et même d’inflation, en particulier sur les officines plus importantes et plus rentables. A titre indicatif, en 2001 les cessions réalisées au profit de SELARL ont eu lieu sur un prix moyen de 6,5 MF (990 kEuro(s)), alors que la moyenne générale des prix a été de 5,769 MF (880 kEuro(s)).

Les SELARL font le forcing

Le phénomène associatif continue à prendre de l’ampleur. En 2001, la progression du nombre de sociétés nouvellement constituées a franchi un nouveau palier, les cessions en société totalisant 44 % des ventes en 2001. Le nombre des cessions effectuées à des pharmaciens exploitant en nom personnel a légèrement diminué, passant de 631 en 2000 à 623 en 2001. En rapportant les chiffres de ces cinq dernières années au nombre total de mutations, la chute est plus significative. La part des cessions à une entreprise individuelle est tombée de 60 % en 1997 à 56 % en 2001. Dans le même temps, on constate une baisse du nombre des EURL et une relative croissance des SNC qui restent la forme d’exploitation en société encore la plus prisée. Celle-ci représente à elle seule presque un quart des acquisitions réalisées.

A noter, dans les comparaisons 2001/2000, le regain d’intérêt pour les SARL qui ont quasiment doublé.

Mais le fait marquant sur 2001 est incontestablement la poussée des sociétés d’exercice libéral (SEL), et principalement des SELARL avec 87 cessions réalisées à leur profit en 2001 contre 51 en 2000. « La part des SELARL sur le nombre de mutations a plus que doublé en cinq ans et, pour la première fois, le nombre de SEL constituées est supérieur aux EURL et SARL », observe Hubert Mathieu. Le recours aux SEL est plus fréquent dans le Nord, en Alsace et dans le Sud-Est que dans les autres régions de France. Avec les SARL, elles s’adjugent 15,5 % des cessions. Faut-il voir dans cette poussée (portant le nombre total de SEL à 506 au 31 décembre 2001) l’anticipation par les pharmaciens de mesures facilitant l’installation que sont l’ouverture du capital et la déduction des intérêts d’emprunts pour l’acquisition de parts de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés ? Une hypothèse qui, selon lui, n’est pas à exclure : « Les SEL et les sociétés de participations financières sont des structures d’avenir permettant l’intégration progressive des jeunes dans le capital de pharmacies de plus de 10 MF de CA. Au-delà de ce seuil, l’acquisition est difficilement envisageable financièrement par un jeune qui emprunterait 100 % de la valeur du fonds et l’exploiterait sous un régime à l’impôt sur le revenu. » F.P.