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L’ENQUÊTE QUI FAIT RÉAGIR MACRON

Publié le 13 juin 2015
Par Stéphanie Bérard
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Une enquête de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) montre bien que ces dernières hésitent à embaucher. En cause ? La rigidité et le coût du droit du travail. Le syndicat a donc proposé un éventail de mesures au gouvernement qui a annoncé les siennes le 9 juin.

Charges sociales trop importantes, manque de visibilité sur la conjoncture économique, rigidité du droit du travail, lourdeurs administratives… Les difficultés à créer des emplois dans les petites entreprises ne sont pas nouvelles. C’est même un serpent de mer qui revient régulièrement, au fil des ans, dans les discours politiques. Cette fois-ci, ce sont les professions libérales qui montent au créneau. « La situation est préoccupante. Les professionnels libéraux, qui représentent plus de 27 % des entreprises françaises, souhaitent embaucher. Mais peu osent. Il y a donc un gisement de plus d’un million d’emplois qui ne sont pas satisfaits », s’alarme Michel Chassang, président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL).

Les officines auraient besoin de 2,1 emplois supplémentaires

Cette organisation patronale, qui fédère 67 associations et syndicats représentants des différentes professions libérales (médecins, pharmaciens, architectes, avocats…), publie une enquête qui dresse un tableau bien obscur de l’emploi*. Interrogés sur le nombre d’embauches au cours des douze derniers mois, 70 % des professionnels libéraux avouent n’en avoir réalisé aucune. Une tendance qui n’épargne pas les pharmaciens puisque plus d’un sur deux (59 %) suit ce mouvement. Pire : la petite minorité de professionnels libéraux qui ont recruté préfère remplacer un salarié (69 %) que de créer un poste (50 %). Dans les officines, seulement 43 % des pharmaciens ont embauché – hors remplacements – en 2015.

La faute à une conjoncture économique difficile ? Pas forcément. Car, paradoxalement, les professionnels libéraux, la tête dans le guidon, peinent à faire face à leurs besoins : en moyenne, ils indiquent avoir besoin de 1,7 emploi supplémentaire pour développer leur entreprise. Chez les pharmaciens, cette proportion est même de 2,1. Or, seulement 0,2 embauche est envisagée sur les 12 prochains mois (ce chiffre étant le même pour les pharmaciens et pour toutes professions libérales confondues).

« A trop protéger le salarié, on tue l’embauche »

Parallèlement, un tiers des libéraux indiquent avoir connu un départ au cours des douze derniers mois. Chez les officinaux, cette proportion passe à 44 %, dus en majorité à des démissions (50 %) et des ruptures conventionnelles (24 %).

Entre les départs des collaborateurs, pas toujours remplacés, et les besoins des professionnels libéraux pour développer leur activité, un fossé se creuse, que l’UNAPL explique par la rigidité et l’instabilité du droit du travail. « Recruter un collaborateur, ce serait entrer dans un processus instable car la réglementation du travail évolue sans cesse », commente Michel Chassang. La crainte de licencier – et prendre le risque d’un procès aux prud’hommes – est, elle aussi, bien réelle.

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Chez les pharmaciens, le licenciement ne représente en effet que 5 % des départs. Parmi les principaux obstacles à l’embauche, ils invoquent d’ailleurs la rigidité des contrats de travail (82 %) et un coût du travail trop élevé (78 %). Et presque un sur deux (46 %) préfère sous-traiter des tâches à l’extérieur que de recruter un nouveau collaborateur.

Une tendance confirmée sur le terrain. Pierre-Edouard Poiré, titulaire à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), a recruté six nouveaux collaborateurs en trois ans suite à un transfert. « J’attends le dernier moment pour lancer un recrutement, quand je n’ai plus le choix. » Le pharmacien reconnaît craindre, en particulier, les conséquences d’une rupture du contrat de travail. « A trop protéger le salarié, on tue l’embauche », estime-t-il. Ce titulaire souhaiterait un assouplissement, notamment en cas d’arrêt maladie prolongé: « La Sécurité sociale devrait faire des contrôles systématiques quand des arrêts maladie sont supérieurs à un mois pour vérifier que la personne n’abuse pas du système. Et si tel est le cas, l’employeur devrait pouvoir procéder à un licenciement. »

Un train de nouvelles mesures du gouvernement

Comment lever ces freins et inciter les professions libérales à recruter ? Dans le cadre de la consultation sur l’emploi dans les très petites entreprises (TPE) organisée par le Premier ministre en marge du vote de la loi Macron, l’UNAPL a rencontré Manuel Valls et Emmanuel Macron, lundi 1er juin, pour leur présenter dix mesures pour relancer l’embauche. « L’une d’elle consiste à valoriser la création d’entreprise libérale en développant davantage les contrats de professionnalisation. Il faudrait que des subventions et des exonérations aident les employeurs à financer ces contrats, alors que l’embauche d’un apprenti ne coûte rien », suggère Michel Chassang.

Le président de l’UNAPL propose en outre de supprimer la limite d’âge (moins de 26 ans) des contrats de professionnalisation. L’organisation patronale revient aussi sur le recours à un contrat unique, à mi-chemin entre le CDI et le CDD, avec des conditions de rupture de contrat plus souples et des objectifs à atteindre pour le salarié. « Pour dédramatiser les risques de rupture, nous préconisons d’instaurer un barème d’indemnisation plafonné car aujourd’hui c’est surtout la jurisprudence qui détermine ces montants. Or, un chef d’entreprise doit être en mesure de savoir à l’avance combien peut lui coûter une éventuelle rupture du contrat de travail. »

Michel Chassang propose également de simplifier les procédures de rupture de contrat pour éviter les trop nombreux vices de forme devant les tribunaux. Parmi les mesures proposées figure aussi une plus grande souplesse dans l’application des 35 heures. « Une entreprise devrait pouvoir recourir au forfait jours sans qu’il y ait besoin d’un accord de branche afin de prendre en compte les spécificités d’exercice, par exemple les officines saisonnières », affirme-t-il. En demandant d’ailleurs de pouvoir exercer un droit de veto pour ne pas appliquer, au niveau des professions libérales, les accords interprofessionnels.

Les professionnels libéraux ont-ils été entendus ? Lors de la conférence qui s’est tenue à l’issue d’un Conseil des ministres restreint sur les TPE-PME le 9 juin, le Premier ministre Manuel Valls annonce un « Jobs Act à la française ». Si le gouvernement ferme la porte à une réforme du contrat de travail, il envisage un plafonnement des indemnités décidées par les prud’hommes pour les licenciements dénués de cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, une aide de 4 000 euros sera attribuée aux petites entreprises pour l’embauche du premier salarié en CDI ou en CDD de plus d’un an. Ceux-ci pourront d’ailleurs être prolongés deux fois, au lieu d’une jusqu’ici. Pour dynamiser l’emploi, Manuel Valls annonce que « le recrutement des entreprises jusqu’à 50 salariés ne déclenchera pas de prélèvements sociaux et fiscaux supplémentaires ». Toutes ces mesures devraient être intégrées dans la loi Macron. A suivre.

* « Le regard des professions libérales sur l’emploi dans les TPE », enquête Harris Interactive réalisée sur un échantillon de 1 728 professions libérales du 12 au 22 mai 2015, dont 86 pharmaciens.