« Les investisseurs ne prennent pas de risque, ils se reposent sur une solvabilisation par l’Assurance maladie »
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« Les investisseurs ne prennent pas de risque, ils se reposent sur une solvabilisation par l’Assurance maladie »

Publié le 2 novembre 2024
Par Oriane Raffin
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Sénatrice et pharmacienne, Corinne Imbert a mené une mission d’information sur la financiarisation du secteur de la santé. Son rapport met en lumière les dangers de cette pratique, particulièrement dans le secteur officinal.

 

 

Quelles dynamiques ont motivé les sénateurs à lancer une mission d’information sur la financiarisation de l’offre de soins ?
Avec la financiarisation de certains établissements de santé, de biologie médicale, et plus récemment de la radiologie, il nous est apparu indispensable d’examiner de plus près ce phénomène devenu central dans le domaine de la santé. Sans volonté de généraliser, il est toutefois impossible d’ignorer l’impact du scandale Orpea. L’objectif de notre rapport est avant tout d’alerter et de définir un cadre pour éviter que les effets pervers de la financiarisation n’affectent toutes les composantes du système de santé.

 

Pourquoi le secteur de la santé est-il particulièrement en proie à ce phénomène ?
Dans ce secteur, en particulier, les investisseurs ne prennent pas beaucoup de risques, car ils se reposent sur une solvabilisation par l’Assurance maladie. Or, à terme, ils obtiennent des droits de vote importants dans le montage des sociétés, sans être des professionnels de santé.

 

Pourtant, au départ, le système de financiarisation semble vertueux…
Prenons l’exemple des radiologues : afin de garantir des soins de qualité dans l’intérêt des patients, des investissements importants sont souvent nécessaires. Un professionnel de santé isolé n’a pas toujours les moyens de les réaliser. Plus les besoins en investissement sont élevés, plus la probabilité de faire appel à des investisseurs extérieurs augmente. C’est ainsi que commence la financiarisation : le professionnel devient alors redevable au fonds qui l’a soutenu financièrement.

 

Quels sont les stratégies et mécanismes par lesquels les fonds d’investissement s’intègrent au sein du secteur des officines pharmaceutiques ?
Dans le cas des pharmacies, la concentration de l’offre officinale, induite par les mesures de régulation des dépenses, entraîne une hausse de la moyenne du chiffre d’affaires. Si nous ne sommes pas attentifs, les effets se verront dans quelques années, lors de la cession. C’est à ce moment-là que des acteurs de la financiarisation peuvent entrer au capital. Quelques situations actuelles nous font dire qu’il y a un danger et qu’un encadrement est nécessaire. Jusqu’ici, le secteur reste préservé grâce à la modification de la loi de 2019, rendant obligatoire d’être pharmacien diplômé pour être actionnaire d’une société d’exercice libéral. Sans ce texte, je pense qu’on en serait au même niveau que les laboratoires de biologie médicale.

 

Les fonds d’investissement parviennent tout de même à s’immiscer dans les officines…
Nous constatons effectivement que certains groupements permettent à des fonds d’investissement de fournir des financements servant d’apports personnels aux pharmaciens, qui peuvent ainsi accéder aux emprunts nécessaires pour acquérir une officine. Les montages financiers sont souvent complexes et difficiles à retracer.

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Dans quelle mesure la fragilisation économique des officines contribue-t-elle à leur financiarisation ?
Le contexte économique actuel, marqué par les coupes budgétaires répétées de la loi de financement de la Sécurité sociale, affaiblit le réseau officinal, le rendant vulnérable. En 2024, un effort de 1,5 milliard d’euros est demandé, notamment sur le prix des médicaments et des dispositifs médicaux. Les baisses de prix affaiblissent certaines officines, ouvrant la porte à des investisseurs extérieurs susceptibles de proposer des solutions.

 

Quels risques ces investissements font-ils peser sur la profession pharmaceutique ?
Le pharmacien titulaire peut perdre son indépendance ou être contraint de suivre des choix imposés par les investisseurs financiers dans son exercice quotidien, que ce soit en matière de fournisseurs, de génériques ou même d’experts-comptables. Ces investisseurs recherchent avant tout des retours financiers à court terme, ce qui peut les pousser à développer des secteurs plus rentables, comme la parapharmacie, au détriment de la vente de médicaments. Ainsi, le pharmacien pourrait ne plus être maître de ses décisions d’achat.

 

La financiarisation représente-t-elle une menace pour le maillage territorial des officines pharmaceutiques ?
Actuellement, la pharmacie d’officine demeure un exemple d’aménagement du territoire, grâce à des professionnels en grande majorité indépendants. Il est crucial de préserver cette indépendance, sans quoi la profession se tirera une balle dans le pied. Chez les biologistes, par exemple, si l’accès territorial aux sites de prélèvements reste assuré, les analyses sont désormais centralisées, ce qui rallonge les délais pour obtenir les résultats. Cela soulève des questions quant à la qualité de la prise en charge des patients.

 

Comment les pharmaciens réagissent-ils face à cette financiarisation ?
Des solutions alternatives sont mises en place par des acteurs tels que la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens, qui aide les jeunes pharmaciens à s’installer, suivant un modèle éthique de soutien professionnel, sans recours aux investisseurs extérieurs. Des coopératives et syndicats de pharmaciens œuvrent également pour fournir des solutions alternatives à la financiarisation. On observe une réflexion au sein de la profession pour développer des mécanismes de solidarité interprofessionnelle en faveur des jeunes confrères.

 

Comment les ordres professionnels se positionnent-ils sur cette question ?
Les conseils nationaux des ordres demandent un soutien, car ils ne disposent pas toujours de l’expertise nécessaire pour analyser les montages complexes associés à la création de sociétés. Il est parfois très difficile de comprendre certains schémas d’organisation.

 

Quelles solutions institutionnelles préconisez-vous ?
Dans notre rapport, nous recommandons de renforcer l’expertise des ordres professionnels pour les aider à mieux encadrer la constitution des sociétés. Nous avons également constaté que certains financeurs prennent contact avec des étudiants en fin de cursus pour leur proposer des financements facilitant leur installation. Il nous semble essentiel de former dès l’université les futurs professionnels de santé à ces enjeux économiques. Notre objectif principal est de préserver l’indépendance des professionnels de santé.

               

Bio

1984

Diplôme de docteure en pharmacie à la faculté de Limoges (Haute-Vienne)

2006

Élue maire de Beauvais-sur-Matha (Charente-Maritime)
2014

Première femme sénatrice de la Charente-Maritime

2024

Rapporteuse du rapport du Sénat sur la financiarisation de l’offre de soins