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Les pourcentages ne créent pas de valeur

Publié le 2 mars 2024
Par Guy Tamboise
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La reprise de l’inflation, le poids grandissant des produits chers, la fin des activités à 0 % et la hausse des taux d’intérêt perturbent les pratiques ancestrales en matière de politique de prix, de benchmark entre officines ou d’appréciation de la valeur des fonds. Les raisonnements au « pourcentage » sont même devenus des pièges à la décision.

 

 

Un premier regard proposé par Laurent Fruleux, expert-comptable associé du cabinet AdéquA, sur la gestion quotidienne de l’officine s’appuie sur la politique de prix et des activités non remboursables : une vente de 100 € avec un prix d’achat de 75 € dégage une marge de 25 €, soit un taux de marge de 25 %. Si le prix d’achat passe à 85 € et les autres charges d’exploitation de 10 à 15 €, le prix de vente devra être de 115 € pour garder la même rentabilité. Au passage, le taux de marge est en augmentation à 26,1 % sans pour autant qu’il y ait création de valeur. Bref, en période inflationniste, il faut répercuter l’augmentation des prix d’achat, puis celle des charges d’exploitation et, précise-t-il, « ajouter un chouïa au prix de vente puisque le chef d’entreprise subit lui aussi l’inflation et doit, dans la mesure du possible, augmenter ses revenus bruts en conséquence ».


 

La deuxième analyse porte sur l’observation de l’économie de l’officine en 2023, avec des chiffres d’affaires (CA) en hausse (+ 3 %) portés par les produits très chers à faible marge. « Mais si les marges en valeur ont diminué en 2023, c’est uniquement parce que les activités à 0 % représentent moins de 1 % de l’activité globale contre 4,5 % en 2022 », précise Olivier Delétoille, expert-comptable également du cabinet AdéquA. L’augmentation des produits chers et la fin des activités à 0 % conduisent mécaniquement à la baisse du taux de marge global. Ce qui n’a aucune importance sur le plan analytique. Il importe en effet uniquement de s’intéresser à l’évolution de la marge globale en valeur. Elle baisse de 6,5 %. Mais en retraitant les activités à 0 %, elle aurait progressé de 2,4 %.

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Comment considérer les coûts

 

Le troisième volet observe l’analyse des coûts de l’officine. Il était ainsi d’usage de proportionner les loyers, les autres charges externes et les frais de personnels au CA, ces derniers représentant entre 11 et 12 % ces quatre dernières années, ce qui n’a évidemment plus aucun sens. Il est bien plus pertinent de les comparer à la marge. Les frais de personnel absorbent désormais plus de 40 % de la marge (contre 35 % en 2022 et 2021, et 37 % en 2020). Ce ratio a ses limites. En effet, il s’agit d’une moyenne, sachant que certaines régions atypiques, comme celles à proximité de la Suisse, atteignent les 46 % et qu’il apparaîtra compliqué de payer moins bien ses collaborateurs. Aussi il sera plus pertinent de s’intéresser à la marge dégagée par personne (97 000 € en moyenne en 2023, selon les statistiques d’AdéquA).


 

Du côté financier et du marché de la transaction des officines, Olivier Delétoille rappelle que 1 million emprunté sur 12 ans à 4 % au lieu de 1 % occasionne un surcoût pour l’acquéreur de 155 000 € net d’impôt sur les sociétés. De fait, la répercussion sur la valorisation du fonds est immédiate. Un pharmacien, par exemple, a acheté une officine 2 millions d’euros en 2020 (soit 83 % du CA). Elle dégageait à l’époque une rentabilité de 342 000 €. Quatre ans plus tard, le CA s’est développé, certes, mais ses charges d’exploitation aussi, tout cela dans la mouvance de l’évolution moyenne de la profession. Le titulaire met en vente l’officine, cependant, comme la rentabilité envisagée en 2024 est la même qu’en 2020 et que les taux d’intérêt ont augmenté entre-temps, la valeur du fonds approchée par l’acquéreur sera de 1,7 million environ (2 millions ; le surcoût financier lié au taux d’intérêt), soit… 61 % du CA pour les nostalgiques de la référence au chiffre d’affaires !