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Quand les candidats ne se ramassent pas à la pelle

Publié le 16 octobre 2021
Par Favienne Colin
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Manque de reconnaissance, faible évolutivité des postes, nouvelles mentalités… Alors que les nouvelles missions demandent toujours plus de temps aux professionnels de santé, recruter des préparateurs et des pharmaciens adjoints devient encore plus compliqué. Toutefois, il existe des leviers pour espérer embaucher. Tour de piste.

Cet été, j’ai recruté une préparatrice qui m’a finalement annoncé, 15 jours avant de commencer, qu’elle changeait de carrière car elle refusait de se faire vacciner. Depuis, je suis en sous-effectif. J’estime que l’obligation vaccinale a fait perdre 5 % des collaborateurs du réseau officinal, confie sans détour Laurent Filoche, président du groupement Pharmacorp et de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO). Pour recruter, la situation était déjà tendue, mais désormais, c’est dramatique. Le titulaire se retrouve parfois seul. Beaucoup d’adhérents, à bout, m’appellent. Ils ne parviennent à recruter ni préparateur ni adjoint. Or je n’ai pas de solution miracle ». Sa situation illustre le casse-tête des pharmaciens en matière de recrutement. Non seulement les métiers de préparateur et d’adjoint ne semblent plus attractifs, mais les professionnels de santé ont, comme beaucoup après les confinements, parfois des envies de changement. « Avant, j’avais toujours quelques CV sous le coude, maintenant, c’est plus compliqué. Je sollicite les sociétés d’intérim, mais elles rencontrent le même problème. J’ai eu écho d’un adjoint qui quittait son travail à l’officine pour devenir fleuriste », s’inquiète David Abenhaim, cotitulaire de la pharmacie Prado-Mermoz à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône (45 salariés), et président du réseau Pharmabest (2 600 salariés dans 98 officines). De fait, Appel Médical, réseau spécialiste du travail temporaire et du recrutement, reconnaît honorer seulement « 70 % des demandes en officines », selon Stéphane Volleau, en charge des agences « pharmacie » dans cette branche du groupe Randstad.

Et l’entière faute n’incombe pas aux titulaires. « Il s’agit d’un nouveau contexte sociétal », analyse Muriel Darniche, ex-titulaire et fondatrice de la société de recrutement Team Officine, qui remarque la souplesse qu’offrent certains secteurs d’activité, par exemple avec le télétravail. Dans cette conjoncture, des préparateurs et adjoints, conscients de la tension actuelle, tâchent de profiter de la situation. En toute logique avec la loi de l’offre et de la demande. Alors comment un titulaire peut-il mettre toutes les chances de son côté ?

Donner envie

Dans pareille situation, plus question de publier une annonce vide du type « Cherche préparateur, téléphoner au 01… ». Tous les recruteurs s’accordent pour dire que le texte doit être le plus détaillé possible : missions hors comptoir, horaires, facilités de transport (bus, parking gratuit), possibilité de logement (notamment pour les CDD, les zones touristiques), éventuelles permanences de nuit (debout ou couché), formations proposées… « Nous donnons un maximum de précisions car, en quelque sorte, nous vendons l’officine », explique Stéphane Volleau.

Aujourd’hui, la petite annonce efficace a tout l’allure d’une fiche de poste. Et qui dit fonction avec une spécialité, dit montée en compétence et attractivité pour des diplômés en quête de sens dans leur emploi. Mais encore faut-il avoir mis en place ce type d’outil managérial.

Donner envie peut aussi passer par une réorganisation des emplois du temps. « J’invite mes clients pharmaciens à organiser les plannings au moins huit semaines à l’avance et à réduire leur nombre. Parfois, ils tournent avec 12 plannings différents, je conseille de les limiter à deux de sorte que les candidats puissent se projeter », indique Julie Springer, fondatrice de LMJ Conseil, spécialisée dans l’accompagnement des officines pour le management et le commercial.

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Recruter d’autres profils

Face à la difficulté de trouver des préparateurs et des pharmaciens, certains s’orientent vers d’autres profils. Ainsi, des rayonnistes sont déjà recrutés pour soulager les préparateurs, des secrétaires pour l’administratif, des esthéticiennes dans les rayons de cosmétique, etc.

Aujourd’hui, la diversification peut aller beaucoup plus loin. « Plusieurs tâches pourraient être confiées à d’autres, comme la mise en place de procédures qualité, l’organisation des achats, la communication, l’administratif, l’informatique… Pour libérer du temps aux diplômés. Et développer les performances de la pharmacie ! », estime Muriel Darniche, prête à mener des audits pour estimer les besoins. « De telles recrues apportent de la mixité, de nouvelles pratiques, c’est très moderne », s’enthousiasme-t-elle.

Actionner son réseau

Anticiper, c’est aussi une manière de limiter les risques de se retrouver le bec dans l’eau. Une évidence pour Guileine Levy, titulaire à Rixheim, dans le Haut-Rhin, et créatrice bénévole du groupe Facebook Pharma Job Alsace. « La base c’est de former des apprentis », estime celle qui en recrute un nouveau chaque année et se fait épauler par une secrétaire pour l’administratif. Autrement dit, les titulaires ont la possibilité d’être proactifs et de se constituer un vivier de préparateurs. La cooptation peut être également une solution. Cela consiste à solliciter son équipe pour recommander quelqu’un en échange d’une prime. « Souvent le réseau s’ouvre tout à coup », observe Julie Springer. A condition d’y mettre les moyens. En officine, la consultante recommande une gratification de 500 € pour la personne qui a permis un recrutement. Sachant que dans d’autres secteurs d’activité, la carotte équivaut couramment à un salaire mensuel de la personne embauchée.

Diversifier ses méthodes

Dans le cas de besoins à temps partiel, d’autres optent pour la mutualisation du personnel. Ainsi, plusieurs officines peuvent bénéficier de compétences spécifiques (entretiens pharmaceutiques, conseils en huiles essentielles, etc.) et s’organiser en conséquence (ateliers, rendez-vous). « Il faut penser à “primer” la personne dans la mesure où l’emploi demande des déplacements, une suradaptabilité… Et éviter qu’elle ne serve de bouche-trou », estime Julie Springer.

La pratique est encore peu usitée en officine, mais le sujet est en cours de discussion au niveau national. « Comme le pharmacien consacre de plus en plus d’énergie aux services, la situation se complique. D’où notre réflexion, depuis quelques mois, sur la manière de mettre en place des emplois partagés », confie Alain Grollaud, président de la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacie (Federgy), qui compte sur les groupements pour remédier à la méconnaissance de cet outil. « On pourrait, par exemple, imaginer un livreur pour plusieurs pharmacies », lance-t-il pour alléger la tâche des professionnels au comptoir.

Valoriser sur le long terme

Les organisations professionnelles et syndicales envisagent aussi des solutions à plus long terme. Ainsi, l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) réclame des états généraux avec l’Etat, les représentants des pharmaciens en exercice et les étudiants, afin de se pencher collectivement sur le sous-effectif en préparateurs et adjoints. « Il nous faut établir un état des lieux, voir quelles zones sont moins attractives, en milieu rural ou au sein de villes comme Paris. L’objectif est de trouver des solutions qui tiennent compte des différences de coût de la vie selon les régions, peut-être un coefficient de majoration de prix de vente et de remboursement, comme c’est déjà le cas dans les Drom-COM. Et sur le plus long terme, une réflexion s’impose sur la manière d’augmenter le nombre de places pour les apprentis dans les CFA », estime Christophe Le Gall, président de l’UNPF et du groupement Le Gall Santé Services.

Déjà un premier diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques (DEUST) de préparateur technicien en pharmacie de niveau bac + 2, qui pourrait un jour se prolonger par une licence professionnelle, a été lancé en septembre 2021. Il laisse augurer une revalorisation du métier par rapport aux préparateurs titulaires d’un brevet professionnel (BP) comme actuellement et espérer une meilleure attractivité. « Mais attention, quelqu’un de mieux formé doit être mieux reconnu en matière de salaire », prévient Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de la branche officine de Force ouvrière (FO).

Concernant les pharmaciens, Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats des pharmacies d’officine (USPO), se veut plus optimiste quant à l’avenir de l’attrait du métier. « Depuis l’avenant 11 à la convention nationale et les entretiens pharmaceutiques, les doyens de faculté me disent que la filière officines repart. […] Mais l’autre problématique, c’est l’attractivité dans les zones sous-denses. On pourrait par exemple modifier le statut des élèves de 6e année, en le passant de stagiaire à interne », suggère-t-il. Ainsi, via l’agence régionale de santé, les lieux d’internat seraient établis en fonction des besoins des territoires. « Ce serait possible dès l’année scolaire 2022-2023 », ose espérer le syndicaliste. Reste à savoir combien de temps durerait cet internat et quelle en serait la rémunération.

27 966

C’est le nombre de pharmaciens inscrits à l’Ordre en section D en 2020 (28 207 en 2019 ; + 4,9 % depuis 2010).

Des astuces à effet immédiat

Les titulaires sont inventifs pour recruter ou éviter d’avoir à le faire en optimisant le temps. Quelques idées :

– embaucher un pharmacien étranger. Au sein de l’Union européenne, certains diplômes sont reconnus automatiquement. Le candidat doit s’inscrire au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) ;

– modifier les plages horaires. Ouvrir une demi-heure plus tard, fermer une demi-heure plus tôt, voire entre 12 h et 14 h, ou le samedi après-midi. Attention à ne pas s’exposer à une perte de clientèle ;

– s’équiper d’un robot après avoir validé la faisabilité technique et financière.

62 %

C’est le pourcentage de pharmaciens adjoints inscrits à l’Ordre travaillant à temps plein.

À RETENIR

– Avec les nouvelles missions, la crise sanitaire, l’obligation vaccinale, etc., les titulaires d’officine font face à un manque de candidats et rencontrent des difficultés de recrutement.

– Donner envie, réorganiser l’équipe, former et proposer des montées en compétences, mutualiser les emplois… sont autant de leviers pour espérer embaucher.

– Au déficit d’attractivité des métiers dû au manque d’évolution des postes, à l’amplitude horaire… s’ajoute l’attrait insuffisant des zones sous-denses, auquel des solutions régionales sont envisageables.