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L’atout prix
Comment transformer une pharmacie de banlieue qui « ronronne » en spécialiste des bas prix tout en augmentant le chiffre d’affaires de 60 % ? Catherine et Philippe Randazzo ont une recette. Zoom sur une mutation menée à vitesse V.
Une chose est certaine, les époux Randazzo ont du caractère et de l’expérience. La Pharmacie Rouget de Lisle, achetée en 2008 à Choisy-le-Roi, est leur quatrième acquisition ! Au fil du temps, ce duo, qui a aussi piloté une maison de retraite, a appris à déceler la « bonne affaire ». A leur arrivée à Choisy, la Pharmacie Rouget de Lisle leur semble ronronner. Ils avaient raison. Depuis quatre ans, ils font grimper le chiffre d’affaires de 15 % chaque année. Le secret de cette réussite ? Un cocktail maison d’expertise de la négociation, d’audace et de travail.
Installée au croisement des deux plus importantes lignes de bus du Val-de-Marne, la Pharmacie Rouget de Lisle bénéficie d’une belle visibilité dans un large carrefour très passant. Dès le début, les Randazzo sentent le potentiel d’un tel emplacement. Ils remontent leurs manches et se répartissent les tâches. Madame s’occupe de la parapharmacie et du management, Monsieur, du médicament et de l’intendance. Pas question de chômer, ils montrent l’exemple à une équipe « fossilisée » dans un train-train quotidien (trop) tranquille. Les titulaires sont présents tous les jours, y compris pour recevoir les colis, les déballer et gérer les flux de produits. Et pas question de mollir car leur stratégie repose sur l’augmentation de l’offre en parapharmacie et en médication familiale.
Para en stock
Dès la reprise, Catherine Randazzo sollicite les marques de cosmétiques et négocie leur arrivée dans cette pharmacie qui ne fait alors que 1,8 million d’euros de chiffre d’affaires. La pharmacienne aime le défi. C’est une battante. Elle aime convaincre. Catherine Randazzo n’a, par exemple, pas hésité à faire appel à l’un de ses anciens directeurs régionaux pour persuader un commercial local de l’accompagner dans son nouveau challenge. Son objectif : décrocher de bonnes conditions commerciales pour pouvoir proposer des prix bas… en sauvegardant la marge. Fine négociatrice, elle connaît les vraies limites des laboratoires de par ses précédentes officines. Et mène activement les discussions avec les marques. Ça passe ou ça… passe. Elle peut faire preuve de patience pour remporter la mise.
Pour s’assurer de meilleures remises, les titulaires prennent aussi le risque de gonfler leurs stocks en dermocosmétique. En peu de temps, la Pharmacie Rouget de Lisle retravaille ou récupère des marques généralistes comme La Roche-Posay, Nuxe, René Furterer, Caudalie, Vichy… « Pour devenir une pharmacie de référence en para, il faut proposer les marques de référence. Ici, à notre arrivée il n’y avait pratiquement qu’Avène. Or le choix fait vendre, explique Catherine Randazzo. J’ai demandé des efforts commerciaux aux labos, ce que je n’aurais pas osé faire sans avoir de l’expérience. » L’officine se met aussi à référencer des gammes ethniques comme Château Rouge et Mela’Aura pour satisfaire ses clients maghrébins et africains. En 2008, le médicament remboursé générait 80 % et la para moins de 5 %,. Aujourd’hui, ces pourcentages sont passés à 69 % et 16 %.
Linéaires revisités
Face à l’afflux de nouvelles marques, l’équipe a dû s’adapter et « digérer » les spécificités de chacune. Au début, les laboratoires défilaient plusieurs fois par semaine, entre midi et deux, pour présenter leurs gammes. Aujourd’hui, l’officine ouvre en continu pour attirer la clientèle de bureaux alentour. Et le référencement de nouvelles marques a ralenti. Ralenti mais pas stoppé. En 2012 encore, Eucerin, SVR, Dermagor et Lierac ont rejoint les linéaires.
En parallèle à l’augmentation du nombre de références de para, l’officine commande davantage d’OTC. L’objectif demeure le même : faire baisser le prix de vente. Ici, la boîte de Fervex est aujourd’hui vendue 2,90 €. Depuis le changement de tarif en décembre 2011, les rotations ont triplé. CQFD. Dans le point de vente, il a fallu trouver des astuces pour faire de la place afin d’implanter les nouvelles marques. Y compris de nouveaux rayons comme ceux de l’aromathérapie et des compléments alimentaires. Rapidement, les linéaires sont agrandis. Les tiroirs de stockage du bas sont retirés pour présenter des produits du sol jusqu’à la frise de signalétique. Plus tard, en 2010, le local « orthopédie », situé à l’extrémité droite, est transféré dans le back-office. La surface de vente gagne une dizaine de mètres carrés. Quant au parcours client, il demeure difficile à optimiser dans cette officine en forme de L. La « branche » du bas correspond à la zone « beauté » avec la dermocosmétique, les soins capillaires et les offres haut de gamme. A son extrémité, deux caisses font face à des bacs promotionnels. La « branche » verticale, à gauche de l’entrée, rassemble les produits plus médicaux comme le dentaire, les compléments alimentaires puis le libre accès. Les trois caisses de délivrance se situent au fond. Le rayon bébé s’étend près de l’entrée.
Promos repérables
« Avant, dans cette officine, même face à un bon prix le client n’avait pas l’impression d’une bonne affaire. Il faut communiquer sur nos prix bas et le dire à la clientèle », insiste Catherine Randazzo. Une théorie qu’elle a mise en pratique. La pharmacie multiplie les messages pour faire connaître son nouveau positionnement prix. A l’extérieur, deux vitrophanies Plus Pharmacie annoncent les tarifs d’une douzaine de produits (les titulaires, qui n’avaient jamais été groupés, ont rejoint ce groupement pour ses vitrines très visibles). A l’intérieur, on remarque immédiatement les étiquettes rouges, imprimées au nom de l’officine et apposées sur tous les packagings. L’équipe les colle une par une sur chaque emballage La titulaire a bien conscience que sa démarche n’est pas esthétique. Mais ce côté communication un peu old school a un avantage : le client, parfois illettré dans le quartier, comprend tout de suite le prix de chaque produit. De plus, la couleur rouge en dit long sur les tarifs. Ici, l’image prix est cohérente jusque dans le décor. Même si l’officine référence des marques haut de gamme comme Caudalie, Nuxe ou Rogé & Gallet, l’aménagement, à la manière d’un supermarché classique, n’a rien de luxueux. Le point de vente est rempli d’affichettes dont le message porte sur les multiples animations : les « offres du mois », les opérations « – 20 % » sur une gamme, les lots à l’année… Une section « petits prix » a été implantée devant les caisses destinées à la délivrance des ordonnance, au niveau de la file d’attente. « Il faut toujours un événement. A chaque fois qu’il vient, le client doit trouver quelque chose de nouveau », relève la titulaire, qui pilote toutes les actions de promotions elle-même.
Accueil peaufiné
Les titulaires ont aussi la volonté de soigner l’accueil. Objectif encore et toujours : fidéliser et recruter. Catherine Randazzo, qui a suivi la formation « Master Conseil » de L’Oréal en 2007, a elle-même coaché ses troupes lors d’un atelier organisé à l’officine. Au programme : comment aborder le client, déterminer son besoin, avec quelles questions… Tout au long de l’année, la pharmacienne rappelle ses principes sur le comportement : « Etre gentil, c’est la base. Ensuite, il ne faut pas oublier les fondamentaux que sont l’accueil, la prise en charge, la petite attention, l’échantillon adapté au type de peau, la disponibilité… » De fait, à la Pharmacie Rouget de Lisle, même si quatre poussettes entravent le passage, on va à la rencontre du client. On vient le chercher à l’entrée, on l’accompagne dans les rayons… La consigne impose de passer devant pour saluer. Toutefois, l’équipe, fort occupée dans une officine qui a gagné 80 clients par jour rien qu’en 2012, n’a pas suivi de formation à l’extérieur. Et la fréquentation quotidienne ne cesse encore de croître avec 400 clients en moyenne sur le premier trimestre 2013 (contre 330 en 2012)! Les titulaires, débordés eux aussi, font passer les messages à leurs collaborateurs spontanément au pied levé. Un planning des promotions a cependant été installé en back-office depuis peu pour rappeler les opérations en cours.
Revers de la médaille
Ici tout est allé très vite. Le chiffre d’affaires, qui a gonflé de 60 % en 4 ans, vient de passer la barre des 3 millions d’euros. Avec un potentiel estimé à 4 voire 4,5 millions d’euros. Trois recrutements ont du être effectués pour gérer la fréquentation exponentielle. Revers de la médaille : l’image de l’officine a quelque peu pâti de l’effervescence soudaine. Selon deux audits menés par L’Oréal Cosmétique Active en 2011 puis 2012 (au cours des formations « Master pharmacien » et « Master retail »), la qualité de l’accueil accuse une baisse. Ce que confirme d’ailleurs la visite de notre client mystère (voir page 22). Du coup, le couple de titulaires projette de formaliser un règlement intérieur que Madame a déjà commencé à rédiger. Avec au programme l’accueil sur le point de vente et au téléphone, la délivrance de l’ordonnance, la distribution de cadeaux, le circuit des promis, la réception de commande… « Ce sera affiché et rédigé, et donc plus clair pour tout le monde, y compris les remplaçants. La priorité est de verrouiller l’accueil… » Jusque-là, le staff a néanmoins bien suivi le rythme que l’activité croissante impose. Toujours selon les audits, la clientèle n’a pas l’impression d’attendre. Autre motif de satisfaction, les clients perçoivent une amélioration du conseil. Enfin, malgré l’arrivée récente de l’enseigne de discount Leader Santé à proximité, l’image prix perdure aussi. Toutefois, il y a bel et bien surchauffe à la Pharmacie Rouget de Lisle alors même que l’activité poursuit sa progression.
Projets à éclore
Les titulaires se mettent en ordre bataille pour réagir. D’abord, 2013 devrait être l’année des bonnes résolutions en termes d’organisation. « Tout est dans ma tête. Ai-je envie de changer ? Oui, mais sait-on changer ? Chassez le naturel, il revient au galop ! J’ai commencé un calendrier prévisionnel des promotions, mais déjà je n’ai rien d’inscrit pour le mois prochain. C’est difficile. Les laboratoires préconisent un plan marketing annuel… mais aujourd’hui mon tempo est en phase avec celui de mes stocks, confie Catherine Randazzo. La délégation, c’est la prochaine étape à enclencher. » Par ailleurs, si les commandes sont vouées à rester élevées (« pas question de rupture quand l’activité affiche un tel dynamisme »), le recrutement de marques pourrait bientôt stopper. Catherine Randazzo estime qu’une officine ne peut dépasser les 20 % de parapharmacie au risque de devenir… un centre de para. « Certes, la dermocosmétique représente le soin de la peau, et répond à un besoin de santé. Mais le risque serait de perdre notre image de sérieux. Je veux rester pharmacien. » Elle y tient. D’ailleurs, le médicament n’est pas à la traîne. Au contraire il affiche une progression de 10 % ces derniers temps.
Principal changement en vue : des travaux sont envisagés cette année. Le back-office, envahi de stock, devrait être rationalisé. Un robot pourrait être installé derrière le comptoir de délivrance pour faciliter les flux de médicaments. En front-office, exit le miniporche de l’entrée pour gagner en surface de vente. Une ou deux caisses devraient rejoindre les cinq existantes. Les titulaires bouillonnent de milles autres idées. « Il faudrait créer des fiches à distribuer selon les types de peau, selon les pathologies, et aussi former l’équipe au conseil associé… », reconnaît Catherine Randazzo. Déterminée à avancer.
Pharmacie Rouget de Lisle Choisy-le-Roi (Val-de-Marne)
→ Equipe : 2 titulaires, 2 adjoints, 6 préparatrices
→ CA 2012 : 3,09 M€ TTC
→ CA 2011 : 2,64 M€ TTC
→ CA 2008 : 1,8 M€ TTC
→ Taux de marge remise génériques incluses : 27,5 % du 1/6/11 au 30/5/12 et 27,8 % du 1/6/10 au 30/5/11
→ Surface totale : environ 180 m2
→ Surface de vente actuelle : 70 m2
→ Fréquentation 2012 : 330 clients/jour
→ Panier moyen 2012 : 31 euros
→ Répartition :
• 69 % de médicaments remboursables
• 15 % de médication familiale
• 16 % de parapharmacie
→ Groupement : PharmaVie
→ Enseigne : non
FidélisationPari réussi !
La foule effraie-t-elle la clientèle ? Non, selon les audits menés en 2011 et 2012. L’officine est passée de 170 clients par jour à 400 en quatre ans, mais l’équipe s’est adaptée et les clients ne se plaignent pas de l’attente. Le cocktail « gentillesse et efficacité » fait oublier l’éventuelle queue. Par ailleurs, un premier audit montrait un « très fort » recrutement de clients et, selon le second audit, ces gens sont revenus. L’officine a réussi à fidéliser tout en continuant à recruter de nouveaux consommateurs. Non seulement elle a conservé la clientèle populaire locale, mais en ouvrant à l’heure du déjeuner elle a aussi recruté des clients travaillant dans les bureaux alentour. D’où l’implantation plus récente de marques comme Lierac, Sanoflore, SVR ou Roger & Gallet.
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