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Référencement des médicaments : un refus sans appel

Publié le 15 octobre 2022
Par Francois Pouzaud
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Déjà repoussés en 2009, les appels d’offres sur les médicaments ont refait surface dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023. Ou comment le gouvernement compte reprendre aux pharmaciens l’argent gagné pendant la crise sanitaire liée au Covid-19.

La page du « quoi qu’il en coûte » pourrait définitivement être tournée avec le retour à une logique purement comptable du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023. Pire, le gouvernement projette de reprendre d’une main aux différents secteurs de la santé ayant participé à la lutte contre la pandémie de Covid-19 ce qu’il leur a donné de l’autre. Ce premier PLFSS de l’ère « après Covid » s’apprête à faire les poches des professionnels de santé qui se sont le plus enrichis – en oubliant qu’ils ont travaillé plus – pendant la crise. La facture concernant les baisses de prix des médicaments et des dispositifs médicaux s’élève à 1,1 milliard d’euros dans le PLFSS 2023, mais en additionnant toutes les mesures, le Leem (Les Entreprises du médicament) la chiffre même à plus de 3 milliards d’euros. Pour leur écot, les biologistes sont appelés à régler une note de 250 millions d’euros.

Comme le modèle économique de la pharmacie est désensibilisé à 75 % des baisses de prix sur le médicament remboursable, le gouvernement a trouvé un autre moyen, plus astucieux, de reprendre une grosse partie du 1,445 milliard d’euros de rémunération « Covid-19 » des officines en 2021. Dans son article 30, le PLFSS prévoit la possibilité de mettre en œuvre une procédure de référencement des médicaments et d’organiser tous les ans des appels d’offres sur les spécialités, notamment génériques. Corollaire de cette mesure : les produits non retenus ne seraient plus pris en charge par l’Assurance maladie.

Autre mesure imposée dans cette cure d’économie et d’austérité sur l’activité courante : le remplacement de la négociation au cas par cas des prix des dispositifs médicaux avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) par une marge réglementée. Quant à la baisse de prise en charge, passant de 100 % à 70 %, décidée par l’Assurance maladie sur les entretiens pharmaceutiques des patients sous antivitamine K (AVK), sous anticoagulants oraux directs (AOD) et asthmatiques, si elle est sans véritable conséquence économique pour l’officine, elle rappelle que la soutenabilité des dépenses de l’Assurance maladie passe désormais par plus de rigueur budgétaire.

30 % de résultat en moins

Amalgamer, comme le font le gouvernement et l’Assurance maladie, l’activité « Covid-19 » des officines, qui résulte d’une situation exceptionnelle et temporaire, et leur activité courante ne sera pas sans conséquences délétères en matière de santé publique : risques de ruptures d’approvisionnement déjà en forte croissance (+ 12,5 % en août dernier, doublement depuis le début de l’année), de confusion pour les personnes âgées (les appels d’offres rendant inapplicable la dispensation au patient de plus de 75 ans de la même marque pour un générique donné), capacité des pharmaciens à répondre aux enjeux des nouvelles missions et des services au patient.

En matière de retombées économiques, les syndicats pharmaceutiques et organisations de groupements, cosignataires d’un communiqué de divers représentants de la profession demandant le retrait immédiat de l’article 30, dénoncent un coup fatal qui serait porté au réseau officinal et à son écosystème. « Le générique représente 30 % de notre résultat net. Avec des prix cassés dessus, il n’y aura plus de marge ni de remises pour les pharmaciens », souligne Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officines (UDGPO). Potentiellement, les pouvoirs publics pourraient extirper au réseau 1,131 million d’euros de remises et prestations de services (chiffre de 2021).

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Un risque de destabilisation du réseau

« Les remises participent à l’équilibre économique des officines de pharmacie, rappelle Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Une modification de ce paramètre déstabiliserait fortement le réseau dans la mesure où la remise “génériques” représente près de 17 % de la rémunération des officines (hors Covid-19), selon l’Assurance maladie. Cette rémunération est incluse dans le suivi économique avec l’Assurance maladie et fait partie de l’équilibre trouvé au moment de la signature de l’avenant 11 qui acte le changement de rémunération. Nous ne voyons pas comment une telle somme qui est à la charge des laboratoires de génériques serait compensée par l’Assurance maladie. »

Si cette mesure était adoptée, les syndicats pharmaceutiques devraient intégrer ce séisme, qui ébranlerait l’économie officinale, dans les négociations de 2023 sur la rémunération avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam). Thomas Fatôme, son directeur, soutient l’objectif d’économies du gouvernement. « Les pharmaciens savent acheter et donc, concernant les logiques d’appels d’offres, il est compliqué de trouver cela complètement hors de portée ou hors de propos. Il est normal que le gouvernement envisage différentes modalités pour parvenir à une régulation de ses dépenses qui permette à la fois l’accès à l’innovation et d’avoir des dépenses soutenables », a-t-il défendu le 3 octobre devant les pharmaciens lors de la soirée de lancement du tour de France de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) sur la convention pharmaceutique.

« Cette mesure est trop violente », estime Julien Chauvin, président de la commission études et stratégies économiques à la FSPF. En effet, une étude d’impact des appels d’offres montre que cette mesure appliquée au groupe générique des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP, 288 M€ de chiffre d’affaires) sur lequel la remise générique est maximale (40 %), coûterait 115 M€ au réseau officinal, soit une baisse de marge moyenne de 5 500 € environ par officine. Selon lui, les appels d’offres ne devraient pas être généralisés mais seraient utilisés au coup par coup comme variable d’ajustement dans les économies à réaliser. En fait, leur usage serait identique à celui des tarifs forfaitaires de remboursement (TFR). Mais si le gouvernement devait reprendre à la profession le 1,131 milliard d’euros de remises, la perte de marge serait d’environ 55 000 € par officine, soit un montant proche de la rémunération de gérance nette moyenne d’un titulaire (59 000 €, source : statistiques CGP 2022). Et ce calcul ne tient même pas compte d’une économie possible de 45 millions d’euros supplémentaires sur les pansements, avec la mise en place d’une marge réglementée à 2 € pour les compresses, à 0,50 € pour les sparadraps…, bien en deçà de la marge pondérée actuelle sur ces articles de la LPPR.

Alors que les « ressources du Covid-19 » ne sont pas harmonieusement réparties entre toutes les officines, « ce serait une immense injustice que de reprendre de manière universelle à toutes les pharmacies les remises génériques. Pour celles qui n’ont pas bénéficié des profits liés à la crise sanitaire, ce serait la double peine », conclut Julien Chauvin.

Le retrait ou la grève

Les appels d’offres entraîneraient un déséquilibre économique et fragiliseraient l’ensemble des pharmacies, en particulier celles en milieu rural, situées dans les territoires les plus vulnérables, ce qui pourrait remettre en question le maillage territorial si indispensable et efficace, alors que la France n’en a pas encore fini avec la pandémie.

Il y a urgence à retrouver la voie du dialogue conformément à la promesse de nouvelle méthode faite par le gouvernement. Alors que le PLFSS 2023 vient seulement de commencer son marathon parlementaire, la profession est prête à faire grève si elle n’obtient pas gain de cause, avec le retrait pur et simple de cette disposition.

Récupérer les indus par extrapolation

Autre mesure inscrite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, dans le cadre du renforcement de la lutte contre la fraude des professionnels de santé : la récupération, par l’Assurance maladie, des indus au-delà des seules facturations abusives constatées, par « extrapolation » des résultats de contrôles par échantillon sur l’ensemble de l’activité. L’article 44 « permettra à l’Assurance maladie de calculer de manière plus exacte les préjudices subis du fait de la fraude de certains acteurs de la santé, et de demander à ceux-ci le remboursement des sommes indûment perçues », explique l’exposé des motifs. Des sanctions sur des fraudes supposées et non démontrées, impossibles à chiffrer car relevant du cas par cas.

À RETENIR

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 met à contribution les professionnels de santé qui ont vu leurs résultats performer grâce aux missions « Covid-19 ».

Parce qu’il ne peut pas récupérer la manne financière des pharmaciens directement via les baisses de prix des médicaments et des produits de santé, le gouvernement veut notamment mettre en place une procédure de référencement des génériques par appel d’offres. Seuls les médicaments retenus seraient remboursés par l’Assurance maladie.

Sans le retrait de cette mesure, la profession est prête à faire grève.