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Le marché redescend de son nuage

Publié le 3 décembre 2022
Par Francois Pouzaud
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L’année 2021 a été une année historique pour le marché de la transaction d’officines. Selon toute vraisemblance, 2022 ne sera pas un aussi bon cru en termes de volumes.

Nous restons sur un marché assez proche des années 2018 et 2019 », souligne Jérôme Capon, directeur du réseau d’Interfimo. Avant le Covid-19. La nouvelle convention pharmaceutique orientée « métier » et la crise sanitaire ont relancé la dynamique des transmissions (regain des jeunes diplômés pour l’installation, attrait pour les nouvelles missions du pharmacien, surperformance de l’entreprise pharmacie avec les missions « Covid-19 », confiance renforcée de la population envers son pharmacien, départ précipité à la retraite de certains seniors fatigués par la crise sanitaire traversée…).

Le premier semestre 2021 avait enregistré un chiffre record lié à des reports d’opérations de 2020. Dans ces conditions, franchir un nouveau record de transactions (1 600 en 2021 contre 1 503 en 2020) s’avérera difficile sur l’exercice 2022. Au cours du premier semestre 2022, le nombre de transactions enregistrées a été en recul de 7 % par rapport au premier semestre 2021, avec 789 cessions de fonds et de parts. Dans la continuité de ce premier semestre, « le marché s’est un peu ralenti en juillet et août sous l’effet d’une ambiance générale maussade (inflation, contexte international…) », note Jean-Luc Guérin, directeur général de Pharmathèque.

Doucement mais sûrement, les transmissions de parts s’apprêtent à prendre le dessus sur les ventes de fonds. « Les cessions de parts représentent désormais plus de 45 % des transactions contre 42 % en 2021 », signale Jérôme Capon. Elles sont majoritaires dans les opérations portant sur un chiffre d’affaires (CA) supérieur à 2 M€.

L’effet d’aubaine de l’amortissement du fonds commercial n’a pas eu d’impact visible sur les chiffres du premier semestre, cette mesure étant trop récente pour en voir les effets. « Les ventes de fonds reculent de 13 % sur cette période », précise-t-il.

La fracture des prix s’accroît

Si le marché est globalement toujours aussi actif, la différence d’amplitude des demandes est encore plus grande entre les officines selon la taille. « Avec les boosters d’apport, les choix des acquéreurs se reportent toujours davantage sur des affaires de 2 M€ de CA et plus, alors que les petites officines ont de plus en plus de mal à trouver un repreneur », indique Michel Watrelos, expert-comptable du cabinet Conseils et Auditeurs Associés.

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De même, la fracture s’est encore accentuée cette année entre petites et grandes officines en matière de croissance de CA, de rentabilité et donc de valorisation des fonds. Les plus grosses pharmacies ont progressé au niveau de leurs prix et se vendent plus cher qu’avant. « En raison des bilans présentés aux acquéreurs qui intègrent désormais un premier trimestre 2022 qui a surperformé, la surenchère est entretenue sur les belles affaires qui peuvent se vendre 100 % du CA HT, voire plus », rapporte l’expert-comptable.

Au contraire, les petites pharmacies avec moins de moyens (notamment pour réaliser les missions « Covid-19 ») s’écartent progressivement du prix moyen de cession 2021 d’Interfimo (78 % du CA HT, 6,3 fois l’excédent brut d’exploitation, ou EBE), avec des prix de vente en baisse, sur un marché pourtant haussier sur les six premiers mois de l’année, selon la tendance rapportée par Jérôme Capon. Cette évolution diamétralement opposée des écarts-types rend les moyennes complètement inexploitables. Une tendance qui devrait perdurer.

Pour Jean-Luc Guérin, les statistiques d’Interfimo sous-évaluent les prix de cession. « Elles prennent en considération le CA non retraité des missions “Covid-19”, mais si l’on extrait ce CA exceptionnel, le prix exprimé en pourcentage du CA HT hors « Covid-19 » est 10 % plus cher », explique-t-il.

Des inquiétudes pour 2023

Le retour de l’inflation et la guerre en Ukraine ont sonné la fin d’un loyer de l’argent presque gratuit. « Une augmentation des taux d’intérêt de 0,5 % à 2 % et des charges d’exploitation est d’une logique implacable : la capacité de remboursement d’un acquéreur en sera affectée, ce qui aura une conséquence automatique sur les prix, s’attend Hervé Ferrara, du cabinet Pharmacessions. Entre un emprunt de 1 M€ sur 12 ans au taux de 0,5 % et le même à un taux de 2 %, la différence de coût est de plus de 95 000 € pour l’acquéreur, soit 9,5 % de coût supplémentaire ! » Pour l’instant toutefois, les prix ne baissent pas en raison de l’inertie du marché. « Les acquéreurs se précipitent pour acheter avant que les taux ne montent trop haut », constate Marie-Gabrielle Tingaud, responsable du cabinet Channels. Même si les taux étaient déjà montés par le passé de 13 à 15 % avant de retomber à un niveau moyen raisonnable de 4 à 6 %, « la hausse des taux peut modifier la fluidité du marché », estime-t-elle.

L’inflation a aussi un impact psychologique sur les cédants. « Pendant le Covid-19, on a ressenti des vendeurs très exigeants vis-à-vis de leurs prix de vente mais, sur ce second semestre, ils reviennent à la raison », témoigne Claude Artaud, directeur général de L’Auxiliaire Pharmaceutique.

Mais ce qui inquiète le plus Michel Watrelos, c’est de voir apparaître dans les dossiers des taux de marge à la baisse, à 25 à 27 %, sous l’effet de l’augmentation des ventes de médicaments chers. « C’est effrayant, ce type de taux se rencontre même pour des pharmacies de 3 à 4 M€, il n’est pas toujours visible du premier coup d’œil quand les comptes de résultat font un amalgame des activités ou lorsque les soldes intermédiaires de gestion ne sont pas présentés à l’acquéreur », alerte-t-il. De plus, avec l’augmentation des charges d’exploitation et de la masse salariale, et les menaces qui planent sur le marché des génériques, il s’attend à une baisse significative de la rentabilité des officines en 2023. « Les belles affaires ne pourront être rachetées que par des pharmaciens en deuxième installation qui devront accepter de mettre un apport plus important si les prix ne baissent pas », annonce-t-il, sans cacher que, pour lui, 2023 sera une année difficile.

CONTRIBUTEURS

CLAUDE ARTAUD

(L’Auxiliaire Pharmaceutique)

JÉRÔME CAPON

(Interfimo)

HERVÉ FERRARA

(Pharmacessions)

JEAN-LUC GUÉRIN

(Pharmathèque)

MARIE-GABRIELLE TINGAUD

(Channels)

MICHEL WATRELOS

(Conseils et Auditeurs Associés)

L’analyse

La stabilité du prix de cession moyen recouvre des évolutions régionales contrastées : 7 régions (plus Paris et les départements d’outre-mer) connaissent une baisse de leur prix moyen, 6 sont en hausse. Aucune n’est stable. La plus forte augmentation est observée en Bretagne, l’une des régions traditionnellement parmi les plus chères, avec la Provence-Alpes- Côte d’Azur (Paca) et les Pays de la Loire.

Les régions les moins valorisées sont l’Ile-de-France (plus Paris) et la Bourgogne-Franche-Comté.

L’analyse

Huit régions (plus Paris) enregistrent une hausse, tandis que 3 régions accusent une baisse (Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine et Paca) auxquelles s’ajoutent les départements d’outre-mer. Normandie et Auvergne-Rhône-Alpes sont les deux seules régions stables. Globalement, les variations d’une région à l’autre sont faibles, avec une tendance au recentrage des prix de vente autour de la moyenne.Comme en 2020.