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Gazon béni

Publié le 12 avril 2019
Par Francois Pouzaud
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Il ne s’agit désormais plus d’une reprise des transactions d’officines : après une troisième année consécutive de hausse du nombre de mutations, le marché s’est installé durablement dans le vert. Prix calés sur la valeur économique des fonds, papy-boom, multiples formes de soutien à l’apport personnel, l’animation des cessions ne semble pas près de fléchir.

Porté par les départs à la retraite et des prix désormais corrélés à la rentabilité, conforté par une économie stabilisée, soutenu par les aides à l’installation des jeunes qui, motivés par l’évolution et les enjeux du métier, s’installent de plus en plus tôt, le nombre de cessions de pharmacies a continué de progresser en 2018. Pour la troisième année consécutive, le marché enregistre une hausse du nombre de cessions de fonds et de parts, à corréler avec le nombre record de départs à la retraite l’an dernier (plus de 1 620 recensés par la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens, soit + 20 %).

1 580 mutations ont été enregistrées. C’est 5 % de plus qu’en 2017, année elle-même en augmentation de 9 % par rapport à 2016. L’animation ne se dément pas, surtout du côté des cessions de fonds ou apports en sociétés (environ 1 020 cessions, + 6 %). «   L’accélération des ventes de fonds s’explique par le fait que l’exploitation individuelle représente encore une part importante chez les seniors   », commente Serge Gilodi, président de Serendipity Conseil.

Pour les cessions de parts sociales, l’embellie est moindre. Un tassement de la croissance sur ce marché, pourtant appelé dans quelques années à dépasser en nombre celui des cessions de fonds, se fait même sentir : + 2 %, soit 560 cessions de parts, contre 11 % en 2017. La fluidité retrouvée du marché se traduit par un taux de rotation de 75 pour 1 000 officines contre 72 pour 1 000 officines en 2017. « Mais aussi par un raccourcissement des délais pour trouver un acquéreur et conclure les opérations depuis que les vendeurs se sont mis aux prix du marché », complète Christian Hayaud, directeur du cabinet Villard (réseau PSP).

Pour Jérôme Capon, directeur du réseau d’Interfimo, le marché est bien parti pour s’inscrire durablement à la hausse : « C’est obligatoire ! La mobilité va forcément croître si l’on regarde la pyramide des âges, les départs à la retraite vont encore davantage fluidifier les sorties. »

Les prix sont stables depuis 4 ans

La certitude des acteurs se renforce et l’ambiance est finalement assez sereine dans un marché mature où le prix de cession moyen national n’évolue plus, ni à la hausse, ni à la baisse. Pour la quatrième année consécutive, il est stable à 76 % du chiffre d’affaires hors taxes. La valorisation en multiple de l’excédent brut d’exploitation (EBE) enregistre, en revanche, un recul du prix de cession moyen national. Ce recul reste léger (0,2 point) à 6,1 fois l’EBE. Une baisse en trompe-l’œil après un rebond de 0,1 point en 2017. « Elle correspond simplement à un ajustement de marché, il y a une correction mathématique à la baisse du coefficient multiplicateur du fait que les EBE 2017 ayant servi à la fixation des prix de 2018 ont grimpé, explique Jérôme Capon. Le marché est soumis à ces coups d’accordéon mais la tendance des prix est stable. Avec un tassement de l’EBE en 2018, on peut s’attendre à ce que le coefficient multiplicateur de l’EBE remonte à 6,2 l’an prochain. »

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Sur la stabilité des prix à long terme, rien ne peut jamais être prédit, mais celle-ci est bien ancrée. « Le choc psychologique est passé, les cédants ont compris qu’ils ne pourront plus miser sur une reprise des prix. Bon nombre de sexagénaires n’ont plus de raisons d’attendre indéfiniment et de différer leur départ à la retraite », recommande-t-il. Il en aura fallu du temps, mais le marché est entré dans l’âge de raison. « En 2013, dans sa première plaquette des prix de cession des officines, Interfimo écrivait déjà que le chiffre d’affaires même hors taxes n’était plus une référence satisfaisante. Seule une approche du prix par rapport à la rentabilité peut mettre d’accord durablement vendeurs, acquéreurs et banquiers », rappelle Jérôme Capon.

Comme le souligneMarie- Gabrielle Tingaud, présidente du cabinet Channels, le marché est entre les mains des acheteurs. « Il y a 2 ans de cela, 3 vendeurs m’avaient confié un mandat de vente de leurs fonds de pharmacie à un prix élevé , raconte-t-elle. N’ayant trouvé aucun repreneur au bout de 6 mois, ils ont arrêté la vente. Aujourd’hui, ils m’ont confié un nouveau mandat au prix du marché et les transactions sont en train de se réaliser. »

Un marché plus que jamais à deux vitesses

Comme les années précédentes, l’apparente stabilité des prix est trompeuse. Elle recouvre des évolutions toujours divergentes selon la taille des pharmacies et leur emplacement : un recul des prix des plus petites officines et une progression constante des prix des établissements les plus importants, dont l’attractivité augmente avec l’effet de rareté. Entre les pharmacies de moins de 1,2 M€ qui subissent une désaffection des acquéreurs et celles très courues de plus de 2 M€, près de 24 points en qui concerne le prix moyen les séparent. Pour Serge Gilodi, « le marché est devenu rationnel, les écarts se creusant dans les rentabilités, ils se creusent aussi au niveau des prix ».

Cette évolution du marché pose cependant la question du devenir des petites officines qui ne trouvent pas repreneur, plus particulièrement en milieu rural. « Les officines de CA HT inférieur à 1 M€ représentent moins de 10 % de l’ensemble des transactions réalisées, livre Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet Lecoeur, Leduc et associés et président du groupement CGP. Malgré les concessions sur les prix, les vendeurs de ce type d’officines peinent à trouver un éventuel acquéreur en raison du manque de perspective. » Et Jean-Luc Guérin, directeur général de Pharmathèque, de préciser sur le décrochage important des prix des petites officines : « Pour les officines de moins de 1 M€, il n’y a pas de règles, on est dans une relation d’offres et de demandes. »

Apport boosté, prix gonflés ?

La multiplication des boosters d’apport (le dernier arrivé étant celui de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens avec son fonds d’investissement professionnel), si elle fluidifie incontestablement le marché, pourrait accroître la demande sur les « belles » affaires, et être un facteur de renchérissement des prix sur les officines de plus de 2 M€, comme l’avaient été les sociétés d’exercice libéral (SEL) au moment de leur introduction en officine. « Il ne faudrait pas recréer une bulle spéculative sur ces affaires », espère Jérôme Capon, constatant que certains fonds d’investissement sont prêts à surpayer des officines et créent des effets de groupe sur des pharmacies « commerciales et touristiques » qui sont sorties définitivement du marché.

Une crainte partagée par Christian Hayaud mais pas par Jean-Luc Guérin. « Le booster d’apport est en adéquation avec l’apport réel du primoaccédant puisqu’il permet de le doubler. Si cet apport personnel est faible, même boosté, il ne permettra pas de rentrer dans des jeux de surenchères », explique-t-il. « Les booster d’apport, c’est ce qui permet de redonner des couleurs au marché intermédiaire (les officines de 1,2 à 1,5 M€ de CA), mais pas de se projeter, quand l’apport est faible, sur des officines de plus de 2 M€ », abonde dans le même sens, Michel Watrelos, expert-comptable du cabinet Conseils et auditeurs associés. 

À RETENIR


•   En 2018, 1 580 mutations d’officines ont été enregistrées, soit 5 % de plus qu’en 2017.

•   Le taux de rotation pour 1 000 officines est de 75.

•   Le prix de cession moyen national s’établit à 76 % du CA HT (6,1 fois l’EBE).

•   Près de 24 points peuvent séparer les pharmacies de moins de 1,2 million d’euros et celles de plus de 2 millions d’euros en ce qui concerne le prix moyen.


REPÈRES 

LES 6 POINTS À RETENIR SUR LES PRIX ET VALEURS DES PHARMACIES

PAR FRANÇOIS POUZAUD – INFOGRAPHIE : laurence krief