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Faut-il s’installer en période inflationniste ?

Publié le 10 juin 2023
Par Francois Pouzaud
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La hausse des taux met à mal la capacité d’endettement des acquéreurs. Si les prix de cession ne baissent pas en 2023, l’apport personnel sera la seule variable d’ajustement possible auprès de la banque.

 

Depuis plusieurs mois, les experts du marché des transactions de pharmacies attirent l’attention des acquéreurs sur le renchérissement des prix de cession sur les officines de plus de 1,5 M€ et sur la hausse des taux d’intérêt. « Cette remontée rapide des taux conjuguée aux conséquences de l’inflation en matière d’achats, de frais généraux et de frais de personnel aura des conséquences directes sur l’équilibre financier des opérations d’acquisition », met en garde Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet LLA et président du groupement CGP. « Avec un taux d’intérêt qui a bondi en un an de 1 % à 4 %, nous assistons à certains refus bancaires, rares ces dernières années. »

 

La vigilance des banques se renforce sur les prévisionnels d’exploitation des candidats à l’installation. Avec l’augmentation des coûts d’exploitation et le retrait des marges octroyées par les activités liées au Covid-19, les excédents bruts d’exploitation (EBE) vont s’affaiblir dans une période où ils devraient, au contraire, se consolider pour pouvoir couvrir la hausse des taux d’intérêt.

 

« Le candidat à l’installation devra être attentif aux effets induits sur les valorisations 2021-2022 des fonds de commerce transmis qui de nos jours sont obsolètes », poursuit-il. Les comptes d’exploitations prévisionnels se complexifient car ils doivent retraiter l’activité « Covid-19 » – exclusion du chiffre d’affaires (CA) à TVA à 0 % –, mesurer l’impact de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt sur la capacité d’endettement de l’emprunteur.

 

Ainsi, pour 1 000 000 € empruntés à un taux de 1 % sur 12 ans en 2022, les mensualités de remboursement sont de 7 372 €, soit des annuités de 88 464 €. En 2023, avec un taux de 4 % sur 12 ans, pour avoir la même mensualité (ou annuité) en 2023, le montant à emprunter doit être de 842 000 €, soit une baisse de 158 000 € et de 15,80 % du montant initialement emprunté.

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Vers un doublement de l’apport personnel ?

 

« Il y a trois pistes pour compenser la hausse des taux », expose Joël Lecoeur :

 

– une baisse des prix de cession, en les ramenant de 88 % du CA hors taxe (HT) à 74 %  ;

 

– une augmentation de l’apport personnel de 15 % à 30 % ;

 

– un allongement de la durée du crédit porté à 15 ans. Dans cette hypothèse, un emprunt de 100 000 € sur 15 ans au taux de 4 % correspond à une annuité de 88 762 € (à comparer aux 88 464 € précédents).

 

L’expert-comptable de LLA exclut tout allongement du crédit : « Pendant deux ans, la BNP a proposé ces durées de financement et ça n’a jamais fonctionné. » Notamment, parce qu’elles induisaient une hausse des prix de cession en améliorant la capacité d’endettement des acquéreurs.

 

Dans le cas d’une pharmacie à l’impôt sur les sociétés (IS) de 2,182 M€ avec un EBE de 231,7 k€, un prix de cession de 88 % du CA HT (1,868 M€), une quotité financée de 100 % par la banque à un taux de 4 % (soit un remboursement annuel de 196 200 €), il reste un disponible de – 15,5 k€  (après remboursement des annuités, rémunération du titulaire et paiement de l’IS). Un tel dossier sera rejeté par la banque. En revanche, l’hypothèse 2 (prix de cession de 74 % du CA HT : 1,567 M€) permet de diminuer la charge d’emprunt (annuité de 164 635 €) et de dégager un disponible, cette fois, positif de 13,1 k€. Ce dossier passera auprès de la banque.

 

En l’absence de cet ajustement des prix à la baisse, « nous courons tout droit à la financiarisation de la profession », met en garde Joël Lecoeur, estimant que les boosters d’apport initialement développés pour compléter l’apport personnel du jeune auront vocation à financer le « surprix » et que le recours massif à l’emprunt obligataire (obligations convertibles en actions, bons de souscription d’actions, etc.) conduira à de nouveaux abus (taux d’intérêt confiscatoire des bénéfices pour l’exploitant, prime de non-conversion, etc.).