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PRÉCAIRES MAIS LIBRES

Publié le 3 décembre 2011
Par Marie Luginsland
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Certains pharmaciens ont fait le choix de l’intérim et travaillent d’une officine à une autre en faisant des remplacements. Pourquoi optent-ils pour ce mode de vie ? Quels sont ses atouts ? Témoignages.

Courant en début d’activité, l’intérim peut aussi être considéré comme le point d’orgue d’une carrière. Ainsi, sous couvert d’anonymat, cette ancienne titulaire de 75 ans raconte qu’elle effectue en moyenne, depuis 2007, une semaine de remplacement par mois. « C’est une façon de rester en lien avec la vie active. Dans ces conditions, je ne sens pas la fatigue ». Elle ne craint pas de faire une heure de trajet en banlieue parisienne pour remplacer un titulaire au pied levé. A chaque fois, elle devra en outre s’adapter à un logiciel méconnu et à une nouvelle équipe.

L’intérim comme un tremplin de carrière pour les jeunes

Tous les profils d’intérimaires ne sont pas aussi extrêmes. « Les jeunes diplômés, âgés de 26 à 35 ans, trouvent dans l’intérim des chances d’accroître leur expérience professionnelle avant de se lancer dans l’installation », constate Jean-Luc Sicnasi, directeur général de la société d’intérim 3S Santé. C’est aussi une façon de sonder le marché et d’investir une région. « Il arrive qu’au cours de leur intérim ces jeunes tombent sur un pharmacien qui a envie de céder. Cela permet une reprise en douceur », précise Armand Grémeaux, patron de Pharm-Emploi, un cabinet de recrutement en pharmacie.

Mais il arrive aussi qu’à l’inverse, loin de s’installer, ces jeunes pharmaciens prennent goût à la liberté. « Il y a une population de pharmaciens de 30 à 50 ans, et même plus, qui n’ont pas de volonté de s’installer ni d’intégrer une officine », confirme Jean-Luc Sicnasi. Ces intérimaires ont recours aux cabinets spécialisés, mais le plus souvent fonctionnent sur leur portefeuille de clients fidélisés au fil du temps par réseau et par les sites Internet. Ils gagnent 10 % de plus, en moyenne, que leurs confrères en poste et passent d’une à trois semaines dans la même pharmacie. En contrepartie, ils n’hésitent pas à rayonner dans une zone de 50 à 150 kilomètres de leur domicile. Et ils acceptent de dormir dans des chambres d’hôte, à l’hôtel ou encore dans le studio réservé aux gardes. « Autre profil : le titulaire quadragénaire, à la recherche d’un nouvel achat, qui a recours à l’intérim pour ne pas perdre la main et générer des revenus pendant cette période de transition », poursuit Jean-Luc Sicnasi.

Privilégier son épanouissement personnel

Pour rien au monde ces nomades de la pharmacie ne troqueraient leur condition contre celle d’un adjoint salarié ni d’un titulaire. Car l’intérim leur permet de s’adonner plus facilement à un hobby, ou de se consacrer à leur vie personnelle. C’est le cas de Sophie Alard, pharmacienne basée à Arcachon (Gironde). En 1993, elle écrit sa thèse et enchaîne les remplacements. Aujourd’hui, elle conjugue 30 à 40 semaines d’intérim par an avec sa passion de la voile. « Ces remplacements sont un véritable enrichissement professionnel et humain », se félicite celle qui se considère comme un « prestataire de services ». « Je prends en charge une officine pendant une, deux ou trois semaines comme si j’étais mon propre patron. » Avant de larguer à nouveau les amarres. Les avantages du titulaire sans ses inconvénients ? C’est également ce que Pierre Jouitou, pharmacien dans la région Aquitaine, apprécie. « On n’est pas confronté aux problèmes de gestion de l’officine, mais à simplement quelques questions de commandes à régler ponctuellement. Même avec les équipes, cela se passe différemment si l’on sait se faire accepter sans susciter de phénomène de rejet », constate-t-il.

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Une rigueur et une conscience professionnelle exemplaires

Ces remplaçants doivent être opérationnels dès les premières heures, y compris dans la maîtrise des logiciels. La multiplicité de leurs interventions induit une constance dans leur posture professionnelle. « Il m’arrive de passer dans deux officines voisines à deux semaines d’intervalle. Il n’est donc pas question d’accorder un produit à un client dans une officine et de le lui refuser deux semaines plus tard s’il passe dans l’autre pharmacie… », relève Pierre Jouitou, qui a déjà travaillé dans une soixantaine d’officines différentes. Il sait qu’il doit être aussi vigilant qu’un titulaire, en particulier dans la délivrance et le suivi des commandes. « Par exemple, une prescription imprécise, mal documentée ou une erreur d’inattention pourra se traduire par la commande erronée d’un injectable à 600 euros désormais impossible à retourner au grossiste », explique le pharmacien.

De même, la discrétion s’impose. « Je ne travaille jamais dans le même secteur, sauf quand les contacts sont bons entre les différents pharmaciens, mais je leur demande néanmoins l’autorisation », précise Sophie Alard. Cette rigueur et cette conscience professionnelle permettent aux intérimaires de remplir leur agenda six mois à l’avance.

Les intérimaires de la pharmacie entretiennent leur réseau comme des VRP. Mais, revers de la médaille, ils n’hésitent pas à écourter leurs vacances pour rendre service à un titulaire tombé malade. Sophie Alard sait qu’elle doit travailler en période estivale quand ses confrères sont sur les plages. De même, elle ne connaît pas la maladie pendant les épidémies de grippe.

Le recours à l’intérim tend à diminuer

En retour, les intérimaires jouissent d’une grande considération auprès des titulaires. « Il y a un grand respect pour notre fonction. Quand les titulaires décident de vendre, ils me préviennent tout de suite. Et il n’est pas rare qu’on me demande conseil pour un logiciel ou pour des gammes de produits. Car mon expérience est reconnue », se félicite Sophie Alard.

Le marché est-il cependant prêt à mettre le prix de cette expérience ? La dégradation des comptes des officines et la quantité suffisante de pharmaciens sur le marché de l’emploi ne jouent pas en faveur de l’intérimaire. Comme le constate Valérie Lebeaupin, directrice de division chez Adecco Medical : « Il n’est pas rare que des coefficients 400 soient proposés à des pharmaciens thésés disposant de plusieurs années d’expérience. Autrefois, on leur offrait au minimum un coefficient de 500. » Ce qui intéresse les titulaires ? « Que le candidat ait son diplôme, qu’il soit inscrit à l’Ordre et qu’il dispose d’une bonne connaissance des logiciels afin d’être opérationnel. L’expérience finalement n’est pas au rang de leurs priorités », regrette la spécialiste de l’intérim.

De manière générale, le recours à l’intérim tend à diminuer. Il est plus fréquent dans les régions du Sud, principalement les villes universitaires. Valérie Lebeaupin note qu’en toute logique les pics de l’intérim se situent entre mai et septembre, correspondant aux départs en congés des titulaires. Mais ceux-ci prévoient leurs congés de plus en plus tard. « Autrefois, j’avais dix coups de fil dans les trois jours qui suivaient une annonce et mon agenda était rempli un an à l’avance. Aujourd’hui, je ne peux anticiper que sur six mois », constate Sophie Alard.

La prudence des titulaires pourrait cependant bientôt se retourner en faveur de l’intérim. « En raison du manque de visibilité économique et d’une frilosité à embaucher en CDI, des titulaires font appel à l’intérim pour sonder le candidat », déclare Jean-Luc Sicnasi. Et 20 % d’entre eux se voient par la suite proposer un CDI.

TÉMOIGNAGE

« Ils ne sont pas blasés »

DOMINIQUE GIANNOTTI, TITULAIRE À IVRY-SUR-SEINE (VAL-DE-MARNE)

« Intégrer un remplaçant au sein de l’équipe déjà constituée se fait naturellement. Bien souvent, il a pu oublier certains points qu’il avait appris au cours de ses études, et les préparateurs sont heureux de pouvoir lui venir en aide. Cela les valorise et facilite la prise de contact. Au sein de l’officine, l’arrivée d’une personne extérieure est toujours vécue de manière positive car celle-ci aborde le métier différemment. Ces jeunes, souvent issus de l’industrie ou de la parapharmacie, ont une grande qualité d’écoute du client, ce qui n’est plus toujours le cas pour des pharmaciens qui expérimentent la même pharmacie depuis vingt ans. Ils ne sont pas blasés et ils se montrent, en règle générale, aimables et souriants. Leurs multiples expériences les dotent d’une ouverture d’esprit et leur approche du monde de l’officine est très enrichissante pour l’ensemble de l’équipe. Ils apportent un plus qui compense largement les lacunes qu’ils peuvent avoir en arrivant. »