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La voleuse décroche le premier rôle

Publié le 24 février 2024
Par Anne-Charlotte Navarro
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Etre filmée ne donne pas toujours le sourire. Surtout quand une sombre histoire de démarque inconnue génère un fort climat de suspicion et des conditions de travail tendues. Verdict.

Les faits

 

Le 7 janvier 2003, Mme M. est embauchée comme caissière dans l’officine de Mme U. Celle-ci constate assez rapidement des vols et décide de visionner les enregistrements produits par le dispositif de vidéosurveillance installé dans l’officine. Afin de disposer d’informations précises, elle effectue un suivi des passages en caisse via les journaux quotidiens informatiques et une surveillance constante de l’espace de vente. Cette enquête interne s’étend du 10 au 27 juin 2016. Les deux sources d’information démontrent que la caisse tenue par Mme M. comporte 19 anomalies graves sur cette période. Elles portent notamment sur des produits pour bébé. Mme M est licenciée pour faute grave, le 19 juillet 2016. Elle saisit le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement.

Le débat

 

La mise en place de caméras de vidéosurveillance dans un lieu de travail et d’accueil du public comme une pharmacie doit respecter une procédure stricte. Le règlement européen sur la protection des données (RGPD), le Code du travail et celui de la sécurité intérieure imposent au chef d’entreprise d’informer les salariés de l’installation des caméras, des finalités du traitement des images captées, de la durée de conservation des images, du nom et du numéro de téléphone du responsable à la protection des données, de l’existence du droit « informatique et liberté » et du droit d’introduire une réclamation auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Cette information doit être préalable à l’installation des caméras. A défaut, les images captées sont considérées comme illicites. C’est sur ce point que se fonde l’argumentation de Mme M. Elle déclare ne pas avoir été mise au courant de l’existence du dispositif. Pour elle, les éléments apportés comme preuves doivent donc être rejetés par le juge. Le 13 septembre 2022, la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion considère pourtant que le licenciement de Mme M. est valable. Les magistrats retiennent que « le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps, dans un contexte de disparition de stocks, après de premières recherches restées infructueuses et avait été réalisé par le seul dirigeant de l’entreprise ». L’atteinte aux droits de Mme M. et des autres salariés de l’officine était donc proportionnée au but poursuivi. La salariée forme un pourvoi en cassation.

La décision

 

Le 14 février 2024, la Cour de cassation confirme la décision des juges de la cour d’appel. Les magistrats rappellent le principe dégagé dans l’arrêt du 22 décembre 2023 n° 20-20648*. Une preuve illicite n’est pas obligatoirement irrecevable. Le juge doit « apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ». La Cour de cassation considère que, dans le cas d’un système de vidéoprotection non déclaré ou mal déclaré, le juge doit d’abord vérifier la légitimité du contrôle en s’attachant à savoir s’il existait des raisons concrètes pour recourir à cette méthode. Ensuite, il doit rechercher si l’employeur ne pouvait pas démontrer la faute du salarié en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. En l’espèce, les hauts magistrats retiennent que la cour d’appel a effectué ce contrôle. Le licenciement est donc justifié.

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À retenir

Les salariés doivent être informés en amont de la mise en place d’un système de vidéosurveillance dans l’officine.

Les images captées par un système non déclaré sont des preuves illicites.

Ce type de preuve peut justifier un licenciement si l’employeur ne peut pas démontrer la faute du salarié en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle de celui-ci.